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Belmondo et Moi (3/8)


Belmondo et Moi (3/8)
Jean-Paul Belmondo entouré de Sophie Marceau et Marie Laforêt dans "Joyeuses Pâques".

 

Le cinéroman de notre Bebel national 

 

L’Alpagueur (1976)
Philippe Labro est un grand perfectionniste. Tous les détails de son film, les décors, les voitures, les vêtements, les lumières n’ont pas été choisis au hasard. En 1976, le ciel était bas et les héros ombrageux. Méthode américaine et influence de Lazareff aux accessoires. Un polar, ça se compose comme la une d’un quotidien qui dépasse le million d’exemplaires. Il ne lui viendrait pas à l’idée de négliger une paire de souliers, une pochette, des boutons de manchette, l’intérieur d’un bistrot ou d’une gentilhommière. Les films de Labro sont toujours de bons films d’époque, il capte l’ambiance de cette année-là. L’Alpagueur, c’est un peu le salon de l’auto 1976. On ne se refait pas, Philippe n’est pas le genre de type à conduire la première voiture venue. Devant nos yeux défilent les plus belles productions de l’année : Mercedes SLC, Ford Mustang Mach I, Range Rover et les inévitables voitures françaises qui peuplent banalement les rues de province.

Labro a les mêmes défauts que Jean d’Ormesson, je n’arrive pas à finir leurs livres. Mais je leur reconnais une attitude salvatrice dans une époque désastreuse. Un sursaut de dignité ! Ils ont tellement peaufiné leur image, leur façon de parler, de marcher, qu’il m’arrive de les imiter. Julia me trouve ridicule. Tu vis dans le passé. C’est une attitude infantile, la marque des faibles d’esprit m’a-t-elle avoué en me quittant. Il faut voir Labro arriver sur un plateau de télévision, alors que tous les autres intervenants relisent leurs fiches, resserrent leurs nœuds de cravate, s’installent gentiment sur leurs sièges, Labro fait du Labro. Un JFK cabot et attachant. La caméra s’attarde sur lui, la cravate en bandoulière, attitude Ivy League, la télé, la littérature, le cinéma, la radio, son jardin d’enfants. Pas de panique, il maîtrise son sujet, et naturellement déverse un flot de paroles. On ne l’écoute pas, on le regarde, si on dit de certains acteurs qu’ils font l’amour avec la caméra, Labro la domine, l’instrumentalise. Mon grand-père est mort d’une crise cardiaque en 1976. Il était le sosie de Raymond Bussières.

L’Animal (1977)
L’Animal aurait dû rester un court-métrage, question de politesse. Une heure et quarante minutes, c’est un poil long pour un navet. Julia m’a avoué que nos deux ans de vie commune lui avaient paru interminables, insoutenables. Bien qu’elle soit physiquement agréable à regarder, Raquel Welch n’a aucun charme. Le prototype de l’Américaine du Middle West, petite taille, seins imposants et sourire factice. Plastique impeccable et aura en carton-pâte. Tout le contraire de Julia, blonde sèche, poignets osseux, humour ravageur et morgue désirable. Un profil racé et des manières du KGB. L’Animal, est-ce un mauvais ou un très mauvais film ? Il est pourtant sauvé par le magistral Aldo Maccione. Mon père était le plus grand spécialiste français d’Aldo, il avait tout vu, de ses premiers films italiens à ses clowneries des années 80. Aldo la classe a été à l’origine d’une gigantesque supercherie : se faire passer pour un play-boy certes de pacotille, mais tout de même un play-boy, lui le grassouillet turinois aux traits épais et au postérieur rebondi. Si vous êtes un fin observateur, vous remarquerez que dans la plupart de ses films, il porte un chapeau, une casquette, un bob, un mouchoir, il est rarement tête nue.

Monter un film comme L’Animal n’a aucun sens. C’est à cause de ce genre de pari débile, d’opérations cinématographiques douteuses que l’on aime Belmondo. Pourquoi un type de sa stature, une vraie vedette se compromet dans un tel nanar ? Parce que Belmondo est le plus joueur de tous les acteurs. Sa force, ne jamais craindre le ridicule, tourner, encore tourner, prendre du plaisir, jouir de l’instant. J’ai été opéré de l’appendicite en 1977. En m’emmenant à l’hôpital, ma mère qui roulait avec une Méhari jaune citron est rentrée dans une autre voiture. Bilan, nous avons été chacun pris en charge à notre arrivée aux urgences, moi avec mon mal au ventre, elle avec un bras cassé. La distribution de L’Animal était tout à fait étonnante comme mes deux ans chaotiques avec Julia. De vraies montagnes russes où les descentes furent abyssales comme cette crise de nerfs au bord de l’Adriatique, nous avons frôlé l’incident diplomatique. Ce casting où l’on trouve à peu près n’importe qui et n’importe quoi, tient du Guinness des records : Dany Saval, Josiane Balasko, Julien Guiomar, Claude Chabrol, Jane Birkin, Yves Mourousi, Mario David, Richard Bohringer et Johnny Hallyday dans son meilleur rôle après David Lansky.

