Mon djihad à Villejuif


Mon djihad à Villejuif

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Au départ, je voulais du soleil et de l’exotisme.

Le roi d’Arabie saoudite étant venu en France, je trouvais aimable de lui rendre la politesse en allant passer mes vacances en Arabie saoudite.

Malheureusement, pour une raison qui m’échappe, l’Arabie saoudite ne délivre pas de visas touristiques. On ne peut s’y rendre que pour travailler.

Grâce à un ami entrepreneur et entreprenant, j’ai très vite eu une raison professionnelle et impérieuse de me rendre dans ce beau pays.

Malheureusement, un tampon trahissant une récente visite en Israël m’a promptement disqualifié.

L’Arabie saoudite ne délivre pas de visa à quiconque s’est rendu en Israël.

Grâce à un ami introduit (oui, j’ai beaucoup d’amis), j’ai rapidement obtenu un passeport vierge. Heureusement, nous sommes en 2015 car, jusqu’à fin décembre 2014, l’Arabie saoudite était interdite aux juifs. Mais à en croire Al-Watan, depuis fin décembre 2014, le site du ministère saoudien du Travail répertorie le judaïsme comme l’une des dix religions acceptables que les travailleurs étrangers ont le droit de pratiquer. Parmi les autres religions acceptables on trouve « le communisme ». C’est pas de l’exotisme, ça ?

Maintenant, seuls les Israéliens sont interdits en Arabie saoudite. Enfin, à mon avis, un Palestinien de nationalité israélienne n’aurait pas de problème à aller en Arabie saoudite… Je me demande s’ils ne veulent pas dire « interdit aux juifs » finalement…

Bon, l’Arabie saoudite demeure le seul État du Golfe qui interdit encore la création de lieux de culte de religions différentes de l’islam.

Bon, les villes de La Mecque et de Médine sont interdites aux non-musulmans.

Bon, si vous êtes adultère, homosexuel (ou les deux), vous risquez la peine de mort.

Le pire, ce serait d’être une femme juive, homosexuelle, qui irait là-bas avec sa maîtresse.

Finalement il fait peut-être un peu chaud pour se détendre, dans ce pays…

Après avoir fait un tour des pays où les juifs sont, sinon interdits, du moins pas les bienvenus, je décide de me rabattre sur la France.

Sauf que je n’ai pas assez d’argent.

C’est plus cher, la France.

J’ai besoin de vacances. Il faut que je trouve un moyen de les financer.[access capability= »lire_inedits »]

Je commence par ouvrir un profil Facebook au nom d’Hanane. Ensuite je surfe pour récupérer toutes sortes de photos de filles en hidjab. Je finis par trouver ce que je cherche : le profil d’une Karima, dont les photos montrent l’évolution depuis le jean fitté, gloss et mascara, jusqu’à la plus récente : djilbab (mieux que le hidjab, la longue robe noire couvrant les cheveux et tout le corps hormis les pieds et les mains. Batman quoi). Malheureusement, Karima n’a pas ajouté le petit détail mode qui fait tout : les gants noirs tout fins qui permettent d’effacer aussi les mains. Nul n’est parfait.

Au passage, depuis mon profil tout neuf d’Hanane, je like à tour de bras les groupes arborant le drapeau de l’État islamique en photo de couverture et autres enfants mutilés par les américano-sionistes. Par parenthèse, j’ai quand même vu la même photo sur trois groupes différents, légendée de trois manières différentes, à trois dates différentes : enfant martyr de Gaza bombardé par qui vous savez, enfant martyr d’Irak bombardé par les Américains, enfant martyr de Syrie bombardé par Assad. En faisant tourner la photo sur Google Images, on découvre que la plus ancienne est celle d’un enfant irakien, ensuite resservie à toutes les sauces. Confronté de nombreuses fois à ces fakes, je me demande toujours pourquoi il est nécessaire d’aller chercher de fausses photos pour illustrer de vrais drames. Je ne doute pas que chaque conflit fasse d’affreux dégâts, mais quoi ? Les dégâts disponibles en photos ne sont-ils pas assez efficaces en termes de marketing ?

