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Du Gaza au prix du gaz


Du Gaza au prix du gaz

Bonne nouvelle pour les Gazaouis : ils n’ont pas souffert pour rien ! Grâce à leurs sacrifices, le Qatar a pu consolider sa place, aux côtés de l’Iran et de la Russie, dans le cartel du gaz nouvellement créé. Heureusement, les Qataris ne sont pas chiens, et après avoir contribué à déclencher la crise entre Israël et le Hamas, ils vont envoyer un chèque. On peut compter sur eux : après la guerre du Liban de l’été 2006, ils avaient payé rubis sur l’ongle.

Il faut dire que le petit émirat mène une politique aussi ambitieuse qu’audacieuse. Avec la place qu’il occupe au soleil, il ne peut pas se permettre d’être trop timide. Tous les Etats du golfe arabo-persique, pour n’offenser personne, qu’ils soient minuscules comme le Bahreïn ou le Qatar ou grands comme l’Arabie Saoudite, ont un cauchemar commun : un Iran nucléaire. Ils savent pertinemment que si Saddam Hussein avait disposé de la bombe en 1990, le Koweit serait aujourd’hui une province irakienne. De Doha à Abu Dhabi en passant par les autres capitales plantées sur des champs de pétrole et de gaz, les dirigeants font le même constat : du jour où il se sentira intouchable grâce à la bombe, l’Iran s’emparera de leurs gisements pour les partager d’une manière plus islamiquement correcte. Des prétextes, ça se trouve – avec un peu de mauvaise foi et une carte d’état-major britannique des années 1920, n’importe qui peut toujours concocter un petit conflit frontalier.

On me fera remarquer que cette configuration géopolitique ne date pas d’hier. La réponse stratégique traditionnelle est l’alliance américaine : en cas d’urgence, il suffit d’appeler le 911 et les porte-avions sont là sous quinzaine. Mais Hamad bin Khalifa Al Thani, le très habile émir du Qatar, a choisi une autre voie : pour être absolument sûr de ne pas perdre son pantalon, c’est ceinture et bretelles. Si celles-ci sont made in US, ce grand-croix de la Légion d’honneur (1998) a opté pour une ceinture iranienne. Base américaine (et relations discrètes avec Israël) d’un côté, alliance avec l’Iran et la Russie de l’autre.

Dans le vaste monopoly régional, le Qatar dispose de deux cartes majeures : le gaz, d’une part, son influence dans la Ligue arabe et dans le monde arabe en général, de l’autre. L’émirat possède 15 % des réserves mondiales de gaz, ce qui en fait la troisième puissance dans ce domaine, après la Russie et l’Iran. En matière de GNL (gaz naturel liquéfié), produit d’un processus couteux et compliqué, le Qatar, qui a fait les investissements nécessaires, s’impose déjà comme numéro un mondial. Pour Moscou et Téhéran qui cherchent à maximiser le bénéfice géostratégique de leurs ressources énergétiques, et se verraient bien verrouiller le marché à travers une sorte d’OPEP du gaz, Doha est incontournable. Depuis octobre dernier, cette triple-alliance gazière contrôlant 60 % des réserves mondiales est une réalité.

Pour un petit pays qui prétend peser sur la politique arabe, l’argent est nécessaire mais pas suffisant. Il lui faut faire parler de lui. L’émir a donc lancé la chaîne Al-Jazeera qui, en quelques années, a transformé Doha en une sorte de Mecque médiatique. Pour la visibilité, c’est donc fait et bien fait. D’autre part, pour accroître son poids politique, l’émir a systématiquement noué des liens avec les bêtes noires du monde arabe : le Hezbollah au Liban, le Hamas en Palestine et la Syrie. Pas besoin d’être Alexandre Adler pour voir que cette short-list correspond à la bande à Ahmadinejad.

Depuis le début de la décennie, le Qatar s’est imposé comme un intermédiaire incontournable dans les affaires libanaises. Ainsi alors que le traité interlibanais qui avait mis fin à la guerre civile dans le pays du Cèdre avait été signé en Arabie Saoudite, à Taëf, le compromis qui a ouvert l’an dernier la voie à l’élection d’un nouveau président à Beyrouth a été négocié à Doha. Rien de plus logique : pendant la guerre au Liban en 2006, Riad a ouvertement critiqué la milice chiite pour son aventurisme alors qu’à Doha, on n’était pas loin de qualifier de « collabos » les pays arabes qui avaient émis des doutes sur la stratégie du Hezbollah. Une position qui révèle un certain culot : Israël avait une représentation quasi-officielle à Doha, ce qui serait impensable à Riad.

Le Qatar profite en fait du déclin de l’Arabie Saoudite, dont l’hégémonie régionale a été sévèrement ébranlée par le 11 septembre et les tensions qui s’en sont ensuivies entre Riad et Washington. Mais c’est surtout le retour de la Russie qui a radicalement changé la donne. Moscou précipite la région dans une nouvelle guerre froide où Gazprom remplace le Komintern/Kominform. Pour s’imposer, Moscou souffle sur les braises iraniennes : sans bénéficier en sous-main d’un soutien russe, Téhéran ne se serait pas engagé dans son délire nucléaire et hégémonique.

Voilà donc à quelle table s’est invité l’émir du Qatar, un pays qui, malgré son triple voire quadruple jeu, a bel et bien choisi son camp. Et tant pis pour ceux qui en meurent, au Liban et à Gaza[1. De grâce, épargnons-nous une discussion absurde. Il ne s’agit nullement d’amoindrir les responsabilités israéliennes. C’est un autre sujet et je le traite ailleurs.]. Le chèque est dans la boîte à lettres.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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