Gleeden : on a les ennemis qu’on mérite


Gleeden : on a les ennemis qu’on mérite

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Je suis souvent d’accord avec Régis de Castelnau. Souvent mais pas toujours. C’est le cas pour cette affaire Gleeden. Mon propos ici n’est pas d’appuyer en quoi que ce soit les plaintes des associations catholiques où les décisions de maires de droite qui s’en prennent à l’affichage publicitaire pour ce site de rencontres adultérines. On a déjà vu ce genre de maires ou la RATP avoir ce genre d’excès de zèle pour des affiches de spectacles et de films. Et je me souviens encore de la façon brutale dont Les saisons du plaisir (film ô combien adultérin et même partouzard) du délicieux Mocky fut interdit dans les couloirs du métro, comme si on se souciait plus de ce qui se passe dans notre slip que de notre santé puisque les pubs pour la malbouffe n’ont jamais connu de genre de censure.

Et après tout, je commencerai à prendre les cathos tradis et autres parpaillots sourcilleux au sérieux dans leur souci « d’écologie humaine »  le jour où ils sauront se mobiliser contre le travail du dimanche avec la même ardeur qu’ils ont mis à manifester par centaines de milliers contre le mariage gay ou, comme ici, en portant plainte parce qu’un site Internet se propose de favoriser l’adultère.  Jusqu’à preuve du contraire, en effet, j’estimerai qu’ils tiennent un double langage : conservateurs sur le plan des moeurs et libéraux sur le plan économique, car il est toujours plus facile de continuer à faire des profits dans une société où règne l’ordre moral, puisque le sexe c’est toujours plus ou moins du temps volé, du temps pour rien et une énergie dépensée en vain plutôt que mise à profit dans l’effort productif. Ils n’ont pas toujours eu d’ailleurs, les cathos, le monopole de ce moralisme. Que l’on se souvienne de la formation des hussards noirs de la IIIème république où il était conseillé, outre une tenue irréprochable en face des élèves, de n’avoir de rapports conjugaux que le samedi soir afin de garder ses forces intactes pour une bonne pédagogie, tout comme la masturbation fut d’abord condamnée par monsieur Samuel-Auguste Tissot, un médecin suisse du XVIIIème siècle, fervent adepte des Lumières mais pas des parties de un contre cinq puisqu’il est à l’origine, à égalité avec l’Onan biblique, de la réprobation encore présente aujourd’hui autour de cette pratique solitaire.

En même temps, pourquoi s’indigner que ces associations et élus le fassent ? Si Régis a raison de voir là une tentative de réinjecter  de la morale religieuse dans la sphère publique, il semble aussi oublier que ces associations et ces élus sont dans leurs rôles. Après tout, on ne va pas reprocher à des croyants de voir dans cette publicité et dans ce site une apologie de l’adultère puisque c’est vrai. De même qu’il est absurde de demander au Pape d’approuver l’homosexualité, la contraception ou l’usage du préservatif. On peut trouver cela affreusement rétrograde mais il y a pire que d’être rétrograde, c’est d’être en contradiction avec soi-même. Le Pape autorisant la capote par une bulle ou les AFC (association des familles catholiques) se félicitant que les galipettes extra-conjugales soient à deux clics, ce serait un peu comme des socialistes chantant l’économie de marché: ils risqueraient vite de perdre leurs fidèles et leurs adhérents. (On me souffle dans l’oreillette qu’en ce qui concerne le PS, c’est déjà fait.)

Mais ce n’est pas ça qui me chagrine le plus dans cette affaire Gleeden. Ce qui me chagrine, et qui devrait chagriner Régis, c’est que ce soit des cathos qui m’indiquent pour de mauvaises raisons où il y a un vrai problème aujourd’hui. Le problème, Houellebecq l’avait déjà discerné dans Extension du domaine de la lutte, son premier roman de 1994 : tout ce qui concerne l’amour et le sexe est entré dans le domaine de la compétition libérale. Chaque comportement, chaque choix qui était soumis au bienheureux hasard des rencontres, du mouvement même de la vie, sont entrés dans des cases commerciales où le marketing s’en donne à coeur joie. Sites internet, applications pour smartphones, et boites spécialisées pour les gays, les bi, les trans, les échangistes, tout est fait, et Gleeden ne fait que s’inscrire dans cette logique, pour normaliser, classer, rentabiliser ce qui était dans le monde d’avant de l’ordre du hasard, de l’imprévu, de la quête incertaine du plaisir. Guy Debord appelait cette propension de nos sociétés modernes à nous éloigner de ce qui fait la vérité de nos vies sous prétexte de rendre les choses plus faciles, la « séparation » Tromper sa femme ou son mari pouvait être, autrefois, de l’ordre de l’aventure agréable et mélancolique (que l’on se souvienne du délicieux Paris au mois d’août de René Fallet), avec Gleeden, c’est juste obscène parce que programmé, prévu, prémédité.

Ajoutons à cela, chez Gleeden, une vraie vision machiste et classiste de l’adultère: soi-disant créé par les femmes et pour les femmes, il est certain que Lady Chatterley ne risque pas de tomber, avec Gleeden, sur son garde chasse qui lui étant un homme, devra en moyenne dépenser 500 euros pour espérer pécho la belle dame. Bref, restons en CSP+ pour des rencontres sous poutres apparentes.

Voilà pourquoi, si par hasard la procédure entamée par les réacs de l’AFC aboutissait, j’aurais dû mal à pleurer.

*Photo : freestockphotos.



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