Joyeuses Pâques (1984)
Voir Joyeuses Pâques, c’est revoir La Gifle, dix ans plus tard. Notre société est en pleine mutation, en déliquescence affirmeront certains. Après le couple père-fille formé par Lino Ventura et Isabelle Adjani, les Français ont mis le haro sur les valeurs traditionnelles. L’époque est plus coulante, un florentin squatte l’Élysée, bientôt un ministre portera le col Mao et Le Pen s’impose à L’Heure de vérité en majesté mouchant les cumulards du microphone. Au mitan des Eighties, les papas ont le démon de la quarantaine et les jeunes filles moins de scrupules à ôter le haut. Sophie Marceau se rapproche de Belmondo.


Les vrais couples sont ceux qui ont plus de vingt ans d’écart dixit Eddie Barclay. Julia regrette que nous ayons seulement un an d’écart. Un homme plus jeune conviendrait mieux à son tempérament inquisiteur. Quatre ans après La Boum, Sophie s’installe dans le cinéma grand public avec son air bonasse de fille d’à-côté. En maigrissant, elle a assurément perdu de son sex-appeal. Qui n’est pas tombé amoureux d’elle ? Le fantasme de tous les collégiens du val de Loire. En 1984, je l’ai attendue longtemps. Ma Sophie Marceau gironde et libérée n’est jamais venue toquer à la porte de ma chambre, un soir d’automne. Souvenez-vous la première fois où, à travers un corsage, vous avez effleuré le sein d’une femme ? Profitons-en pour remercier Rémy Julienne d’avoir fait de la cascade une activité sérieuse, professionnelle, presque scientifique. Il mérite les palmes académiques. Il a permis à beaucoup d’enfants de ne plus passer pour d’irrémédiables tarés lorsqu’on leur demandait ce qu’ils voulaient faire plus tard. Un gamin peut aujourd’hui dire avec le plus grand sérieux : CASCADEUR !

La Sirène du Mississippi (1969)
La dernière fois que j’ai vu La Sirène du Mississippi, je devais avoir douze ou treize ans. Troublé par ce sentiment bizarre, poisseux, comme si le film diffusait de mauvaises ondes. Ce n’est pas que je sois superstitieux mais, par précaution, je me méfie des réminiscences d’enfance. Elles sont fatales. Pour conjurer le mauvais sort, j’ai préféré acheter récemment en DVD, la version anglaise : Mississippi Mermaid. Comme si la barrière de la langue pouvait me protéger ! Sur la pochette, le résumé indique à la population américaine que Belmondo s’est illustré dans Les Misérables. Qui, à part un cow-boy perfusé au Vieux Paris et aux vieux clichés, aurait mentionné ce film ? Enfin, Les Misérables doivent avoir le même effet que Tour Eiffel, Champs-Élysées, haute couture, parfum, vin, gastronomie et j’en passe pour des détrousseurs de diligence.

Il y a un mystère Deneuve. Les mauvaises langues disent qu’elle s’est empâtée, qu’elle a un peu forci, que ce n’est plus la beauté française que la terre entière nous enviait. Je ne suis pas du tout de cet avis. Catherine Deneuve m’excite aujourd’hui. Elle dégage une sexualité, un désir que j’ai honte d’avouer en public. Elle est en pleine possession de sa féminité. Catherine Deneuve est enfin devenue une femme et pas cette blondinette asexuée des années 70. Je me garde bien de l’avouer à Julia qui ressemble à Deneuve dans L’Africain et roule en Mini. Belmondo porte des chemises à carreaux avec les manches retroussées sur l’île de la Réunion dans ce film de Truffaut. Là aussi, il est le seul à pouvoir se permettre cet accoutrement.

Retrouvez l’intégralité de « Belmondo & Moi » en version numérique sur le site Nouvelles Lectures – www.nouvelleslectures.fr



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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