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Où sont les femmes?


Où sont les femmes?
Rassemblement "laïque" contre la tenue d'une "conférence contre l'islamophobie et la xénophobie" à Saint-Denis, dimanche 18 décembre 2016.
Rassemblement "laïque" contre la tenue d'une "conférence contre l'islamophobie et la xénophobie" à Saint-Denis, dimanche 18 décembre 2016.

Des ignames, des bananes noircies, des sacs de riz de 12 kg et une gamme de cosmétiques de marques inconnues s’empilent dans la vitrine du Centre exotique et esthétique, place Gaston-Bussière à Sevran. Le froid durcit le linge suspendu aux fenêtres ici et là. Les gens alignés devant une agence de l’assurance maladie respirent le même air semi-opaque que les Parisiens aujourd’hui touchés par un pic de pollution exceptionnel. Et c’est à peu près tout ce que la population de cette commune de la Seine-Saint-Denis partage avec les habitants de la capitale, pourtant toute proche.

En réalité, Sevran ressemble davantage à un hameau perdu d’outre-Méditerranée qu’à une ville française. La tante algérienne de Lydia Guirous, l’auteur d’Allah est grand, la République aussi, aurait pu y prononcer la phrase qu’elle a dite en arrivant à Roubaix : « Je n’ai pas fait deux heures d’avion pour me retrouver à Bab el-Oued ! » Car malgré ses quelques commerces encore ouverts, un bureau de poste, un petit marché, des bancs en béton où s’asseoir face aux arbres nus et les tours implantées à proximité immédiate de la gare du RER, Sevran peine à convaincre de son appartenance à un territoire sous la gouvernance de la République, tout autant que de son adhésion à l’Occident.

Si l’omniprésence du trafic de drogue, dont la localité a fait sa grande spécialité, freine la vie sociale, une franche hostilité à l’égard des femmes qui auraient la malheureuse idée d’y vivre « à l’européenne » la rattache carrément à un modèle salafiste de société, bâti, entre autres, sur le refus catégorique de la mixité des sexes. En conséquence, on ne croise pas de couples à Sevran. Pas beaucoup de femmes sans fichu sur la tête non plus, comme cette vieille dame blanche qui a dû rater son train…

L’attitude de Clémentine Autain ne relève pas seulement de l’aveuglement idéologique mais d’un effarant manque d’imagination.

Nadia Remadna, fondatrice de La brigade des mères, une association du cru qui milite en faveur de l’application du principe de la laïcité, en a apporté la preuve. Munie d’une caméra cachée, cette mère de quatre enfants a osé faire irruption dans un café occupé par des hommes pour s’entendre dire par le patron : « T’es dans le 9-3 ici, t’es pas à Paris ! Ici, c’est une mentalité différente, c’est comme au bled ! » Pas d’expresso, donc, mais un rappel à l’ordre à l’adresse de celles qui imagineraient que l’espace public appartient aux deux sexes. Mais le scandale ne s’arrête pas là. Diffusé dans le journal de 20 heures sur France 2, le reportage a suscité une vague d’indignation. Et ce qui a indigné les hérauts invétérés du « vivre ensemble », ce n’est pas le bannissement des femmes, c’est qu’on ose le montrer. Élue du Front de gauche, Clémentine Autain s’est ainsi précipitée au bar PMU du reportage où elle a commandé un petit noir au comptoir afin d’annoncer triomphalement sur son compte Twitter : « Je consomme et demande au CSA de visionner intégralité bande caméra cachée France 2. Stop stigmatisation banlieue. »


Société : quand les femmes sont indésirables dans les lieux publics

Ce que la petite tête blonde de la très féministe conseillère municipale de la ville de Sevran ne parvient décidément pas à concevoir, c’est la différence de traitement qui s’applique sur son territoire selon qu’on a affaire à une « sœur » musulmane ou à une « mécréante ». Ce que ses grands yeux bleus refusent de voir, c’est la fréquentation exclusivement masculine des cafés. Le Balto, un bar-tabac du centre où je réussis moi aussi à consommer à une heure de grande affluence, observe une minute de profonde stupeur lorsque je franchis son seuil. Il n’en faut pas davantage pour comprendre que l’établissement, tenu par un couple de Chinois, n’a pas l’habitude de recevoir les femmes. En outre, aurait-on l’idée de faire passer de pareils tests aux bistrots parisiens ? À quand la création du label « Women Friendly » dont on gratifierait certains bars des cités, de même que certains autres de la capitale autorisent la présence des chiens ? L’attitude de Clémentine Autain ne relève pas seulement de l’aveuglement idéologique mais d’un effarant manque d’imagination et même de la non-assistance à personnes en danger.[access capability= »lire_inedits »] Une remarque qu’on pourrait également noter en marge de la copie de Benoît Hamon : interrogé sur France 3, l’ancien ministre de l’Éducation nationale s’est contenté de dire qu’« historiquement, dans les cafés ouvriers, il n’y avait pas de femmes ». Voilà de quoi rassurer les habitantes de Sevran avec en tête les gueulardes de La brigade des mères ! « Clémentine Autain a donné aux barbus le bâton pour nous battre », commente Nadia Remadna, dépitée.

