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L’hédoniste sécuritaire c’est moi


À part quand il s’agit d’une administration, d’un huissier ou d’une emmerderesse, j’aime bien qu’on s’intéresse à moi en particulier. J’aime aussi qu’on s’intéresse à moi en général et même en généralités et quand je suis le type d’un sociologue, loin de me sentir réduit, je suis attentif et curieux comme une femme chez l’astrologue.

J’ai donc lu avec intérêt l’entretien de Daoud avec le politologue et militant politique Gaël Brustier qui parle de « droitisation » quand « les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entraves mais sous la protection d’un arsenal sécuritaire renforcé ». Je dois reconnaître que « l’hédoniste sécuritaire », c’est assez moi. Je vais tâcher de m’expliquer sur cet oxymore et de répondre à cette question qui reste d’actualité sur de nombreux sujets : à qui la faute ?
Je suis un héritier de mai 68, c’est incontestable. Je ne jouis pas tout à fait sans entraves, j’ai mes limites et je suis attaché au consentement de ma partenaire comme je suis soucieux du respect des humains qui m’environnent ainsi que des lois et des codes culturels en vigueur, mais ceci étant dit, je l’avoue, je vis à la recherche de mon plaisir. Je tiens, entre autres, pour un précieux acquis de notre civilisation la libération sexuelle et même les discours les plus réacs n’ont pas réussi à me convaincre que la France, c’était mieux avant les filles faciles. Pour rien au monde, je ne voudrais revenir à une époque sans pilule et sans mini-jupes. J’aime par exemple croiser dans le RER des femmes légèrement vêtues. Or nous voyons et ce , de plus en plus, que sans arsenal sécuritaire renforcé dans les trains qui traversent nos villes et nos banlieues, nous, Occidentaux de tous les sexes, ne pourrions jouir de cette liberté des femmes d’occuper l’espace public sans être obligées de s’habiller comme des sacs. L’hédoniste que je suis y tient beaucoup alors le sécuritaire y veille.

Les soixante-huitards criaient : « CRS=SS » et nous, comme les collégiens qui sont poignardés dans leurs écoles mais à la différence de leurs professeurs libertaires, nous voulons plus de police. On peut toujours nous prendre pour ces cochons de bourgeois de la chanson de Brel devenus vieux et cons. Il faut bien constater que les lois, les flics et les délinquants aussi ont changé.
Aujourd’hui, la justice ne poursuit plus les homos mais les auteurs d’agressions homophobes, elle ne sanctionne plus le blasphème mais son censeur menaçant ou terroriste, elle ne condamne plus les femmes adultères mais leurs maris cogneurs et défend les « salopes » qui avortent contre les anti-IVG qui les importunent.

La police ne réprime plus les manifestations, elle les encadre et, en protégeant une jeunesse étudiante et pacifique contre une autre qui l’est moins, elle garantit le droit des jeunes à nous rejouer 68 pour un oui et surtout pour un non. Les flics des mœurs ou des stups qui tracassaient nos parents soixante-huitards pour des broutilles ont d’autres chats à fouetter quand ils interviennent en banlieue pour tenter de défendre le droit du plus faible et quand les CRS sont autorisés à matraquer des jeunes qui leur tirent dessus, c’est parfois pour empêcher l’incendie de bibliothèques.
Même la délinquance a changé. Une violence d’une nature nouvelle menace les plus vulnérables d’entre nous. Les jeunes, les femmes ou les personnes âgées peuvent être frappés à mort pour un i-phone ou un sac à main. Hier, il arrivait que l’on tire du haut d’un balcon sur des jeunes trop bruyants, aujourd’hui, on peut se faire tabasser quand on ose réclamer un peu de silence. La gauche a longtemps dénoncé l’autodéfense, à présent, on ne tue plus pour défendre son autoradio mais on peut en mourir.

