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Faisons l’amour avant de nous dire adieu


Faisons l’amour avant de nous dire adieu

Le film des frères Larrieu, Les Derniers jours du monde, est adapté d’un roman de Dominique Noguez, qui porte le même titre. Autant le roman de Noguez avait été pour nous en son temps une révélation poignante qui convoquait toutes nos obsessions, nos peurs et nos plaisirs, autant les frères Larrieu, c’était très moyennement notre came. Leur film précédent Peindre et faire l’amour, avec Auteuil et Azéma, avait été encensé par la critique du « Bloc central » (Télérama, les Inrocks) pour son audace et son intelligence du désir. Nous, nous avions été assez peu convaincus par cette histoire de deux bobos pur jus issus de la génération lyrique et qui, dans la belle maison de campagne où ils s’étaient retirés après avoir sans doute fait de bonnes affaires (mais on ne parle pas de ça dans ce genre de film car c’est vulgaire), pratiquaient à l’occasion un échangisme bon chic bon genre et déculpabilisé. Autant dire typiquement le film pour petit-bourgeois qui préfèrent se libérer au pieu que dans les urnes ou la rue.

Donc, a priori, la rencontre entre l’univers polyphonique et apocalyptique de Noguez et celui somme toute très conformiste des frères Larrieu nous laissait sceptique.

Nous avions tort. Le film est une réussite. Jamais, pour commencer, la fin du monde n’aura été représentée avec une telle distance apaisée dans l’horreur et en même temps une telle évidence, un tel naturel. Les hyperboles pyrotechniques des blockbusters hollywoodiens, les caméras hystérisées, les successions tachycardes de plans épileptiques, enfin tout cet arsenal pour adolescents qui ne connaissent que la grammaire énervée des jeux vidéos avaient fini par rendre les films sur la fin du monde aussi crédibles qu’un dessin animé.

Les frères Larrieu ont choisi un parti pris inverse. La fin du monde, c’est bien ici la fin de notre monde. Celui où l’on allait à la plage, où l’on draguait des filles, où l’on déjeunait dans des restaurants au bord de la rivière, où l’on écoutait les infos à 20 heures. Seulement, chez les frères Larrieu, la plage est régulièrement couverte de pluies de cendres, l’ensemble des convives de la petite auberge s’est suicidé après une dernière bouteille de Chinon pour ne pas voir arriver la pluie de bombes nucléaires, la rivière est remontée par des zodiacs chargés d’hommes en tenue NBC et les infos annoncent que le gouvernement se replie à Toulouse.

Dans ce chaos qui nous semble tristement possible, le héros incarné par Matthieu Amalric, marié avec Karine Viard, en vacances à Biarritz, va tomber amoureux d’une mystérieuse jeune femme espagnole incarnée par une très belle actrice au physique surprenant, androgyne et troublant, Omahyra Mota.

On a beau vivre les temps de la fin, bientôt, il n’y a plus que cet amour pour une fille qui n’est même pas son genre qui compte pour le héros. Et après qu’elle a disparu, son seul but sera de la retrouver dans un road-movie qui le mène en Espagne, sur fond d’attentats multiples, de routes encombrées, de réfugiés ou d’orgies désespérées dans des châteaux du Lot où la haute société se consume dans une manière de stoïcisme hédoniste qui ne manque pas d’une certaine grandeur. On aperçoit d’ailleurs Dominique Noguez dans cette ultime soirée, mais rassurons ses lecteurs, il garde tout le temps de la scène un smoking qu’il porte avec une élégance de diplomate. Pendant sa quête monomaniaque, Robinson (c’est le nom de naufragé que porte Amalric dans le film) sera un temps en compagnie d’une libraire jouée par la délicieuse Catherine Frot et croisera un vieil ami bisexuel chanteur d’opéra joué par Sergi Lopez.

Pour saisir toute l’originalité des Derniers jours du monde, il faudrait donc imaginer Swann et ses souffrances amoureuses, Swann et sa quête désespérée d’Odette dans la nuit de Paris, alors que les sirènes résonneraient dans le salon de madame Verdurin et que le baron de Charlus serait obligé d’évacuer une zone contaminée par un virus émergent dans l’hélicoptère d’une armée en déroute.

Finalement, pour reprendre le titre du précédent film des frères Larrieu que nous allons revoir pour réviser notre jugement, pendant l’apocalypse, on continue à peindre et faire l’amour.

Et c’est aussi joyeux que poignant, cette noblesse dérisoire, cette faculté de l’inutile, qui survit, malgré tout, dans la fin de toute chose.

Les derniers jours du monde - NE 2009

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