L’interminable avenue de Lattre-de-Tassigny coupe la ville de Sevran en deux : l’église, le seul coiffeur mixte et les cafés où on n’admet plus les femmes se situent du côté de la gare de Livry. De l’autre côté, celui où habite Nadia, s’étendent les Beaudottes, la « no go zone ». Le maire PS de la ville, Stéphane Gatignon, a projeté en son temps d’y légaliser le cannabis, voulant ainsi en finir avec les dealers. Bien que ce ne soit pas la pire des ses idées, les Beaudottes ne se sont jamais transformées en Baltimore de la série The Wire, de sorte que le commerce des stupéfiants y prospère à présent au même titre que le recrutement au djihad. Six jeunes issus de Sevran seraient à ce jour morts « en martyrs » en Syrie. Depuis la mise en œuvre de la politique des « grands frères », les alliances inavouables entre les pouvoirs locaux et les intégristes se sont imposées quasi naturellement. Marie-Laure Brossier, élue de la majorité socialiste de Bagnolet, en dénonce courageusement la mécanique : « La gestion des villes de Seine Saint-Denis intègre de fait la gestion des communautés religieuses. D’ailleurs, si vous n’entrez pas dans une case confessionnelle, vous n’êtes pas représenté, vous n’avez aucun lobby derrière vous. » En clair, pour obtenir un financement, une salle de réunion ou encore un poste d’agent à la ville, il est fort utile de passer par une des nombreuses associations dont les plus puissantes sont à caractère religieux. Et c’est là que les choses se corsent.

Agnieszka, une Bagnoletaise d’origine polonaise, en a fait les frais quand elle a décidé de dispenser des cours d’arts martiaux aux garçons et aux filles, et d’autodéfense aux femmes. On lui a alors aimablement fait entendre que des cours d’arabe seraient plus convenables. « Quoi qu’il en soit, je ne me laisserai pas traiter comme un steak parce que je ne suis pas voilée », lance-t-elle, parfaitement disposée à assurer sa propre sécurité. Mais l’incompréhension et le sentiment d’abandon s’emparent des plus tenaces. Révoltée par les agissements de l’ancienne municipalité communiste de Bagnolet dirigée par Marc Everbecq, Marie-Laure Brossier a dénoncé sur sa page Facebook « la présence illégale d’une école coranique dans les locaux municipaux », mis gratuitement à la disposition de l’Association des musulmans de Bagnolet. De quoi mettre en colère un certain Youcef Brakni, militant associatif, qui ne saurait supporter le rapprochement fait entre « une école coranique illégale » et l’expression « islamo-nazisme » que l’élue à empruntée à Malek Boutih, député PS de l’Essonne – lequel a eu l’audace de dénoncer la corruption morale au sein de certaines municipalités. L’affaire se termine devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, qui donne raison à Youcef Brakni. Il aurait exercé sa liberté d’opinion en critiquant le caractère « immonde et scandaleux » de l’expression « islamo-nazisme » en rapport avec « une école coranique ». Voir des fillettes voilées dans des cités françaises ne serait-il pas « immonde et scandaleux » ?

Dans ces circonstances, la curieuse tribune publiée sur le blog de la majorité bagnoletaise, Dynamique citoyenne, en octobre dernier, ne surprendra pas. Sous le titre « Un triste été pour les femmes », on y accuse notamment les tentatives d’arrêtés antiburkini : « Il faut croire qu’une oppression sexiste n’est à combattre, en France, que si elle est liée à une religion, plus précisément ici à l’islam, et qu’il n’est jamais permis de croire à l’existence d’un libre arbitre chez les femmes musulmanes. » On aura compris le message. Les plus obtus n’ont qu’à aller méditer devant une série de portraits « Paroles de femmes musulmanes », réalisée par la photographe Nathalie Bardou et exposée à l’occasion de la Conférence internationale contre l’islamophobie, charitablement accueillie par la Bourse du travail de Saint-Denis. Sur une des photos, on voit une femme voilée tenant un mégaphone. La légende renseigne : « Je suis une femme soumise… pas par mon mari, mais par la France – Hassiba. »

En quittant Sevran par la gare des Beaudottes aux allures de souk de la casbah d’Alger, on se demande combien de temps encore les braves brigadières auront la force de tenir face à la pression de toutes les pieuses victimes de l’islamophobie et à la bêtise crasse des féministes tombées dans le déni de réalité. Une lueur d’espoir s’allume, quand on sait qu’il y a aussi des hommes qui militent à leurs côtés – Ahmed, Amine, Jean-Louis, ou encore Samir qui avoue néanmoins se sentir rejeté par ses compatriotes algériens dont il ne partage pas les convictions ni les valeurs de l’islam intégriste. « J’ai pu discuter avec les gars du FIS, mais je n’y arrive pas avec les jeunes qui sont nés ici… » dit-il en guise d’avertissement. Est-il encore temps pour enseigner les lois de la République à ses « indigènes » et autres « indignés » ?[/access]

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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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