Accueil Politique Faire payer les riches pour faire rêver les pauvres ?

Faire payer les riches pour faire rêver les pauvres ?


Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Levy et Pascal Riché débattent du programme de François Hollande.

Visiblement, je n’avais pas tout compris. À quinze jours du premier tour de l’élection présidentielle, je croyais être bien informée sur les intentions des principaux candidats, qui avaient déjà décliné leurs programmes en projets à moins que ce fût l’inverse. Mais on me dit que la publication des mesures proposées par les deux favoris a été l’événement de la semaine. Il faut dire que les communicants se sont creusés la tête pour inventer un nouveau genre de paquet-cadeau. Mercredi, François Hollande dévoilait sa « feuille de route », terme militaire signifiant que les mesures, déjà connues pour la plupart, sont assorties d’un calendrier — il ne manque plus que le dress-code. Quant à Nicolas Sarkozy, c’est pas pour me vanter, mais il m’a écrit une lettre. Je ne l’ai pas encore reçue, mais comme il a tout raconté en conférence de presse jeudi, j’ai l’impression que je n’aurai pas de surprise ébouriffante.

Alors, je ne voudrais pas faire ma fine bouche, mais j’ai un peu l’impression qu’on me ressert à Pâques les cadeaux qu’on m’avait offerts à Noël. Puisque François Hollande a dégainé le premier (et que c’est à son sujet que nous avons décidé de croiser le fer), penchons-nous sur la « feuille de route ». Pas grand-chose de nouveau, donc: toutefois, j’ignorais que la première mesure du candidat socialiste, s’il est élu (et qu’il a une majorité parlementaire) serait de réduire les salaires des ministres et du Président de 30 %. Mesure symbolique, se sont extasiés les confrères. Certes, puisque c’est la première, mais symbolique de quoi ? C’est comme ça qu’il va nous sortir de la crise le successeur de Jaurès et de Mitterrand — ou peut-être de Guy Mollet ? Si au moins vous-et-moi récupérions la différence, mais non, c’est juste pour montrer que lui, il n’est pas comme ces gens de droite qui aiment l’argent. Plus démago tu meurs. D’ailleurs, il a aussi remis dans le paquet son joli gadget: la tranche d’imposition à 75 % pour les vraiment-trop-riches, ça ne rapporte rien (c’est lui qui le disait il y a un an) mais il paraît que ça fait plaisir aux gens qui galèrent. Moi j’appelle ça la politique du ressentiment et ça ne me dit rien qui vaille. En revanche, il n’est pas forcément absurde de vouloir limiter l’éventail des rémunérations dans les entreprises publiques — de 1 à 20 — parce qu’après tout, servir son pays est un honneur qui vaut bien quelques sacrifices: j’attends avec impatience les réactions des dirigeants actuels ou futurs desdites entreprises.

Il serait fastidieux de commenter chaque mesure. Je compte néanmoins sur mes valeureux adversaires pour décrypter les intentions hollandaises sur la réforme des retraites, vous savez la mère de toutes les injustices. « Retraite à 60 ans avec 41,5 annuités », nous dit l’homme qui veut sauver la France du sarkozysme. Certes, il y a le mot magique — « 60 ans »—, mais je flaire l’entourloupe: dans la vraie vie, ces « 60 ans avec 41,5 années de cotisation » risquent d’amener beaucoup de gens à la retraite à 62 ans, non ?

On ne s’attardera pas sur le mariage gay, le droit de vote aux étrangers et le « droit de mourir dans la dignité », ce qui veut dire « euthanasie », qui font partie de la panoplie des droits nouveaux que la gauche offrira à la France — s’accrocher à la vie, c’est indigne ? Pour le reste, le candidat socialiste promet de créer des emplois publics en pagaille et de verser plus d’allocations aux plus pauvres, je n’ai rien contre. Mais il y a comme qui dirait une vague contradiction. Comment fera-t-on tout cela après le 3 juillet, date à laquelle, si j’en crois la « feuille de route », le Parlement, réuni en session extraordinaire, aura voté une « loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Un texte qui, quelles que soient les réformes engagées durant le quinquennat, bordera l’action gouvernementale, avec l’engagement de tenir l’objectif de zéro déficit en 2017 » ?

Et là, chers amis, il y a foutage de gueule. Je veux bien qu’on embauche des fonctionnaires et qu’on augmente les allocations de ceci ou de cela, mais sauf à piquer leurs biens à tous ceux qui gagnent plus de 4000,00 € par mois (ce qui, pour Hollande, définissait les riches il y a trois ans) après les avoir guillotinés ou enfermés, je ne vois pas comment cela va nous amener à « zéro déficit » en 2017.

Vous me direz que le président sortant ne propose pas autre chose: «Toutes mes propositions, a-t-il dit, s’articulent autour d’un objectif: l’équilibre des finances publiques en 2016» — ça fait rêver, non ? Il me semble cependant qu’il se fiche un peu moins de nous puisqu’il ne propose pas en prime de recruter des fonctionnaires à tour de bras. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas tout-à-fait blanc bonnet et bonnet blanc, mais dans la vraie vie, je ne suis pas sûre qu’on fera la différence. Je ne veux pas faire de la peine aux gens qui dorment bien parce qu’ils sont de gauche et détestent Nicolas Sarkozy, mais sur des broutilles comme l’Europe, l’euro et le libre-échange, on dirait bien que nos duettistes sont assez d’accord. Alors, profitons des quelques semaines qui nous séparent de l’élection, parce que j’ai comme l’impression qu’après, on ne va pas rigoler. Même quand on est « de gauche ».



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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