Vive la bagnole!


Vive la bagnole!
Présentation de la Renault Dauphine au Salon de l'automobile de Paris de 1956 (Photo : SIPA.00070602_000005)
Présentation de la Renault Dauphine au Salon de l'automobile de Paris de 1956 (Photo : SIPA.00070602_000005)

Accidents d’autocars, menaces écologiques, circulation saturée dans les villes, déclin du conducteur tout-puissant, fiscalité au plus haut niveau, la route traverse une mauvaise passe. La voiture : le bouc-émissaire de la mondialisation malheureuse ou le nouvel allié de la numérisation de l’économie ? Il était urgent de rencontrer l’historien Mathieu Flonneau alors que s’ouvre le Salon de Genève (3-13 mars), dernier temple de la bagnole souveraine et avant le Mondial de Paris 2016, à l’automne prochain. Avec Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris (Université Paris-Est), grand spécialiste des mobilités, ces deux intellectuels vrombissants publient Vive la route ! Vive la République ! aux éditions de L’Aube, un essai à contre-courant qui fera grincer les bien-pensants. Le pied au plancher, ils envoient valdinguer, chiffres à l’appui, pas mal de stéréotypes dans le décor. L’automobile ne serait-elle donc pas morte ?

Causeur : Dans L’Aventure, c’est l’aventure, film sorti en 1972, Claude Lelouch faisait dire à l’un de ses acteurs : « Le Capital, c’est foutu, la Ve, c’est foutu, le PC, c’est foutu, la société de consommation, c’est fini tout ça, c’est foutu, les bagnoles, foutu ! ». Alors, peut-on ranger définitivement nos voitures au garage ?
Mathieu Flonneau[1. Mathieu Flonneau est historien, universitaire à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur de Les cultures du volant. Essai sur les mondes de l’automobilisme (Autrement), Défense et illustration d’un automobilisme républicain (Descartes&Cie), et cette année, fait paraître avec Stéphane Levesque, Choc de mobilités. Histoire croisée au présent des routes intelligentes et des véhicules communicants (Descartes&Cie).] : Nous n’y sommes pas encore, mais il est vrai, et je le regrette avec d’autres, que sur ce thème au sujet duquel la confusion est entretenue, la nostalgie a de l’avenir ! Vous avez donc tout à fait raison d’attaquer par les classiques cinématographiques car, au même titre que la littérature d’il y a plus qu’un quart de siècle, ils permettent de situer à bon niveau la réflexion. C’est-à-dire que, à la fois sérieusement mais avec légèreté, avec style et humour, ils offrent l’opportunité de traiter de ce sujet qu’est l’automobilisme — l’objet dans son épaisseur culturelle, sociale et historique —, en rappelant l’époque à laquelle l’auto était bien vivante et massivement désirée. Mais cette auto, aux usages divers, résiste, ces quelques chiffres le démontrent : 81 % des ménages en France ont au moins une voiture à disposition ; 83 % des adultes ont le permis et la voiture (avec les scooters et les motos) assure 75,2 % des déplacements vers le travail, 66,5 % des déplacements des jours de semaine et 74,7 % des déplacements à plus de 100 kilomètres. Elle a encore de beaux restes.

La Route avec un « r » majuscule, synonyme d’expansion économique durant de très longues années est désormais le carrefour de tous les dangers. Elle semble même concentrer toutes nos crises modernes. Son partage entre différents usages est-il encore possible aujourd’hui ?
Pour notre « essai impertinent », avec Jean-Pierre Orfeuil, nous avions initialement souhaité en couverture une photographie de Raymond Depardon d’ordinaire si empathique. L’existence survivante des campagnes et des petites villes françaises est pour une bonne part liée aux services automobiles. La diversité des usages de la route dont vous faîtes mention, est plus que jamais souhaitable et est directement liée à la flexibilité remarquable dont, depuis ses origines, comme infrastructure, non pas monomodale mais ouverte et résiliente, elle a su faire preuve. La route est à tous !

Dans votre essai, vous faites en permanence le parallèle entre la Route et la République. Comme si conduire, se déplacer sur l’ensemble de notre territoire à titre privé ou professionnel, c’était déjà voter. En quoi, la Route est-elle un sujet éminemment politique et ses utilisateurs des citoyens à part entière ?
En effet, notre travail avec Jean-Pierre Orfeuil vise d’abord à ne plus ignorer et regarder au moins, voire à re-légitimer ensuite, une partie des Français relégués et jugés avec condescendance, parce qu’ils sont usagers de l’auto, certains par choix délibéré, d’autres par le simple fait de leur résidence périphérique. On peut cependant se garder d’une essentialisation grotesque : la multi-modalité est inscrite dans les pratiques et la République des conducteurs n’est que complémentaire de tout un ensemble de cultures de transports. On n’enlèvera cependant pas à la route son rôle historique et patrimonial de desserte et de construction du territoire. Ses rugosités la situent loin de l’apesanteur de certains mots d’ordre technocratiques « déréalisés ».

La voiture autonome, du moins son modèle économique, affole toutes les entreprises technologiques et les investisseurs du monde entier. Selon vous, s’agit-il d’un rêve d’ingénieurs visant à améliorer la sécurité de tous ou une forme de privation des libertés ?
L’avenir de l’automobilisme est riche de paradoxes. A l’ère numérique, la grande convergence entre les industries de mobilité et de communication est porteuse à la fois d’une possible optimisation des modes, et, en même temps, du côté sombre, d’un risque infini d’« uberisation » généralisée que l’on ne peut vraiment pas juger souhaitable. L’ensemble de l’écosystème de l’automobilité paraît voué à la réinvention et offre un emplacement d’observation idéal pour bien prendre la mesure de la déstabilisation/reconfiguration contemporaine aux allures naïves parfois prononcées de Brave New World ! Le transport est devenu une production de services de mobilité qui exige aussi une intelligence, au sens de la compréhension, de la responsabilité et de la sympathie, susceptible de structurer l’océan de données (cet autre sens d’intelligence, en anglais) dont les possibles dérives mercantilistes sont évidentes et qu’il s’agit de prévenir. Comme butte témoin de la liberté individuelle, l’auto persiste dans la morne plaine de notre époque.

A rappeler les bienfaits de l’automobile individuelle et réhabiliter les Trente Glorieuses, que répondez-vous aux défenseurs de l’environnement ? La pollution n’est quand même pas une vue de l’esprit ?
D’abord, il n’est pas question de revenir à « l’auto de papa », ni de dénier des réalités relatives à la nécessaire transition énergétique mais plutôt de faire progresser le progressisme ! L’intimidation liée à la reductio ad dieselum qui cherche à discréditer toute voix discordante, simplement soucieuse de relativisme sur ce thème, et vise à reconstruire par appartement et à la découpe le récit sur le passé en le désenchantant à chaque tournant n’est que porteuse d’une mémoire malheureuse et donc d’un avenir peu réjouissant. L’automobilisme des Trente Glorieuses était tout l’inverse d’une passion triste et, comme l’écrit François-Xavier Bellamy, « la nostalgie même sera bientôt incomprise ». L’historien, qui n’est pas juge — n’en déplaise à certains ! —, peut aussi simplement, sans scandale, témoigner des cohérences, voire des bonheurs d’une période révolue, à condition d’en relever toutes les ambivalences.

 

Vive la route ! Vive la République ! de Jean-Pierre Orfeuil et Mathieu Flonneau – Editions de L’Aube – Mars 2016

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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