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«Berry, c’est fini !»

Hervé Vilard publie "Du lierre dans les arbres"


«Berry, c’est fini !»
Hervé Vilard © Jean-Marie Millet.

De l’Amérique latine à un presbytère du centre de la France, Hervé Vilard raconte son chemin de croix


De mon Berry natal, deux figures émergent au XXème siècle. L’auteur d’un unique roman, fauché dans sa jeunesse, mort au combat sur un champ de bataille et un chanteur populaire, orphelin meurtri, propulsé dans les yéyés, parrainé jadis par un héros de la résistance et dont les tubes sentimentaux continuent de coller à notre peau. Alain Fournier et Hervé Vilard s’épaulent, se reconnaissent, se répondent, à un siècle d’écart.

Tracer la route et revenir

Ils portent en eux, des élans contradictoires, l’identité fracassée et le chagrin des mal-aimés, une sorte de blessure inguérissable, une envie de s’évader, d’échapper à leur destin, de s’oublier et de fuir, de prendre la vie au dérisoire ou au tragique. Chanter ou écrire, il s’agit toujours d’une quête personnelle, de trouver son fragile exutoire en sachant pertinemment que l’apaisement est réservé aux autres, à ceux qui ont refusé la lumière.

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L’intranquillité étant l’état naturel de l’artiste, il faut l’accepter ou abandonner la partie. Derrière l’apparente légèreté de Capri ou la fantasmagorie du Grand Meaulnes, une pulsion plus sombre, plus sourde, plus épidermique encore, bat, elle rythme notre désarroi depuis si longtemps.

Fournier et Vilard auront été les métronomes des existences chahutées, un point fugace à l’horizon, les mystérieux guides de nos campagnes désolées. Un chanteur de variété surtout quand il commence à vieillir est un poète qui s’ignore, un médecin de l’âme, un vagabond céleste, son instabilité nous émeut, il trace sa route, claudicant et flamboyant, juste assez cabossé pour nous séduire et nous emporter. Le public n’a pas toujours les mots pour qualifier cette relation étrange qui s’est nouée au fil des années, avec cet inconnu, cet homme seul sur scène, avec sa coupe de premier communiant et son costume du dimanche.

Vilard, écrivain

Vilard désarçonne, il emplit de joie et agace, plus il titube, plus ses standards, cent fois écoutés, mille fois ressassés, touchent en plein coeur. Si les chanteurs populaires savaient l’effet qu’ils produisent sur leurs spectateurs, ils n’oseraient plus se saisir d’un micro, ils seraient tétanisés par cette insurmontable mission, condenser en deux minutes trente, un épisode heureux ou triste de nos vies. Car Vilard est un mage, il devine nos déveines et nos peurs. Il s’en drape et nous accompagne. Il appartient à cette génération ballotée entre hit-parades, tournées internationales et puis des galas plus modestes, des comices agricoles et des fêtes de village, entre projecteurs et solitude.

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Hervé Vilard n’est pas seulement cette boîte à nostalgie, cette illusion qui meurt. Il se révèle depuis une quinzaine d’années, un écrivain. Un vrai qui n’a pas peur des mots. On lui doit L’âme seule et Le Bal des papillons. Il sort aujourd’hui Du lierre dans les arbres aux éditions Fayard, en plein second confinement. Vilard n’écrit pas des livres de souvenirs comme tant de ses confrères factices, il fait de la littérature, sauvage et sensible, dérangeante, jamais pleurnicharde, ni exhibitionniste, toujours au plus près du sentiment brut, juste avant qu’il ne se fissure puis disparaisse. Ce texte démarre très loin du Berry, à Mexico, quand il était le chanteur français préféré des sud-américains. Là-bas, à des milliers de kilomètres, il a perdu son enfant : « Notre enfant est mort. Avant de naître. Emportant avec lui mon désir de devenir un père sans passé. Il aurait fait de moi un surhomme ». C’est sur cet aveu que l’écrivain Vilard se raconte sans s’épancher, car il sait que la littérature demande de la dignité et de la vérité, difficile entre-deux où les confidences peuvent vite passer pour du voyeurisme. Vilard ne tombe pas dans ce piège-là. Il est naturellement élégant, il ne hausse pas le ton, ne bombe pas sa plume, son filet de voix suffit. Avec lui, à la manière d’un Blondin dans Monsieur Jadis, on fait le tour des copains, des vrais, de ces amitiés qui scellent les personnalités.

Un presbytère fatigué

Il y a la copine de toujours, la sœur, Nicoletta, le funambule Jean-Marie Rivière, l’inoubliable Bézu, le visage de Terzieff, Duras sur une plage, la mère malade, les drogues, la nuit, Bernadette Lafont au téléphone, des mauvais garçons, des amours passionnées et des comtesses de salons. Et ces Carpentier qui lui interdisent toujours l’accès à leurs émissions. Il y a surtout le retour à la terre promise dans ce presbytère fatigué du Berry et la tutelle posthume de l’abbé Angrand, celui qui fut le premier à croire en lui, à lui tendre la main. « Sur scène, je me livre à défaut de me révéler » avoue-t-il ; dans ce livre, il se livre et se révèle. A commander d’urgence !

Du lierre dans les arbres d’Hervé Vilard – Fayard.

Du lierre dans les arbres

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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