Un monde sans pardon?


Un monde sans pardon?
(Photo : SIPA.00732499_000006)
(Photo : SIPA.00732499_000006)

Le cardinal Barbarin est mis en cause dans des affaires de pédophilie anciennes. On ne peut évidemment pas l’accuser d’avoir couvert ces violences quand elles étaient exercées, mais de n’avoir pas interdit, chassé du clergé des coupables à qui on n’a rien à reprocher depuis vingt-cinq ans. Cette intolérance a posteriori nous oblige à des questions difficiles concernant :

1) L’évolution de l’opinion, plus tolérante sur bien des points et d’autant plus intransigeante sur d’autres.
2) L’attention actuelle aux victimes plutôt qu’aux fautes.
3) Les réticences croissantes à la prescription des crimes et délits.

1) On peut se reporter à un quasi-contemporain, André Gide, pour apprécier le basculement récent de l’opinion. Dans Corydon, (achevé en 1918, publié en 1924) il fait l’éloge de « l’amour grec » pour les jeunes garçons. Cet « amour », écrit-il, « peut être pour l’enfant l’invitation la meilleure au courage, au travail, à la vertu » (éd. Folio p.147). Gide, au Maghreb particulièrement, a pratiqué ce qu’il préconisait, on lui a tout de même décerné le Prix Nobel en 1947. Selon lui, la pédérastie est pour les adolescents, une meilleure initiation que la prostitution ou la défloration des jeunes filles. A le suivre, on jugerait que c’est l’absence chez nous d’une culture de la pédérastie qui laisse à leur spontanéité sauvage des désirs s’exprimant en gestes irrépressibles : les « attouchements » dont on parle tant.

2) Si, au contraire de ce que purent espérer certains post-soixantehuitards, on n’est pas allé vers une acculturation gidienne de la pédérastie mais vers une chasse aux pédophiles, c’est à cause d’un changement radical de point de vue : ce que l’attention prioritaire au coupable faisait juger comme une faute (un péché) est vu désormais, du point de vue de la victime comme une blessure infligée. Tout est permis, pensons-nous, sauf la violence faite à autrui. Mais contre cette violence (où commence-t-elle ?) on se veut impitoyable, comme le montre la hantise du viol et de la pédophilie, naguère plus ou moins tolérés.

3) Le souci de la victime tend à rendre la prescription inconcevable. Il n‘y a pas, dit-on, de prescription pour la victime et sa souffrance. Un coupable peut s’amender a jugé l’archevêque de Lyon, mais la souffrance de la victime n’a pas de fin assignable, elle peut toujours être revendiquée. Les Lyonnais en conflit avec leur évêché font même du retard de leur réaction publique un symptôme de profonde souffrance. Tout cela est compréhensible (la plus longue peine de prison ne réparera jamais un meurtre) mais nous conduit au bord d’un gouffre : la demande de réparation n’ayant pas de fin, le privilège qu’on lui accorde peut annoncer, faute de prescription, un monde de vengeances et de vendettas.

Depuis Benoit XVI, l’Eglise a renoncé à traiter ces affaires-là en interne, les soumettant à la justice civile. Et voilà qu’aujourd’hui on reproche à ses responsables de s’aligner, en invoquant la prescription, sur cette justice civile, trop indulgente. Ceci montre que si l’ordre juridique ne se confond pas avec ce qui est moral ou religieux, il n’en est pas en pratique complètement séparable. Si on est devenu réticent devant la prescription, c’est parce qu’on ne croit pas que le coupable puisse s’amender et la victime pardonner. Telle est notre culture, qui s’affiche ainsi comme sans pitié. Elle est dans un manque spirituel, à quoi l’évêché de Lyon n’a pas su répondre, parce qu’il n’a pas mis en place les procédures qui auraient montré le coupable comme pouvant s’amender et la victime comme pouvant se tourner vers l’avenir. Le rôle de l’Eglise n’est pas de se substituer à la justice, pas plus que de s’aligner, sur elle. Sa fonction est d’éducation morale et spirituelle, d’ouvrir un avenir pour les coupables comme pour les victimes.

Pour être crédible dans un rôle dont notre monde a besoin, il faudrait que l’Eglise catholique sache balayer devant sa porte et, quand sont en cause, au-delà des personnes, des institutions qui lui sont liées, inventer ou retrouver des procédures publiques d’aveu et de réconciliation.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Tariq, le grand frère
Article suivant Nous aurons le déshonneur et les migrants
Essayiste, théologien, président des amitiés judéo-chrétiennes, Paul Thibaud a dirigé la revue Esprit.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération