In bed with Roland Castro


In bed with Roland Castro
Roland Castro. Sipa. Numéro de reportage : 00577680_000020.
roland castro grand paris laicite
Roland Castro. Sipa. Numéro de reportage : 00577680_000020.

Roland Castro a la colère des grands jours. Comme vous, comme moi, il ne digère pas les attentats de janvier et novembre 2015, ni leurs tristes précédents que furent les crimes de Mohamed Merah. « Déprimé » par la barbarie islamiste, l’architecte républicain ne s’est pas laissé abattre et a écrit un programme pour reconstruire une France en lambeaux, qu’il aime passionnément. Passée l’euphorie du 11 janvier 2015, nos élites ont replongé dans le déni et le « padamalgame », ce qui ne laisse pas d’exaspérer cette grande conscience de la gauche lucide.

Déclaration des devoirs du citoyen

Dans Il faut tout reconstruire, Roland l’athée se souvient du petit gosse juif qu’il a été, protégé par des maquisards communistes limousins des exactions de la division SS Das Reich, puis élève des hussards noirs de la République à laquelle il doit tant. A la manière de son compère Coluche, Castro appelle tous les Français qui ne croient plus aux hommes politiques à faire la révolution par le bas. Parce qu’il préfère transmuter son chagrin en espoir. Parce qu’il voit poindre le cauchemar « d’une société où les salafistes, les Frères musulmans et le Front national seraient les seuls horizons ». Parce que beaucoup désespèrent d’une France devenue la championne d’Europe de l’écart entre riches et pauvres.

Contre la sinistrose ambiante, Roland avait déjà imaginé une « Déclaration des devoirs du citoyen » avec ses camarades du « Mouvement de l’utopie concrète » en 2002. Car l’homme n’est pas de ceux, encore trop nombreux à gauche, qui croient que les inégalités sociales excusent tout, ni que les djihadistes assassins de notre jeunesse sont en fait des victimes de la société. Pour refonder notre nation fracturée par « le totalitarisme islamiste », l’antisémitisme et les inégalités, il prêche un républicanisme ferme, avec service civique obligatoire pour garçons et filles, laïcité matin, midi et soir, et une politique sociale digne de ce nom. Dommage qu’il ait fallu attendre le Bataclan pour que nos élites s’aperçoivent que le bleu-blanc-rouge n’était pas l’étendard des fachos…

Central Park à La Courneuve

On a beau être architecte spécialiste des banlieues, on n’en est pas moins aussi conscient des fractures territoriales qui minent notre pays et refuser d’opposer le prolo périurbain au djeune-de-banlieue. Ce défenseur du bel habitat rêve de réaliser pour une grande région Paris-Le Havre, avec un Central Park à La Courneuve, du beau bâti à taille humaine dans des banlieues rebaptisées Paris-Gennevilliers, Paris-La Courneuve, Paris-Rosny-sous-bois afin de les désenclaver. Le compagnon de route de la Marche des Beurs voudrait appliquer l’adage du comte de Clermont-Tonnerre aux jeunes musulmans (tout leur reconnaître comme individus, rien comme communauté) assignés à résidence identitaire par « le mensonge institutionnel SOS Racisme ». Eh oui, dès 1984, Castro dénonçait l’imposture du droit à la différence et la sauvagerie de l’excision dans une lettre au Président Mitterrand. Trente ans plus tard, le sage avait raison : dans les territoires salafisés de la République aux mains de la mafia de grands frères, « il eût été préférable » de miser sur les « grandes sœurs » !

Au détour d’une page, il n’est pas rare que je boive du petit lait. La déconstruction façon puzzle du principe de précaution « issu d’une pensée écologique totalitaire et primaire » n’est pas pour déplaire au postbolcho mais industrialiste toujours qu’est votre serviteur. On rit jaune en découvrant l’escroquerie du désamiantage : démolir deux tours coûte 15 millions d’euros de « précautions » écolos, une manne pour les greenwashers !

Selon son degré de fascination pour les questions institutionnelles (assez faible chez moi pour ne rien vous cacher de mes secrets honteux), on pensera pis que pendre ou top moumoute de la VIe République idéalisée par cet amoureux de la belle langue des politiques d’antan. Coventryser l’ENA et imposer une tabula rasa à nos élites, why not mais comment faire ? Quant au projet d’un « Sénat philosophique » aux membres directement élus par le peuple – damned ! – qui préparerait les travaux d’une Assemblée nationale enfin libre, je n’y crois pas plus d’une seconde, mais j’adore l’idée. Et les idées adorables, ça ne court pas les rues.

Pour jouir, il faut des règles !

J’avoue avoir vibré d’aise devant les volutes de cet éternel fumeur adversaire de l’hygiénisme, en lisant les passages qu’il consacre à mai 68. Droitards obtus ou gardiens du temple soixante-huitard, passez votre chemin. En dialecticien doxaproof, Roland salue la « parenthèse enchantée » que fut la vague d’émancipation des seventies (Note aux p’tits jeunes, vous ne savez pas ce que vous avez loupé, nananère !) mais regrette que l’accomplissement individuel ait si engendré si peu d’espoir commun. C’est à mes yeux une question essentielle, on ne remerciera jamais assez l’auteur de la remettre sur le tapis ! Faudra que je m’y colle un jour (en rêve probablement, mais bon…)

Libertaire conséquent, Castro sait qu’il faut des normes pour mieux les transgresser : « En mai 68, nous revendiquions de pouvoir jouir. Mais, pour pouvoir continuer à jouir, il faut des règles ». Au risque du double blasphème, il s’essaie à la synthèse gaucho-gaullienne car 68 fut « une révolte contre le père, mais quelle qualité de père ! » Ça tombe bien, l’ancien militant du groupe festivo-mao Vive la Révolution propose rien de moins qu’un « un nouveau 18 juin ». Chiche, camarade !

PS : en me relisant, je trouve ce papier un rien plus strange que d’habitude genre touche-à-tout et en même temps sérieux. Et pourtant, je ne l’ai même pas écrit sous Xanax + Havana Club. L’effet magique Roland ? À vous d’en bénéficier après un passage chez votre libraire favori. Sur ce, bises à tous, surtout les filles !

Roland Castro, Il faut tout reconstruire. Propositions pour une nouvelle société. L’Archipel, 2016.

Il faut tout reconstruire !

Price: 3,95 €

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