Aymeric Caron, citoyen modèle


Aymeric Caron, citoyen modèle

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À l’issue des municipales, l’alternance reprend ses droits et, alors que le printemps fait son apparition et que les chaises au gouvernement deviennent musicales, nous nous sommes demandés ce qu’il pouvait advenir du vaillant Aymeric Caron, qui aurait certainement mérité une place de ministre.

Il était une fois, dans un royaume fort fort déprimé, un preux chevalier du nom d’Aymeric Caron. De fort belle allure, tenant toujours le verbe haut, le preux Galaad du politiquement vertueux pourfendait avec l’étincelante épée de la rhétorique les malfaisants suppôts de la réaction et les zélés zélotes du traditionalisme passéiste. Chaque samedi soir, devant un auditoire gagné à sa cause et sous l’œil reconnaissant et complice de son mentor, Aymeric ferraillait avec les démons ennemis du Bien, avec leurs robes grises, leurs bonnets carrés, leurs faces terreuses et leurs propos haineux. Roide, tranchant et impitoyable, il renvoyait à leurs accointances nauséabondes les alliés des tyrans, les ennemis de la grande fraternité des peuples, les partisans de la discrimination et les serviteurs de la Bête Immonde. Audacieux jusqu’à l’inconscience, enfonçant avec rage toutes les portes ouvertes, même celles des plus petits cagibis de l’évidence, chambellan de l’ordre de la moraline et grand simplificateur de procès en intention, Saint Aymeric Caron tançait quotidiennement le pays gagné par la sinistrose et la haine de l’autre et levait haut son écu, frappé du blason de l’amour, pour rallier à lui dans sa glorieuse croisade tou-s-t(es) les citoyen-s-nes du Ier au XXe arrondissement, de Montreuil au Marais, des Ami(e)s de la Terre à Terra Nova, tou(s)-tes les défenseur-s-seuses-suze de la communion des cultures, de la déconstruction des stéréotypes identitaires et de l’interopérabilité des transgressions de genre. Bref, Aymeric Caron commençait à taper sur les nerfs d’un peu tout le monde.

Le salut est venu des élections municipales. Au soir du deuxième tour, le peuple assemblé, et ingrat, comme d’habitude, en dépit de tout ce que l’on fait pour lui, a adressé un démenti cinglant à Aymeric Caron. « La Gifle » titrait entre les deux tours un magazine, montrant en couverture un François Hollande faisant la moue, mais cette gifle n’a que très éphémèrement agité les micro-particules du chef de l’Etat décomposé en minces volutes de velléités incertaines et elle est passée également à travers la forme éthérée du spectral premier ministre pour atteindre en plein visage Aymeric Caron. Pauvre Aymeric Caron ! Natacha Polony lui fait déjà bien des misères et le voilà maintenant prisonnier d’une France chassée du paradis sociétal à cause du manque de savoir-vivre d’une province mal embouchée.

Heureusement, il reste Paris, ville-lumière où le FN fait encore sourire et où Anne Hidalgo est à peine menacée par NKM, sorte de Ségolène de droite. Mais si les loups ne sont pas encore entrés dans Paris, ils sont aux portes. Ils occupent le sud de la France, campent en banlieue et lancent même à l’ouest une vaste reconquête. Partout le compteur Geiger de la droitisation des esprits s’affole et le fervent végétarien qu’est Aymeric Caron doit se sentir bien seul dans ce pays qui a mangé de la vache enragée à chaque tour des élections et dédaigne désormais l’onctuosité douceâtre du socialisme saumoné pour les saveurs plus fortes de l’entrecôte au bleu. Le raz-de-marée du mécontentement a tout englouti et il va désormais falloir se montrer bon nageur car quand tout va à l’eau et que les illusions sont détruites, il faut savoir pagayer ferme pour remonter le courant avec elles.

Depuis son arrivée en Ruquierie, Aymeric Caron s’est imposé, au fil de ses interventions, comme le symbole médiatique et cathodique de l’ère Hollande. Le président normal et le chroniqueur nordiste ont accédé aux plus hautes fonctions, chacun dans son domaine, à quatre mois d’intervalle. Et ils ont tous les deux en commun d’être arrivés trop tard. François Hollande a s’est cru en Mitterrandie, dans la France des années 80, de SOS Racisme, du virage libéral de Fabius, des premières envolées du FN et des premières apparitions du beauf de Cabu. Quant à Aymeric Caron, question de génération sans doute, il se croit visiblement encore dans les années 90, avec leur cortège de manifestations antiracistes et d’artistes conscientisés répétant à l’unisson les mêmes slogans et déclinant sur tous les modes et à tout propos les mêmes poses de résistants de pacotille, celles qu’affectait  la jeunesse des années 90 qui ne cessera pas, avec sérieux et bonne conscience, de scander jusqu’à l’aube de la quarantaine assagie qu’elle emmerde le Front national.  Chacun des deux a donc rejoué sa partition comme il pouvait, François Hollande transformant la force tranquille en immobilisme placide et Aymeric Caron passant aléatoirement de la rhétorique « Touche pas à mon pote » aux engueulades  avec Naulleau dans Touche pas à mon poste, des portrait-procès d’On n’est pas couché aux polémiques avec Natacha dont la sensibilité apollinienne semble provoquer en réaction chez le chroniqueur une dérive de plus en plus a-polonyenne.

Les résultats catastrophiques enregistrés dimanche par la gauche ne délivreront sans doute pas tout de suite le pauvre François Hollande de l’exercice bien compliqué du pouvoir mais elles auront peut-être pour effet de nous délivrer, au moins un peu, d’Aymeric Caron. Non pas que Laurent Ruquier, prenant acte du démenti infligé par les électeurs se risque, dans son équipe, à un remaniement de l’ampleur de celui qui guette l’actuel gouvernement, mais parce qu’elle va peut-être amener son chroniqueur vedette à réaliser qu’il ne sert décidément pas à grand-chose d’accuser à tort et à travers ses contradicteurs de banaliser les idées du Front national dans un pays dont une partie de la population supporte de moins en moins qu’on banalise tout simplement le fait de la mépriser.



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