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Cannes : déchantons sous la pluie


Le Festival de Cannes, c’est comme le vin : il y a les grandes années, et celles qu’on préfère oublier pour cause de piquette. Les six dernières éditions nous avaient offert des sommets de cinéphilie, du petit-déjeuner au souper, de la première projection de presse, à 8h30, dans la vaste salle Lumière, à la dernière, à 22h30, dans l’intimiste salle Bazin. Cannes plongeait alors les critiques venus du monde entier dans des abîmes de réflexion, de sensations fortes et subtiles. Nous sortions éblouis, et pas seulement par le soleil de la Croisette. Douze jours de festival s’apparentaient à un marathon, de crête en crête, d’émotion en indignation, et d’effarement en admiration. Ce concentré de vie, de talent, de découverte nourrissait le reste de notre année cinématographique. On avait fini par s’habituer à ce que chaque année, la barre soit placée un peu plus haut.
L’édition 2012 a détruit cette illusion.[access capability= »lire_inedits »]

Comme pour souligner ce retour à la normale, les éléments se déchaînèrent, douchant jour après jour nos espoirs démesurés. Telle une meute de chiens mouillés, la confrérie cannoise a couru sous la pluie sans desserrer les dents, arpentant la rue d’Antibes en quête de la dernière paire de chaussettes et du dernier imperméable disponibles sur la Côte d’Azur.

Décevante et déséquilibrée, la sélection a d’abord enchaîné les films où la violence nourrit toujours plus de violence, fuite en avant stérile et finalement ennuyeuse, comme dans Lawless, de John Hillcoat, et Killing them softly, d’Andrew Dominik. Dans le même genre, le polar du Sud-Américain Lee Daniels, The Paperboy, se démarque au moins par son climat baroque. Côté road movies, Walter Salles et son adaptation inutile du roman de Kerouac peinent à nous conduire quelque part, tandis que Mud, de Jeff Nichols, choisit une narration pesante comme un semi-remorque, puis nous laisse en rade. Michael Haneke a cependant relevé le niveau avec Amour, Palme d’or incontestée des critiques dès sa projection.

Pour oublier nos peines de cinéphiles contrariés, nous comptions sur les comédies de Kiarostami et de Hong Sang-soo. Peine perdue : l’Iranien est allé se perdre au Japon, et le Coréen a sombré avec un hommage frisant le ridicule à la grande Isabelle Huppert. À la mi-temps du Festival, Ken Loach, avec sa Part des anges, nous mit du baume au cœur, mais nous étions cependant bien loin du souffle de Looking for Eric. Certes, Cosmopolis, de David Cronenberg, Toi et moi, de Bernardo Bertolucci (hors compétition), De rouille et d’os, de Jacques Audiard, Vous n’avez encore rien vu, d’Alain Resnais, Au-delà des collines, de Cristian Mungiu et Reality, de Matteo Garone, sont autant d’œuvres honorables, mais comment ne pas les comparer aux précédents opus de leurs auteurs, incomparablement meilleurs ? Bien sûr, Holy motors, de Leos Carax, et Post tenebras lux, de Carlos Reygadas, réservent quelques fulgurances, mais trois belles scènes n’ont jamais fait un bon film.

Il faut donc rendre grâce au Biélorusse Sergei Loznitsa, qui a sauvé la fin de ce Festival morose. Son superbe Dans la brume, plébiscité par les critiques, est dominé par le hors-champ des sentiments. Un partisan est accusé à tort de trahison par son pays occupé par les forces nazies. Comment se laver de la suspicion de ses camarades, de celle de sa propre famille ? Il est ici question de courage, au sens absolu du terme. Et de cinéma.[/access]

Juin 2012 . N°48

Article extrait du Magazine Causeur



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