Au lit avec Dieudonné


Au lit avec Dieudonné

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Au panthéon du masochisme de salon et autres perversions domestiques, certains exaltés comme Jean-Luc Mélenchon relisent les grands auteurs d’extrême droite pour nourrir leurs réflexions républicaines. D’autres, à la manière de Tony Soprano (Les Soprano, HBO), s’endorment devant des documentaires sur les batailles de l’Afrikakorps en mangeant de la crème glacée. Moi, je regarde Dieudonné sur le net (J’ai fait l’con, Foxtrot, Mahmoud, Le Mur, la chaîne Quenel+, etc.), seul et nu sous mes draps à la nuit tombée. Je sais, ça jette comme un froid. Surtout lorsque – c’est mon cas – on a les cheveux bien dégagés autour des oreilles, une passion pour l’histoire des sociétés secrètes et des aïeux qui ont toujours un peu confondu, c’est vrai, Marthe Villalonga et Golda Meir… Mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Dieudonné sur YouTube (« Le Premier ministre Manu Blancos, il ne se rend plus compte que sur internet, le système dans lequel il est, il n’existe quasiment plus ») me fait l’effet d’un discours de Mussolini en casque à plumes, remixé par Jay-Z avec toute la puissance comique de Fernandel et Jimmy Fallon réunis (l’ex-humoriste vedette du Saturday Night Live sur NBC). Ah, ces saillies antisémites grognées toutes les dix minutes comme dans une pub pour les céréales (« Si BHL est philosophe, alors peut-être que les chambres à gaz n’ont pas existé ») ! Quel talent pour le racisme chansonnier, ce M’Bala M’Bala (« Vous êtes chinois ? Mais pour quoi faire ? ») ! On a la gerbe en cascade (« Calme-toi, je vais pas te déporter »), un vrai geyser de merde en mode « repeat » (« Moi, j’ai de très bons amis au Hezbollah, ils ne se sentent pas du tout terroristes »)…

Mais qu’est-ce qu’on se marre (même de travers).[access capability= »lire_inedits »] Je l’avoue – et peut-être est-ce très irresponsable de ma part –, je suis un peu comme Pascal Bruckner et quelques autres, toujours aussi fasciné par le génie comique de ce Farrakhan grotesque d’Eure-et-Loire (« Je te salue, George. Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne sur la terre comme dans les sous-sols, si riches en pétrole »), son sens presque chimique du public (« Vous êtes possédés ou quoi ? »), son écriture à la Audiard qui se serait oublié à l’apéro (« J’roulais comme un assassin »)… Fasciné et révulsé, comme après un gros patin sous la douche avec Bachar al-Assad, par ses bouffées délirantes sur les Juifs (« Le rêve américain, ça marche quand on est blanc et qu’on est juif »), la guerre des races et le grand complot (« Le 11 Septembre, tu bouffes, tu la fermes, tu finis les miettes dans l’assiette »), qu’il transcende avec un sens du martyre et de la vanne (« Hitler lui-même était nègre, Mi-choco il se faisait appeler ») totalement inégalé dans l’histoire des futurs dictateurs. Pardon, mon Dieu ! Pardon, Manuel Valls et tous les socialistes à théière de la presse ! Il m’arrive de rigoler, voire même de hurler de rire (quand les volets sont bien fermés), devant les blagues les plus inavouables du Brasillach camerounais (« Je me suis converti au judaïsme, la religion du profit »), tout en souhaitant qu’il ne les ait jamais faites (surtout celles sur Patrick Cohen) et qu’on passe – enfin – à autre chose.

