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N’abdiquez jamais !


N’abdiquez jamais !

albert ii roi des belges

Sire,
Permettez-moi, alors que vous montez sur le trône de Belgique, de m’adresser à vous familièrement, avec ce diminutif de votre prénom rendu célèbre par une bande dessinée de George Rémi, alias Hergé. Flupke, et son copain Quick sont deux gamins du Bruxelles populaire des années 30 du siècle dernier, ne manquant pas une occasion de perturber la vie de leurs concitoyens par leurs inventions aussi ingénieuses que dangereuses. Votre naissance princière ne vous a pas permis de vous conduire comme ces galopins des Marolles. Vous avez dû rêver, en votre triste palais, de leur joyeuse liberté et de leur total mépris des convenances. Le carcan protocolaire où vous fûtes enfermé, les uniformes que l’on vous enjoignit de revêtir, l’apparence d’excellence en tous domaines que vous étiez contraint d’afficher vous ont rendu gauche et maladivement timide. Parler en public est pour vous une torture, et il n’est pas indifférent que vous ayez choisi pour épouse une charmante logopède, nom donné en français de Belgique aux orthophonistes, thérapeutes du langage.
Je mesure l’effroi qui doit vous saisir en ce jour, par vous tant redouté, où chacune de vos paroles sera scrutée à la loupe, mesurée à l’aune de celles de vos prédécesseurs. Rassurez-vous pourtant : ce ne sont pas les rois qui font l’Histoire, mais l’Histoire qui fait les rois, pour le meilleur ou pour le pire. Voyez votre cousin George VI, roi d’Angleterre, dont le film Le discours d’un roi de Tom Hooper montre comment, en dépit d’un bégaiement atroce, il réussit, par son verbe et son comportement, à mobiliser une nation toute entière dans un combat victorieux contre ceux qui voulaient l’asservir.
Sa tâche, j’en conviens, avait été facilitée par le fait que l’ennemi était extérieur, alors que ceux qui veulent aujourd’hui vous abattre, ou, à tout le moins vous priver de l’essentiel de vos attributions se trouvent parmi vos sujets. Vous êtes la Belgique, et toujours plus nombreux et agressifs sont ceux qui n’en veulent plus. Vous ne portez plus d’autre nom que celui de votre pays : Philippe de Belgique, c’est votre seul état civil depuis que votre ancêtre Léopold 1er abandonna celui des Saxe-Cobourg. Sans elle, vous n’êtes plus rien, et ce n’est pas la grande fortune accumulée par votre famille qui pourrait vous consoler de ce drame singulier : perdre à la fois son trône et son nom.
Votre père, n’a été roi que par un hasard de l’Histoire : la stérilité de votre tante Fabiola et le refus de votre très catholique tonton Baudouin de la répudier comme Napoléon, à contre cœur, mais à juste raison d’Etat, renvoya Joséphine de Beauharnais. Il fit de son mieux pour essayer de combler la faille qui s’agrandissait chaque jour entre les deux parties du royaume. D’un côté les Flamands  ne rêvent que d’une chose, entrer dans le club des Etats-nations maîtres de leur destin, et de l’autre les francophones, Wallons et Bruxellois, font tout ce qu’ils peuvent pour préserver ce qu’il reste d’un royaume dont il tirent encore quelques avantages sonnants et trébuchants.
Pour les premiers, qui se rangent toujours plus nombreux derrière leur idole nationaliste Bart de Wever, vous ne serez jamais assez flamand : il relèveront chacune des minimes entorses que vous pourriez faire à leur langue – il sont très sourcilleux sur ce point – vous tiendront rigueur de vous entretenir en français dans l’intimité avec la reine Mathilde, d’être copain avec  le premier ministre Elio Di Rupo, wallon, socialiste et monarchiste…Votre vie royale risque d’être un enfer.
Les précédents historiques sont inquiétants : lorsque Charles Quint, qui régnait, entre autres, sur les Provinces-Unies, la Belgique et le Pays-Bas d’aujourd’hui abdiqua au profit de son fils Philippe II d’Espagne, cela aboutit à la scission des provinces du Nord protestantes d’avec celles du sud, catholiques. Aujourd’hui, ce ne sont plus les religions qui séparent, du moins au sein de la chrétienté, mais les dogmes de l’économie. Les Flamands sont du nord, comme les Allemands et les Néerlandais, et les francophones du sud, plus proches du «  club Med » des cigales grecques, espagnoles ou françaises que des fourmis germaniques ou scandinaves… Un roi qui serait à la fois cigale et fourmi, cela s’appelle une chimère en zoologie, et l’on n a jamais vu une chimère donner naissance à une nouvelle espèce.
N’écoutez pas, Sire, ceux qui tentent de vous faire croire que la Belgique a encore de beaux jours devant elle : ils vous monteront des sondages trompeurs, prétendant, par exemple que la majorité des Flamands n’est pas séparatiste. La vérité des sondages, se sont les urnes. Et celles-ci, inexorablement, donnent toujours le même signal, en l’amplifiant lors de chaque scrutin : les indépendantistes du nord sont en train de gagner la partie. Ce n’est pas vous faire injure que de penser qu’il est impossible, dans les onze petits mois qui nous séparent des élections fédérales de 2014, vous pourriez inverser cette tendance. De ces élections, vous sortirez essoré, seul face à un leader charismatique porteur d’un projet national en marche.
Alors que faire ? Il ne faut pas compter sur l’Europe institutionnelle pour venir au secours d’un Belgique en voie de décomposition. Pourvu que De Wever lui assure un statut de Bruxelles permettant à la bureaucratie eurocratique de poursuivre ses activités, elle fermera les yeux sur les mauvais coups qui pourront vous être portés. Vous pourrez alors choisir de laisser partir les Flamands vers leur destin, et continuer à régner sur une « Belgique résiduelle » francophone, et les quelques dizaines de milliers de germanophones des cantons de l’est. Et pourquoi pas, vous inscrire dans le plus corrompu des partis socialistes du continent, dont vous seriez alors l’otage…
Alors soyez Flupke ! Sortez de ce carcan monarchique où l’on vous a enfermé ! N’abdiquez pas, car cela renverrait le mistigri à l’un ou l’autre de vos parents, pourquoi pas à votre sœur Astrid, qui ne rêve que de cela avec son mari, l’archiduc Lorenz…Dissolvez solennellement la monarchie avant que l’on ne le fasse pour vous, installez vous aux Marolles – on s’y amuse plus qu’à Laeken – . L’été, vous pourrez alors, en camping-car, aller agiter le drapeau noir-or-rouge le long des routes du Tour de France. Vous entrerez alors dans l’Histoire. Par la grande porte.

*Photo: saigneurdeguerre



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