Le ré-ensauvagement du monde n’est pas un fantasme délirant ou une hallucination collective, c’est une dérive bien réelle à laquelle tous les enfants, tous les parents et tous les amants un peu lucides, responsables et inquiets font face en appelant la police. Dans notre État de droit, la sécurité n’est pas assurée par la Sécuritate, elle est la condition incontournable de l’exercice et de la jouissance de nos nombreuses libertés. Dans une société où les caméras de surveillance n’espionnent pas les dissidents mais identifient les violeurs et où les flics de la droite protègent les acquis libertaires de la gauche, je réponds à Gaël Brustier que j’assume sans complexe mon « hédonisme sécuritaire ». Je parlerais plutôt d’art de vivre sécurisé mais après tout, je ne déteste pas les termes polémiques. Si on ne se taquine pas un peu de gauche à droite et de droite à gauche, on finira par ne plus se parler.

Selon Gaël Brustier, outre un désir suspect de sécurité qui pousse vers la « droitisation », un vent de « paniques morales » souffle sur les peuples d’Europe, les entraînant dans un « délire islamophobe, différentialiste et occidentaliste ». Je dois reconnaitre que là aussi, je me suis reconnu.

D’abord, je ne vois personne céder à la panique même morale et quand des Européens estiment que les valeurs de l’Occident sont menacées, ils n’occupent pas les rues et ne tirent pas en l’air, ils votent, ce qui est une réaction aussi éloignée que possible de la panique. L’islam et les transformations que son essor implique dans nos sociétés m’inquiète et, en digne héritier de 68, ce n’est pas tant le changement qui m’effraie que la régression. Je suis ravi que les cultures française et européenne aient été enrichies dans les années 1960 par le western et le rock’n’roll venus d’outre-Atlantique. Si quelques irréductibles Gaulois préfèrent Louis la brocante et Nolwen qui chante la Bretagne de papa, grand bien leur fasse, moi je vibre avec John Wayne et Elvis Presley, et même avec Chuck Norris mais le problème n’est pas là.

Toujours est-il que je ne me sens pas particulièrement conservateur, je reste plutôt ouvert aux autres cultures mais pas à toutes. Qu’on me pardonne, je suis difficile, exigeant, je fais le tri, en un mot, je discrimine.

Islamophobe ? Passons sur les groupuscules islamistes et sectaires sur lesquels nous sommes tous d’accord. Plus généralement, dans les territoires d’Europe où les populations musulmanes sont majoritaires, un islam communautaire liberticide, régressif et parfois violent règne sur les individus. Avec lui, les conquêtes de notre civilisation sont contestées, l’égalité entre les sexes, la liberté des mœurs, la tolérance à la critique et le récit de notre histoire. Alors que le western est un monde de gentlemen bourrus à l’esprit chevaleresque et le rock’n’roll un truc sexuel, transgressif et libérateur, la culture des nouveaux arrivants pourrait nous ramener à un Moyen âge étranger à l’amour courtois.

Différentialiste, sûrement pas. L’islam ne regarde que les musulmans et je ne veux voir que des Français. Je ne veux aucun différentialisme, ni positif, ni négatif et je ne veux pas de différences dans la loi, à l’école, à la piscine ou à la cantine. Ce n’est pas moi qui assigne certains Français à résidence identitaire. La République ne reconnaît aucune communauté mais tous ses citoyens et la France est une chance pour l’émancipation des individus et un modèle pour les révolutions.

Occidentaliste, je veux bien. What else ? Pour la culture, le bilan des peuples de l’ouest est globalement positif. Si l’Eurovision et le carré VIIIP nous désolent, le cinéma bollywoodien, la musique asiatique, la production littéraire arabe et les brevets scientifiques africains nous consolent. Et puis j’aime imaginer ce que la civilisation occidentale, ses valeurs, sa démocratie sociale de marché pourraient produire sur le développement de l’Afrique, l’économie russe, les droits de l’homme asiatique ou de la femme arabe. L’Occident reste un phare pour le monde et le sens des migrations le montre bien alors si les peuples sont occidentalistes, pourquoi pas moi ?

Peut-on, avec tout ça, parler de « paniques morales » ? Je ne sais pas mais de résistances sûrement, et tout ce qu’il y a de plus morales. Alors va pour islamophobe et occidentaliste. Parce que je veux ce qu’il y a de mieux pour mes amis comme pour mes ennemis.



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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