Israël-Palestine : un conflit en état de décomposition avancée


Israël-Palestine : un conflit en état de décomposition avancée

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L’enlèvement et l’assassinat de trois adolescents juifs en Cisjordanie, suivi de celui d’un jeune palestinien de Jérusalem par des extrémistes juifs, arrêtés quatre jours après leur crime abominable, est-il le prélude à un nouvel embrasement entre la Méditerranée et le Jourdain ? On le croirait à lire les commentateurs habituels  du conflit israélo-arabe, dont le moindre des défauts est de lire le présent avec les lunettes du passé. En l’occurrence, la grille d’analyse des « experts » du Monde ou  de Libération, suivis par le banc de poisson des médias français, se résume, en gros, à l’axiome selon lequel les mêmes causes engendrent les mêmes effets : comme en octobre 2000, après l’échec des négociations de Camp David, l’exaspération des Palestiniens devant l’intransigeance des dirigeants israéliens provoque un soulèvement populaire, désigné sous le nom d’Intifada, auquel la direction palestinienne, d’abord débordée, donne un cadre militaire et une stratégie politique.

Ce qui se passe aujourd’hui devrait, au contraire, mettre à mal l’idée reçue de la « spontanéité » de l’Intifada dite d’Al-Aqsa, et valider l’analyse de ceux qui pensent qu’elle a été préparée et déclenchée par feu Yasser Arafat pour conforter un pouvoir vacillant au sein de l’OLP en lançant son peuple dans une aventure suicidaire. L’intifada Al-Aqsa a été vaincue, avec pour conséquence la déstructuration du mouvement national palestinien, marquée non seulement par l’affrontement entre le Fatah et le Hamas, mais également par l’autonomisation des diverses composantes de la société palestinienne. En Cisjordanie, L’Autorité palestinienne n’exerce son autorité que sur l’appareil administratif et sécuritaire, distribuant  des  salaires et prébendes financées par la communauté internationale à une large clientèle liée au Fatah. C’est la «  bourgeoisie » de Ramallah, dont la relative prospérité tranche avec la déréliction de la majorité de la population. Les camps dits de réfugiés (en fait des quartiers  entiers des principales villes des Territoires) disposent de leur propre organisation, dirigée par des patrons locaux, souvent mafieux, la survie matérielle des populations étant assurée par les subsides de l’UNRWA, organisme de l’ONU. Le reste de la population, délaissée par l’Autorité palestinienne, s’en remet aux vieilles structures tribales et aux œuvres sociales animées par les mouvements islamistes radicaux financés par les monarchies du Golfe.

L’assassinat des trois jeunes Israéliens a été attribué au Hamas par Benyamin Netanyahou. C’était tactiquement habile pour faire exploser plus rapidement que prévu la fausse réconciliation entre Mahmoud Abbas et le Hamas, mais ne correspond qu’imparfaitement à la réalité. Les auteurs de ce crime  appartiennent au clan des Qawasmeh, tribu implantée dans la région d’Hébron, réputée soutenir les islamistes au pouvoir à Gaza. Mais ce groupe dont l’influence s’exerce sur près de dix mille personnes, agit surtout pour son propre compte mélangeant allègrement combat politique et activités « économiques » de type crapuleux, y compris en relation avec les diverses mafias israéliennes. Les services de renseignements de l’Etat juif estiment que ce enlèvement avait pour objectif d’obtenir la libération de prisonniers, politiques et de droit commun, membres de ce clan, qu’ils soient détenus dans les geôles israéliennes ou dans celles de l’Autorité palestinienne. Le modus operandi de cette opération, réalisée de manière artisanale, et non pas avec la rigueur militaire de celle ayant abouti à la capture du soldat Gilad Shalit en 2006 conforte cette hypothèse, tout  comme la condamnation immédiate et radicale de ce rapt par Mahmoud Abbas, en dépit d’une opinion publique acquise à la cause des ravisseurs. L’opération «  Gardiens de nos frères » déclenchée par Tsahal pour tenter de récupérer les jeunes gens, en dépit de son ampleur et de sa fermeté, n’a provoqué  qu’une riposte de faible intensité des groupes militants palestiniens qui n’ont pas reçu de soutien de l’appareil militaro-sécuritaire de Ramallah, contrairement à ce qui s’était passé lors du déclenchement de l’Intifada Al-Aqsa.

Les manifestations consécutives à l’assassinat par un groupe d’extrémistes nationalistes juif d’un jeune arabe du quartier de Shouafat, au nord de Jérusalem, ont été d’une ampleur limitée, ne rassemblant que quelques centaines de jeunes, de surcroît dans des zones totalement sous le contrôle politique et sécuritaire israélien, Jérusalem est et quelques localités arabes israéliennes (Nazareth et Taybeh). Leur ampleur est comparable aux débordements qui ont suivi, en France, les exploits au Mondial de l’équipe d’Algérie

La situation à Gaza est plus complexe : très affaiblie par la perte du pouvoir en Egypte par les Frères musulmans, la direction du Hamas est plus isolée que jamais, géographiquement et politiquement. Elle est contestée à l’intérieur par les jihadistes émules de l’Etat islamique en Irak et au Levant (ESIS, ou Daech en arabe), et se voit contrainte de démontrer qu’elle reste le principal adversaire militaire palestinien de l’Etat juif en tirant des salves de roquettes sur le sud d’Israël. Mais, en même temps, elle transmet par tous les canaux possibles à Netanyahou que le Hamas n’a aucune intention de franchir la ligne rouge consistant à utiliser son arsenal de fusées à moyenne portée pour provoquer des dégâts matériels et humains dans les grands centres urbains et économiques d’Israël. La principale garantie de la survie  de cette direction réside dans la crainte d’une majorité dirigeants israéliens de devoir réoccuper la bande de Gaza, ou de voir s’installer dans ce territoire un chaos propice à la prise du pouvoir par les partisans du Califat une fois l’infrastructure du Hamas détruite par Tsahal…

Pour Netanyahou, la résistance palestinienne ne constitue donc plus un danger stratégique majeur, et les préoccupations du premier ministre sont plutôt concentrées sur l’évolution de la situation en Syrie, et surtout en Jordanie, prochain objectif annoncé des jihadistes de l’ESIS. La perspective de voir les hommes d’Aboubakr Al-Baghdadi s’installer sur les rives du Jourdain gagne en probabilité en raison de l’impopularité croissante de la monarchie au pouvoir à Amman et de la « fatigue » du gendarme américain. Dans ce contexte, Israël, l’Autorité Palestinienne et le Hamas de Gaza sont objectivement liés par la conviction que le maintien, vaille que vaille, du statu quo actuel est provisoirement la moins mauvaise des solutions.

En Israël, la droite nationaliste dure, celle d’Avigdor Lieberman et de Naftali Bennett, ne partage pas cette analyse, et voudrait profiter de l’émotion d’une opinion brusquement réveillée de sa relative quiétude par le triple assassinat de Hébron pour « liquider définitivement les bases terroristes » en Cisjordanie et à Gaza. Benyamin Netanyahou se retrouve ainsi dans une situation similaire à celle d’Ariel Sharon au moment de l’évacuation de Gaza en 2005, harcelé par les va-t-en guerre de droite et d’extrême droite, et contraint d’effectuer des choix en contradiction apparente avec la politique qu’il incarnait jusque là. On ne naît pas homme d’Etat, on le devient…

*Photo : Rafael Ben-Ari/Cham/NEWSCOM/SIPA. SIPAUSA31300523_000007.



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