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Quel avenir pour le Centrafrique ?


Quel avenir pour le Centrafrique ?

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De quoi le Centrafrique est-il aujourd’hui le nom ? L’actualité dramatique de ces dernières semaines ne risque pas de lever l’hypothèque qui pèse sur l’avenir de ce pays d’Afrique centrale.
Le 24 mars dernier, Michel Djotodia, à la tête de la Séléka, coalition hétéroclite de groupes rebelles venus du nord, s’emparait de Bangui, renversant, presque sans effort, le président François Bozizé arrivé au pouvoir dix ans plus tôt. Dans la foulée, il reconduisait l’ancien premier ministre, Nicolas Tiangaye, en selle depuis les accords de Libreville, et formait un gouvernement dit d’union nationale. Depuis la semaine dernière, le pays est doté d’un conseil supérieur de transition. Détenteurs du pouvoir législatif, ses 97 membres ont aussi pour mission d’élaborer une nouvelle constitution, qui sera soumise à l’approbation du peuple par referendum, et d’élire le président de la République pour un mandat transitoire de 18 mois.
Bangui est tombée presque sans résistance mais la ville a été mise à sac : les magasins, les hôpitaux, les administrations, les ONG, les sièges des entreprises, les biens du clan Bozizé, ceux des expatriés, français et libanais en particulier, n’ont pas été épargnés. Les enfants des rues – les godobés -, les sans-grades, les profiteurs de guerre, car il y en a toujours, les rebelles, quoi qu’ils aient désormais reçu l’ordre de traquer les pillards, ont emporté tout ce qui semblait avoir quelque valeur : des ordinateurs à l’électroménager en passant par les réserves alimentaires et les vêtements. Mécaniquement soumise au rituel du pillage, à chaque nouveau coup d’Etat, la capitale n’en n’est pas moins traumatisée.
Ce coup d’Etat et les pillages qui l’ont accompagné sont le fruit de la politique du ventre qui mène le pays depuis son indépendance. Captant à son profit les privilèges publics, le clan Bozizé n’a fait que reproduire l’exemple de Patassé, du Dacko de la première période et de Bokassa. Le retournement de l’armée, joignant ses forces aux rebelles après quelques heures de résistance seulement, solde les insuffisances d’un Etat fantôme à qui tout à échappé ces dix dernières années : le contrôle du territoire, la paie des fonctionnaires, les cadres administratifs. L’incurie a profité aux bandits errants de la LRA, comme aux mécontents du régime qui ont pu tour à tour, au gré de leur insatisfaction, lever leur rébellion, se servir sur le pays, s’emparer de Birao ou de Ndélé comme d’une monnaie de singe.
Le fatalisme des centrafricains, nourri par l’instabilité, est pain bénit pour les nouveaux maîtres du pays. Ceux qui ne juraient que par Bozizé hier, que par Bokassa avant-hier, sont désormais en mesure d’acclamer Djotodia. Pourvu qu’il manifeste sa bienveillance, pourvu qu’il affiche les signes de son pouvoir, on en fera le nouveau père de la Nation. La tranquillité du pays reste le fait du prince. L’absence d’élites conscientes de leur capacité de médiation entre le peuple et le pouvoir entretient cette illusion tragique.
L’échec de Bozizé scelle par ailleurs, quoi qu’on s’en défende, celui de la France et de l’Union européenne, soutiens indéfectibles d’une démocratie fantoche dont elles financent les errements à chaque nouvelle élection. Le moralisme de la bonne gouvernance entretient l’équivoque. Au lieu de laisser le pays face à ses responsabilités, il jette un écran de fumée sur le fil rouge d’une politique de la main tendue qu’on n’est pas près d’abandonner. Hollande peut toujours se targuer de vouloir renouveler la politique africaine de la France, il y fort à parier qu’elle lui résistera.
Les Centrafricains sont les premières victimes de ce coup d’Etat. Si, dans l’ensemble, les combats n’ont pas été très meurtriers, le traumatisme est immense. Nourrie par les fusillades, les pillages, la fuite du président déchu, la peur pèse à nouveau de tout son poids sur le pays de Bokassa. En sentinelle malfaisante, elle entretient la résignation et neutralise l’esprit d’initiative. Depuis plusieurs mois déjà, les prix ont doublé sur les marchés, l’avancée des rebelles entraînant la rupture des circuits de distribution venus de l’arrière-pays. Le rapatriement d’une bonne partie du personnel des ONG et des institutions internationales (ONU, Union européenne) a provoqué la suspension des projets d’aide au développement. L’administration centrafricaine elle-même, aux rouages déjà peu huilés, repart de zéro, une bonne partie de ses bâtiments et de son matériel informatique ayant été pillés. Rien n’a été épargné. Les portails lacérés de coups de machette en disent long sur le ressentiment des pillards, ressentiment savamment entretenu, depuis 2003, par le KNK, le parti de Bozizé, celui-ci jouant tour à tour auprès des autorités françaises l’air de l’ami fidèle ou du résistant.
Le Centrafrique est à nouveau à la croisée des chemins : il a le choix entre l’amnésie et la responsabilité.

*Photo : réfugiés centrafricains au Congo (andré thiel).



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est professeur d’histoire-géographie

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