Viva Zapata, viva Villa, viva Plenel!


Viva Zapata, viva Villa, viva Plenel!

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Camarade Plenel. Sur Twitter, tu as publié le 19 juin une vidéo annonçant – car tu es prophète – la fin du vieux monde.

Tu as su tisser avec dévouement et persévérance son linceul. Ah, ces images de foules encagoulées partant à la conquête du ciel. Ils sont tous là de plus en plus nombreux : zombies, cavaliers de l’apocalypse, guerriers du futur. La police tire. Un camarade tombe, d’autres le remplacent. Dans les gratte-ciel de New York, les requins de la finance tremblent.

Et la foule, celle des sans-visages et des sans-dents, le peuple quoi, grossit. Ce n’est plus une vague mais un raz-de-marée. Et les uns après les autres, les lieux de pouvoir, les citadelles de l’argent roi s’écroulent. Mais surtout, à ces images destinées à mobiliser les masses populaires que tu as conviées à occuper le siège de la DGSI à Levallois-Perret, avec les « Occupy DGSI », tu as ajouté un commentaire enthousiaste. « Comme un air de zapatisme urbain ! » Rien de plus beau n’a été écrit depuis « qu’un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme ».

Tu es le seul à avoir le sens de l’épopée à une époque piétinée par des sigles horribles et déprimants : FMI, BCE, Commission de Bruxelles, CAC 40. Tu as su faire revivre la belle et héroïque légende d’Emiliano Zapata. Je te vois avec ton sombrero, la poitrine bardée de cartouchières, galopant l’air farouche à la tête de milliers de peones révoltés. Oui, tu entres dans Mexico libéré et la foule en liesse crie « Viva Plenel ». Mais peut-être était-ce avec Pancho Villa, autre chef de la révolution mexicaine moins connu que Zapata parce que ce n’est pas Marlon Brando qui l’a incarné à l’écran. Peu importe. Tous les deux ont la moustache. Comme toi…

Je n’ai pas douté un seul instant de toi : tu serais bien sûr à la tête des combattants qui, le dimanche 21 juin, devaient donner l’assaut à la DGSI. Une cible de choix. Ton Palais d’Hiver à toi. La DGSI, c’est tout un symbole : le siège de l’Okhrana tsariste. Oh pardon, succombant au charme de ton lyrisme, je me suis trompé d’époque et je dis des bêtises… La DGSI, c’est bien pire que l’Okhrana. C’est elle qui nous surveille. Qui nous guette. Qui pénètre nos ordinateurs. Qui écoute les conversations des révolutionnaires de Mediapart. Qui traque les guerriers du djihad. De merveilleux rebelles qui, hélas, se trompent de cause : c’est ici, en France, et non pas en Syrie et en Irak, qu’il faut combattre l’Empire.

Tu devais y être à la DGSI, n’est-ce pas camarade ? Et je t’ai imaginé posant crânement devant les ruines fumantes de ce repère de basse police. Ah bon ? Tu n’y étais pas ? Pourtant, je m’y suis déplacé rien que pour toi car « Occupy DGSI », sans ton panache, sans toi, Lider Maximo, c’était comme un troupeau sans berger. Sans doute, c’est à cause de ton absence que les sbires de notre police politique ont pu briser l’élan des masses.

Ah tu étais occupé ? Je comprends. Tu remontais le temps. Vers le Mexique et ses révolutions ? Non, vers la jeune République soviétique. En mars 1921. Décidé d’écraser, avec des milliers d’autres combattants de l’Armée Rouge, les insurgés de Cronstadt, des marins révoltés, anarchistes, socialistes révolutionnaires, qui s’étaient dressés contre le pouvoir bolchévique. Oui, tu étais là, répondant à l’appel du vénéré Léon Trotsky, chef suprême de l’armée. Adios sombrero ! Adios cartouchières ! Tu avais fière allure avec ta casquette à étoile rouge et ton Nagan, l’arme de service de la Tcheka, à la main. Tu fus impitoyable avec les contre-révolutionnaires : 2 168 exécutions sommaires, une balle dans la nuque.

Tu n’es pas content ? Tu n’aimes pas qu’on te parle de Cronstadt ? Sur Mediapart, le mausolée que tu t’es érigé de ton vivant et où tu seras embaumé, tu as répondu par avance à mes insinuations calomnieuses. La veille de ton vibrant appel zapatiste, tu as fait publier un texte prémonitoire (concernant mes allégations), pour dire enfin, et une fois pour toutes, la vérité sur ton combat de mars 1921.

C’était signé d’Audoux, docteur en sciences politiques et agrégé d’économie et de gestion. « Cronstadt ? C’est souvent l’argument ultime de la bourgeoisie (…) mais aussi de la petite bourgeoisie radicalisée et des anarchistes. » Suivait un cri pathétique : « Fallait-il abandonner le pouvoir aux capitalistes et aux forces blanches ? » Et cette plainte susceptible d’émouvoir les cœurs les plus endurcis : « la répression, une tragique nécessité accomplie à contrecœur ». Vous entendez : « à contrecœur » ! Qu’est-ce que ça aurait été si on y avait mis du cœur… Oui, je sais, camarade Plenel, la révolution n’est pas un dîner de gala et on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. 2168 œufs cassés. Faut vraiment aimer l’omelette.

Tout compte fait, tu as eu raison de t’évader vers Cronstadt et de ne pas venir à Levallois-Perret. D’après Rue89, qui a pris très au sérieux ton appel, ils étaient tout au plus quelques dizaines devant le siège de la DGSI. Et pourtant, tous les mouvements révolutionnaires avaient battu le rappel de leur troupe : la LDH, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat national des journalistes, Alternative libertaire, la Confédération paysanne (fallait bien une faucille pour aller avec les marteaux), SUD, le Parti de Gauche…

Pas de révolution, mais pas du tout. La DGSI est restée debout. Toujours aussi arrogante et dominatrice. En effet, cette mince, très mince, avant-garde des masses populaires était là en réalité pour un pique-nique musical. Le 21 juin, fête de la musique. Pas de la Révolution. Et ils n’ont même pas chanté « pueblo unido jamas sera vencido ».

Des révolutionnaires en peau de lapin. Des lâches. Des mous. Des pleutres. Et à voir le triste spectacle qu’ils ont offert, on peut légitimement supposer qu’ils étaient payés en sous-main par les sociaux-traîtres hollandais. Afin de discréditer l’idée même de la révolution et de porter atteinte à ta glorieuse image. Pas de pitié avec ces gens-là ! Ils ne te méritent pas. Et toi tu sais ce qu’ils méritent. Vas-y. Comme à Cronstadt.



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est journaliste et essayiste

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