Conférence présidentielle: du flou et de l’enfumage


Conférence présidentielle: du flou et de l’enfumage

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Vous rappelez-vous David Hamilton ? Il photographiait des nymphettes nimbées de flou, dans les années 60-70. À son exemple nous déposions pieusement un peu de vapeur fugace sur nos objectifs pour auréoler nos photos d’un brouillard qui gommait les aspérités et les éventuelles vergetures…
François Hollande, qui a peu ou prou mon âge, a-t-il rêvé lui aussi, dans sa chambre d’adolescent, à ces créatures improbables (Hamilton prétendait qu’il les lui fallait vierges, sinon l’aura naturelle disparaissait) punaisées contre son mur ? En tout cas il est passé maître dans le flou et l’enfumage. Et quand des journalistes se la jouent à l’américaine et ne se satisfont pas de ce gommage des contours, de cette absence radicale de précision, ça l’agace — ça l’énerve même. Du coup, même en raccourcissant l’exercice, il n’évite pas l’ennui. Le nôtre, et, visiblement, le sien.

La dernière conférence de presse de Moi-Président a été une très jolie démonstration d’art hamiltonien. Des imprécisions partout, du non-dit en filigrane. Des réductions d’impôts financées par des « économies » — sur quoi ? Et pour qui — apparemment, pour ceux qui déjà ne paient pas d’impôt sur le revenu, les classes moyennes attendront la semaine des quatre jeudis… En attendant, on ne touche pas à la TVA, le plus injuste de tous les impôts — mais celui qui fait rentrer le plus de pépettes — ni à la CSG/CRDS : bricolage et racolage sont les deux mamelles de la politique hollandiste. Une réforme du code du travail mais sans toucher à l’essentiel — pourquoi diable l’engager ? Peut-être une réforme du mode de scrutin — mais ce n’est pas sûr. Quant au chômage… Le jour même paraissait un sondage qui était dans toutes les têtes (et forcément dans la sienne) qui l’éliminait du second tour des présidentielles dans tous les cas de figures. Alors, Lui-candidat ? «La baisse du chômage est « une exigence morale » — pour les réalisations pratiques, on verra plus tard. Et pour le pacte de responsabilité, dont on attend toujours les mirifiques résultats, on verra plus tard s’il faut le réviser. Gouverner, c’est lanterner.

Ah, mais quand même, on essaiera de ratifier la charte européenne sur les langues régionales. Ça, c’est présidentiel. Et on engagera la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, dont tout le monde se fiche.
Restait les questions internationales. Nos avions vont survoler la Syrie : sûr que ça dissuadera Daech de dynamiter d’autres temples à Palmyre, et de décapiter d’autres populations antagonistes. Parce qu’il n’est pas question d’aider Bachar, toujours qualifié de nœud du problème — hier encore sur i-télé par cet immense stratège qu’est Bernard-Henri Lévy, l’homme grâce à qui la Libye a été rendue à la paix et à l’harmonie : à ceci près que si Bachar saute, l’Etat islamique se fera un plaisir de massacrer deux à trois millions d’alaouites, et deux millions de chrétiens. On survole — c’est tout un symbole. On accueille 24 000 réfugiés sur deux ans (quantitativement, ce n’est rien, juste de quoi faire pousser des cris d’orfraie à une opposition pas bien droite dans ses bottes), on adhère aux quotas sans le dire, on reste fidèle à son état de marionnette de Merkel, et surtout, surtout, on n’ira pas suggérer aux monarchies arabes d’accueillir des réfugiés chassés par un Etat islamique qu’elles financent. Faudrait pas les dissuader de nous acheter de coûteux joujoux.

Et on organisera des conférences internationales — ça, on adore. Sur le climat, encore qu’il y ait « des risques d’échec ». Enfumons, il en restera toujours quelque chose — sur la photo. Sur l’Ukraine, où tout se passe bien, comme chacun sait, ce qui devrait permettre de lever les sanctions contre la Russie et à Poutine d’acheter à nouveau du cochon français, ou sur les migrants. Ça laissera à Jean Raspail (avez-vous lu Le Camp des saints ?) le temps d’avoir totalement raison. Ça me rappelle les débats sur le sexe des anges pendant que les Turcs assiégeaient Constantinople.
Et pour finir on donne rendez-vous avec un petit ton narquois : « Je vous dis à la prochaine conférence pour d’autres questions qui peuvent ressembler à celles qui ont été posées aujourd’hui. » Mais dis-moi, coco, si ça ne te plaît pas, rien ne t’empêche de démissionner — ou en tout cas de ne pas tenter de revenir en 2017.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21789104_000014 .



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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