Car le vrai problème, ce n’est pas tant que j’aime rire de tout avec n’importe qui (et visiblement, je ne suis pas le seul). C’est qu’après dix ans de goulag et d’autocensure sur le sujet, dix ans à faire comme si les spectacles de Dieudonné et ses fans ne relevaient que de la chronique judiciaire, dix ans à ne jamais oser en parler autour de soi, de peur de perdre illico, et dans l’ordre, sa femme, ses amis, son froc et tout avenir professionnel dans un rayon de 100 kilomètres au large des côtes françaises, j’en étais arrivé – comme une partie de son public – à ne plus voir l’artiste qu’en pointillé. C’est-à-dire bien souvent pour le meilleur et pour le pire. Une citation dégueulasse par-ci (« Le mariage pour tous est un projet sioniste »), un bout de provo néonazie par-là (« J’ai dit à mon père qu’il aurait pu mourir à Auschwitz, c’est plus classe, et derrière y a les moyens de gratter un peu »), quelques effets de manches devant les tribunaux (« Le seul endroit où je vais pouvoir me produire jusqu’à la fin de l’année »). Et, au bout du compte, des extraits de sketchs picorés en streaming (« Nous en Afrique, on dit que quand tu es pédé comme ça, ce n’est pas de ta faute. C’est parce que tu as été ensorcelé, c’est Belzébuth qui est rentré dedans par les fesses »), si grinçants et frappadingues qu’ils renvoient dos à dos l’intégralité des humoristes français à l’école du rire. « Ce qui est vicieux, c’est qu’il est toujours aussi drôle », déplore son ancien camarade de jeu Élie Semoun. Lui qui a tant de mal à remplir les salles de ses débuts sait combien le révisionnisme potache (et sinistre) de Dieudonné n’a rien gâché de ses dons pour l’absurde (« Heureusement que j’ai eu un père alcoolique qui m’a inculqué des valeurs, sinon je te défoncerais la gueule ») et le jeu de scène, au contraire. Que valent aujourd’hui les Bigard, Timsit, Dubosc et Cie, face à la fièvre et l’hystérie vacharde de la vague Dieudonné ? Que vaut même le Dieudonné d’avant le sketch fatidique du colon israélien chez Fogiel (le 1er décembre 2003) et le pétage de plombs qui s’est ensuivi ? Il faut revoir dans son intégralité Cocorico !, le troisième spectacle en solo de Dieudonné à Bobino (2002), un an avant sa grande transformation en salafiste de cabaret. Tout est là : les grognements de hyène, le rudoiement du public, le phrasé de Martien beauf (« J’aime faire chier les cons »), la théorie du complot, les digressions douteuses, la rage… Mais en sourdine, presque à l’étouffée, du Dieudonné mezzo voce. Même sa célèbre punchline : « Ferme-la ! Ferme-la à tout jamais ! Ferme-la physiquement » n’est encore qu’un banal : « Tais-toi, mais tais-toi donc. » Du bon one-man-show, du « comique intello », comme l’encensait la presse de l’époque – quelle ironie –, mais terriblement périssable et petit bras, limite Chris Rock égaré chez Bouvard. Deux ans plus tard, c’est une vraie pop-star qui fait son entrée sur scène pour la représentation de Mes excuses (« Pardonne à la bête les offenses proférées, mais je n’ai pas d’âme, mes paroles ne sont qu’un grognement instinctif ») à… Montréal. L’antisémite est devenu la diva des horribles, et même les familles canadiennes du festival Juste pour rire ne trouvent rien à y redire. Certains, m’a-t-on laissé entendre, en rigoleraient encore. Des idiots utiles ? Si ça peut vous faire plaisir. Quant à moi, autant l’avouer ici tout de suite et pour toujours, je n’ai jamais trouvé le courage d’aller voir Dieudonné sur la scène de son Théâtre de la Main d’Or (Paris XIe). Sûrement trop peur qu’on me reconnaisse dans la queue ou de passer la fin de soirée au kebab avec des intellos à casquette ! Ma dieudophilie est comme une partouze de notaires. Faux derche, en ligne et surtout très discrète. Ses sketchs sur les présidents africains (Ignace Mukuna, la « montagne de flamboyance »), les Pygmées (« Les mecs, ils trimbalent des bactéries du Moyen Âge, à dix mètres tu te grattes ») et les alambics du Cameroun (« Avec ça, même les Blancs ont les cheveux qui frisent, dans le quartier tout le monde est rouquin ») libèrent, un temps, des araignées en vert-de-gris qui squattent le cerveau malade de leur auteur. Des pollutions nocturnes qui soulagent aussi, il faut bien le dire, de la bien-pensance en triple couche que nous réchauffe le gouvernement chaque fois que la croissance est en berne. Oui, il faut regarder en totalité les spectacles de Dieudonné sur internet (je fais de mon mieux) et le voir sur scène pour comprendre à quel point ce Mozart de la connerie utilise tout son art au service des idées fétides de ses amis (Alain Soral, etc.), dont il est plus sensé de rire à gorge déployée – tant elles sont justement risibles – que de faire comme si elles constituaient la cinquième colonne de l’anti-France.

Dans quelques jours, Dieudonné va repartir en tournée avec son nouveau spectacle (En paix) et le ballet habituel des menaces d’interdiction, des polémiques de civilisation et des crispations ethniques dont, au fond, nombre de ses fans (même les plus bas du front) n’ont strictement rien à foutre à partir du moment où ils passent une bonne soirée. À l’approche des élections régionales et de leur fessée programmée, le Premier ministre et toute sa caravane publicitaire vont faire de la lutte contre l’antisémitisme sur la toile (et donc, contre Dieudonné) une urgence nationale, histoire d’occuper les esprits avec autre chose que les formulaires d’inscription à Pôle emploi. Grand bien leur fasse. Mais qui, du pantin paumé des affreux ou des camelots du PS à la recherche d’un nouveau Jacques Doriot, seront les plus escrocs ? Salles combles et carton d’audience numérique garantis.[/access]

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*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21688271_000004.

Septembre 2015 #27

Article extrait du Magazine Causeur



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