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Cecil Saint-Laurent et la révolution sexuelle


Le snobisme et la jeunesse, qui vont souvent ensemble, font perdre un temps fou. Lire Jacques Laurent, les subtiles constructions hallucinées que forment Les bêtises ou Les corps tranquilles, tant que vous voulez. Mais lire Cecil Saint-Laurent, vous n’y pensez pas. L’auteur à succès de Caroline Chérie contre le plus cérébral des hussards ne fait pas le poids, quand on a vingt ans. Et qu’importe s’il s’agit du même écrivain avec la même manie du pseudonyme que Stendhal. Stendhal fut d’ailleurs la grande admiration de Jacques Laurent qui écrivit une Fin de Lamiel et un Stendhal comme Stendhal qui n’ont pas pris une ride. Cecil Saint-Laurent, lui, a vieilli mais il a très bien vieilli. Quand on lit La bourgeoise, paru à l’origine en 1974 chez Flammarion, on a l’impression de voir un film avec Alexandra Steward ou Catherine Spaak. On a beau savoir que l’on ne retrouvera plus jamais ces actrices aussi jeunes dans le monde réel, nous ne renoncerons pas à notre vain désir car ce désir est celui de l’éternel retour en même temps que de nos premiers émois.

Nous avions dix ans quand parut La bourgeoise qui raconte avec une précision ironique l’histoire de Catherine, une jeune journaliste parisienne mariée avec Marc, un banquier plus âgé qui a raté l’ENA. Marc voudrait que Catherine « se libère », couche avec d’autres hommes ou avec sa meilleure amie mais surtout qu’elle lui raconte tout ça. Ils habitent sur l’Île de La Cité, dans le même immeuble que les parents de Catherine. Quand on pense que petit garçon, nous avons croisé des femmes comme ça qui nous passaient la main dans les cheveux en disant que nous étions mignons comme tout. Des femmes avec des mini-jupes ou des robes maxi, des chevelures bouclées, des jeans pattes d’eph, des femmes qui avaient aussi des maris comme Marc. Eux, c’étaient des hommes qui sentaient Habit Rouge, fumaient des Benson and Hedges, conduisaient trop vite des 404 et comme Marc lisaient L’Observateur, avaient probablement voté Krivine ou Mitterrand mais au fond étaient bien contents que Giscard ait gagné.`

Comme ni Marc ni Catherine ne semblent savoir ce qu’ils veulent au juste, ils entament une procédure de divorce. Le divorce, l’échangisme, l’avortement, la messe en latin et la mort de Pompidou sont les principaux sujets de conversation des personnages de La bourgeoise. Il y a bien un collègue de Marc qui fatigue tout le monde avec ses souvenirs de la guerre d’Algérie et le père de Catherine qui reste farouchement antigaulliste et écrit dans son journal intime « Mais je me garde de leur raconter les souvenirs qui me tiennent à cœur, par exemple la mort à côté de moi de Romier à une date, le 18 juin, qui a fait de moi un ennemi personnel de celui qui se prélassait devant un micro. » Mais Cecil Saint Laurent nous présente finalement un petit monde qui a oublié le tragique de l’Histoire et ne pressent même pas la crise économique qui va s’abattre sur lui.

La bourgeoise, c’est rétrospectivement une manière de reportage sensible sur cette parenthèse enchantée des années 70 où les Français s’offrent le plaisir d’être délicieusement inconsistants. Bien sûr, il y a des intrigues pour savoir qui va prendre la direction d’un groupe de presse mais ce sont les mêmes que du temps de Balzac. Tout le monde fume beaucoup et les femmes, même sophistiquées, mangent des steaks saignants au bar du Pont-Royal. Des rédacteurs en chef fantasques ont des dessins de Cocteau dédicacés sur les murs de leur bureau et se suicident en regardant les arbres du square des Missions Etrangères car ils devinent que tout va bientôt sombrer et que le monde d’avant va disparaître en même temps que leurs vieux amis qui ont connu Proust.

Cecil Saint-Laurent, dans La bourgeoise, sacrifie évidemment à l’érotisme, un mot à la mode en 1974. C’est sans doute ce qui a fait le succès de scandale du livre à l’époque. Ses descriptions sont crues et anatomiques. Elles surprennent au milieu d’un développement sur la douceur des terrasses de bistrots au crépuscule dans un Paris où tout le monde se gare sans problème. Mais ces descriptions sont aussi charmantes et sensuelles. Comme quoi, certains écrivains ont beau faire, quelque chose les protège définitivement de la vulgarité pornographique. A ce sujet, on conclura en relevant la réplique la plus discrètement surréaliste de La bourgeoise. Elle est de Catherine, qui évoque sa liaison ratée en mai 68 avec un universitaire de la Sorbonne et qui constate : « Il avait un sexe énorme, je n’aurais jamais cru ça d’un professeur. »

La bourgeoise, J’ai Lu 1976, La Vieille Bourse, Lille, cinquante centimes d’euro.



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