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Et si l’on créait de la monnaie, pour de bon?

Bravons les interdits


Et si l’on créait de la monnaie, pour de bon?
L'économiste Jean-Luc Gréau photographié en 2012 Numéro de reportage : 00634389_000019 © BALTEL/SIPA

 


C’est un déluge qui s’abat sur les économies depuis que nos populations affrontent le coronavirus. Un déluge d’argent pour subvenir aux besoins sanitaires qui ont explosé et pour combler les déficits considérablement aggravés qui vont découler de la récession économique.


L’Allemagne est montrée en exemple, elle qui était il y a peu encore montrée du doigt pour son entêtement à pratiquer l’austérité budgétaire alors qu’elle affiche des excédents depuis plusieurs années déjà : elle a décidé de débloquer quelque 882 milliards d’euros de prêts pour les PME à partir de la Banque Publique. Les États-Unis ne sont pas en reste : Donald Trump et le Congrès américain font à nouveau exploser le déficit en ajoutant 2200 milliards aux 1000 milliards déjà comptabilisés. La France jette modestement 45 milliards dans la balance mais à partir d’un déficit 2019 estimé aux alentours de 90 milliards d’euros avant de comptabiliser les pertes de recettes liées à la crise économique.

Les keynésiens qui n’avaient pas désarmé, sortent du bois pour se réjouir du changement de trajectoire dont ils espèrent qu’il se maintiendra au lendemain de l’épidémie. Les socialistes impénitents rient sous cape à l’idée que de grands groupes comme Renault ou Air France pourraient être nationalisés.

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Voire. Les décisions lourdes déjà prises ou celles à venir nous sont présentées par les dirigeants politiques comme des mesures d’attente qui ne préjugent pas de la gestion publique à venir. Une fois la tourmente passée, il faudra, pensent-ils, revenir aux bons principes de la modération des dépenses et de budgets équilibrés ou presque. La doctrine du système reste inentamée dans les discours. Le débat omet cependant, sauf exceptions individuelles, un paramètre décisif sous la forme de la création monétaire.

Moins de production, plus de dettes

J’ai conscience, en disant cela, de choquer nombre de personnes qui assistent aux actions, sans précédent, de soutien par les banques centrales. Que signifient, me diront-elles, les 750 milliards d’euros créés ex nihilo pour être jetés sur les marchés par la BCE dans la nuit du 15 au 16 mars ?

Ces sommes, comme celles qui sont injectées un peu partout de par le monde par les banques centrales, sont orientées vers les marchés financiers. Elles servent à racheter en masse des emprunts anciens pour soutenir leurs cours et, ainsi, faire obstacle à la faillite du système bancaire. Nous assistons à un remake du film qui s’est joué entre 2008 et 2014 où les acteurs monétaires ont empêché la dépression et, accessoirement, sauvé l’euro.

On oublie le coût de ce sauvetage. On oublie le fait qu’on a traité le mal par le mal, une crise de surendettement privé et parfois public par l’offre massive de prêts à bas coûts qui a porté l’endettement global du monde à des niveaux stratosphériques. Celui-ci a triplé depuis 2008 sans compensation comparable de la production mondiale, bien loin de là.

C’est dans la zone euro que le bât blesse le plus. Car les facilités de crédit offertes par les banques avec le soutien de la BCE n’ont généré qu’une croissance modeste, voire misérable. Le PIB de la zone s’est accru de 1% en 2019 mais de zéro ou presque dans des pays comme l’Italie ou l’Allemagne. Et voici qu’une forte récession, de l’ordre de 6% au moins va affecter les économies de la zone. Toutes les économies, sans exception, seront victimes d’un « effet de ciseaux » avec une production en berne et des déficits en forte expansion.

Encore faut-il savoir mesurer l’impact d’une récession sur les comptes publics. La France a subi entre 1992 et 1993 une récession jugée sévère à l’époque, de 1,2% du PIB. Son déficit public a bondi de moins de 2% du PIB à plus de 5% en l’espace d’un exercice, sans que la colonne des dépenses ne se soit vraiment accrue sinon du fait des dépenses de chômage supplémentaires.

Si l’on admet que l’impact sur les comptes publics sera dévastateur du double fait de la récession et des dépenses extraordinaires, c’est un casse-tête qui se présente devant nos dirigeants sous la forme d’une évolution non maîtrisable des déficits et des dettes.

Le nouvel impératif monétaire

Toute la difficulté présente provient du fait que les dépenses extraordinaires et le manque à gagner seront financés par l’emprunt sur les marchés du crédit, par l’emprunt des États auprès des banques elles-mêmes refinancées par la banque centrale. Ironie du sort, la sauvegarde de certaines banques par les États sera couverte par des emprunts desdits États auprès du système bancaire !

Est-il besoin de dire alors qu’il faut créer de la monnaie nouvelle pour couvrir tous les déficits supplémentaires occasionnés par la crise, déficit de l’assurance-maladie, de l’assurance chômage, des retraites, de l’État, des soutiens aux PME qui ont besoin de deux mois au moins de trésorerie gratuite, sans quoi la récession tournerait à la dépression ? Est-il besoin de dire que le maintien de la doctrine du financement non monétaire des dépenses publiques, tandis qu’on déverse de l’argent nouveau sans discontinuer sur les marchés financiers, est suicidaire ? Est-il besoin de dire, accessoirement, que le risque d’inflation est nul alors que la déflation pointe à l’horizon comme en 2008 ? La BCE devrait être autorisée à créer de la monnaie, remise directement aux Trésors publics, pour couvrir ces dépenses, en rupture avec ses statuts.

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Car c’est la zone euro qui est la plus concernée. Elle a connu, entre 2008 et 2019, la plus faible croissance du monde, une croissance qui devrait être annulée par la crise en cours. Elle n’a pas réduit vraiment ses dettes anciennes sauf en Allemagne. Et elle est emmaillotée dans une monnaie unique qui interdit les ajustements de parité entre les pays les plus productifs et les moins productifs. Et qui interdit aussi le financement monétaire du système public quel que soit le contexte.

Ce que je propose, sous la forme d’une exception temporaire à la règle d’interdiction, se heurte inévitablement à une objection. Ne voulez-vous pas, me dira-t-on, préparer la voie à un changement de la règle et ébranler le système en profitant des turbulences du moment ? Ne cherchez-vous pas à saper les bases de la monnaie unique, symbole de l’Europe intégrée ?

Réponse : oui. Oui, l’épidémie si redoutable nous offre l’occasion de réarmer nos intelligences, de libérer nos neurones paralysés par une doctrine qui interdit le débat. Avec cet argument ultime : si la déflation s’abattait sur nos peuples, l’hypothèse d’une nouvelle expérience socialiste s’imposerait à nouveau, nonobstant ce que l’ancienne a pu révéler de nocif ou de monstrueux.

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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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