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« Paris a besoin de créer des logements verticaux »


« Paris a besoin de créer des logements verticaux »
Ingrid Taillandier est architecte au sein du cabinet Itar architectures. Commissaire de l’exposition « La tour européenne » présentée en 2009 au pavillon de l’Arsenal, elle supervise actuellement la construction d’une tour aux Batignolles. Crédit photo : Hannah ASSOULINE

Les désastres urbains de La Défense ou Beaugrenelle ont longtemps vacciné les Parisiens contre les gratte-ciel. Mais aujourd’hui, les défenseurs des tours regagnent du terrain. Entretien avec l’une d’eux, l’architecte Ingrid Taillandier.


 

Causeur. Depuis 2010, sous l’impulsion de Bertrand Delanoë, la Ville de Paris a déplafonné la hauteur maximale des immeubles, qui était fixée à 37 mètres. La capitale a-t-elle toujours été rétive à la construction de tours ?

Ingrid Taillandier. Entre les années 1950 et 1970, Paris était au contraire plutôt favorable à l’expansion des tours. Sous Pompidou, on a connu un réel engouement pour la ville moderne. C’est au milieu des années 1970 que le refus s’est imposé. À son arrivée à l’Élysée en 1974, Giscard a fait annuler la construction de la tour Apogée dans le XIIIe arrondissement puis n’a plus délivré aucun permis de construire aux Olympiades. Une fois Jacques Chirac élu maire de Paris en 1977, il a fixé trois plafonds de hauteur d’immeubles : 27 mètres (au centre), 31 mètres et 37 mètres (en périphérie), suivant l’emplacement dans la ville. Certaines constructions de grande hauteur implantées dans Paris restaient cependant très bien acceptées par la population, à l’image de la tour Croulebarbe érigée en 1960.

En ce cas, de Montparnasse à Beaugrenelle, pourquoi les Parisiens rejettent-ils massivement les tours ?

Historiquement, le rejet des tours est lié à un problème d’urbanisme. Les ensembles sur dalles comme les Olympiades ou Beaugrenelle ont été construits en rupture avec le tissu urbain et les infrastructures alentour. Ces blocs ne mettent plus les passants en relation directe avec les immeubles, au point que le sol devient surélevé… et privé puisque ces dalles n’appartiennent pas à la ville. On a formé des îlots autonomes détachés de leur quartier. C’est un échec patent ! Mais si, d’après une enquête de 2004, 60 % des Parisiens s’opposaient à la construction d’immeubles de grande hauteur, plusieurs indices laissent penser que l’opinion a basculé depuis.

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Lesquels ?

Déjà, les premiers concernés qui sont les habitants des tours se montrent satisfaits. Les bailleurs sociaux nous indiquent qu’il n’y a pratiquement aucun turn-over dans les appartements situés en hauteur. Comme le confirme une étude de Paris Habitat, les locataires qui dominent la ville se sentent au calme et ne veulent pas bouger. Résultat, malgré les éventuels problèmes de panne d’ascenseur, ces logements se louent plus chers parce qu’ils ont moins de vis-à-vis et bénéficient de vues plus libres et plus généreuses.

Oui, mais ce sont plutôt les autres, qui n’habitent pas les tours qui peuvent les trouver déplaisantes. Et de ce point de vue, vous êtes en quelque sorte juge et partie puisque votre agence, Itar architectures, associée à Fresh, a conçu et supervise actuellement la construction d’une tour de 50 mètres de logements aux Batignolles. N’allez-vous pas saccager le paysage urbain en ruinant la perspective depuis l’avenue de Wagram ?

Pas du tout. Aujourd’hui, on a rompu avec les errements du passé. Tous les nouveaux projets architecturaux, de la tour Triangle porte de Versailles à l’ensemble Bruneseau dans le XIIIe, renouent avec la tradition de l’îlot typiquement parisien, avec des tours qui s’insèrent dans leur environnement urbain. Aux Batignolles, la plupart des édifices ne dépassent pas les 50 mètres de hauteur, mis à part le tribunal de grande instance. L’urbanisme de dalle est désormais de l’histoire ancienne puisque ces tours s’implantent directement dans le sol, sur la rue, en liaison avec tout un réseau de transports en commun, Batignolles étant ceinturé de nouvelles gares.

Tout cela est bien beau, mais avait-on vraiment besoin de bâtir des tours dans une ville horizontale comme Paris ?

Paris a besoin de créer du logement. Le manque de terrain foncier est énorme dans une telle ville, a fortiori bloquée par la ceinture du périphérique. Nous devons donc aménager une densité d’habitation très forte au niveau vertical…

Je vous coupe : quand il entend parler de densité urbaine, le Français sort son revolver ! On a en tête l’image des barres d’immeubles et de cités-dortoirs de banlieue, avec les réjouissances que vous imaginez… 

La densification n’est valable qu’avec une insertion urbaine qui fonctionne. Le même grand ensemble situé près de Paris ne va pas marcher dans une banlieue plus éloignée parce qu’il sera totalement coupé des transports en commun ou de la ville, ou sera mal entretenu. Le quartier du Point-du-Jour à Boulogne-Billancourt est un bon exemple d’ensemble bien implanté. A contrario, après-guerre, le manque d’habitat était si important qu’il a fallu construire massivement en utilisant la tour comme un outil urbain de densification. Une densification d’ailleurs très inégalement répartie puisque dans les zones en dehors de Paris, où il y avait largement la place de bâtir, les tours ne sont pas très proches les unes des autres, ce qui a créé une rupture dans le tissu urbain. Qui plus est, en région parisienne et dans certaines zones de grandes villes françaises, la concentration de logements sociaux a provoqué des dissensions.

La Ville de Paris n’a que le mot « mixité » à la bouche. Pourtant, les appartements au sommet de la tour que vous édifiez aux Batignolles se vendront 15 000 euros le mètre carré… on a vu plus social !

En moyenne sur l’ensemble de la tour, le mètre carré coûte 10 000 euros pour les appartements en accession. Mais la ville a imposé une mixité entre logements en accession à la propriété et logements locatifs intermédiaires. Le bailleur social Novedis-ICF a demandé à ce que les cinq premiers niveaux lui soient consacrés et que les dix niveaux au-dessus soient réservés à l’accession. Reste que l’ensemble des habitants de la tour partageront certains éléments – un porche, une cour, une cuisine d’extérieur sur une terrasse au premier étage, et même un studio que n’importe qui pourra louer à la nuit ou à la semaine pour héberger un ami à un prix modique.

Jusqu’à présent, La Défense concentre 80 % des tours d’Île-de-France. L’avènement progressif du Grand Paris va-t-il rééquilibrer les choses ?

Faisons un peu d’histoire. Dans les années 1960, en même temps qu’on inaugurait de grands ensembles réservés au logement, la tour est devenue un outil au service du dynamisme économique des centres financiers et économiques, comme Francfort, Londres, ou La Défense. L’idée était de créer des centres où les entreprises, les banques et les assurances pourraient travailler ensemble. Cinquante ans plus tard, le besoin de surface de La Défense a explosé tandis que de nouveaux équilibres géographiques s’opèrent entre l’Est et l’Ouest. Des entreprises entières déménagent pour se retrouver à Ivry ou bien dans le XIIIe à Masséna-Bruneseau. Cela n’empêchera pas La Défense de rester un centre très actif à l’avenir.

Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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