L’algorithme de Facebook étant ce qu’il est, mes like obsessionnels pour l’État islamique et des profils de barbus enturbannés me valent rapidement des propositions alléchantes vers des groupes toujours plus radicaux et des profils de plus en plus islamistes.

Les photos de Karima produisent l’effet espéré et je compte bientôt quelques amis compétents en matière de charia.

Les discussions s’engagent, stériles pour la plupart, mais certaines m’encouragent de façon de plus en plus pressante à me rallier à la lutte pour le bien.

De mon côté, je ne manque pas de clamer ma foi, mon admiration pour le combat légitime de l’État islamique et mon envie de m’engager en rejoignant un valeureux combattant qui deviendra mon mari, inch Allah. Je « demande-d’ami » à tour de bras les profils posant avec une kalachnikov ou une ceinture d’explosifs devant un drapeau de l’État islamique. Ceux qui ont le bon goût d’ajouter une ou deux têtes décapitées ont ma préférence. S’il y a en plus un enfant égorgeant un prisonnier orange, je frise l’orgasme et le fais savoir.

Ces appâts me permettent d’attraper une demi-douzaine de poissons.

Se pose maintenant LE problème : je n’ai pas d’argent pour payer mon billet vers la Turquie, d’où des passeurs m’emmèneront en Syrie.

Deux « moudjahidine lovers » sont prêts à me financer.

J’ouvre alors une cagnotte sur « Le pot commun ». J’invente l’anniversaire de Monique et exhorte ses amis à se montrer généreux. Le site aura mes coordonnées bancaires mais pas les donateurs.

Farid (qui s’appelle en réalité Kevin, m’a-t-il avoué maintenant que je suis proche de la félicité matrimoniale avec lui) verse par PayPal 1 200 euros pour le cadeau de Monique.

Sur le pot commun ouvert « pour le départ en retraite de Roger », Farid a déposé de manière aussi anonyme que Kevin 1 000 euros.

Je ferme les deux faux pots communs et, trois jours plus tard, l’argent est viré sur mon compte. Très pratique, ces cagnottes en ligne !

Je ferme alors mon profil Facebook d’Hanane, non sans avoir remercié mes généreux pygmalions, à qui j’ai certifié que j’arriverais à l’hôtel turc qu’ils m’ont indiqué dix jours plus tard, et je boucle mes valises.

Maintenant que j’ai de quoi partir en vacances aux frais de l’État islamique, je crois que je vais craquer pour Villejuif. D’après le nom, c’est un peu chez moi.

En plus, idéalement situé juste à l’extérieur de Paris, près de la ligne de métro 7, le « Park & Suites Élégance Villejuif » propose un hébergement doté d’une connexion wi-fi gratuite et d’une télévision à écran plat. Pour 59 euros ! Si j’ai le mal du pays, je suis chez moi en vingt minutes sans changement. Ça fait moins loin que de revenir de Syrie. L’idéal !

C’est donc de ce merveilleux lieu de villégiature que je vous envoie cette carte postale.

Seulement, quand je rentre, ils vont m’entendre sur TripAdvisor !

C’est très surfait, Villejuif.

La plage est moche, peu de vendeurs de jeans, pas de banques rutilantes, pas un seul usurier, et même pas d’association sportive de domination du monde. On se demande vraiment pourquoi ça s’appelle comme ça !

Je sais que vous ne croyez que très moyennement à mon histoire. Pourtant, trois jeunes filles tchétchènes l’ont réellement fait fin juillet. Elles ont même été arrêtées pour escroquerie, raconte Russia Today. La Tchétchénie, république de la Fédération de Russie à majorité musulmane, est une terre de choix pour les recruteurs et propagandistes de l’État islamique. Le site Lifenews a rencontré l’une d’elles. Une capture d’écran de l’un de ses comptes montre une discussion avec un djihadiste. Elle écrit : « Je n’ai pas assez d’argent pour me payer des vêtements décents, alors un billet d’avion… Que dois-je faire, mon frère ? » Et son interlocuteur de répondre : « Je vais t’aider autant que je peux, ma sœur, c’est ce qu’un frère doit faire. »

Les trois voleuses encourent jusqu’à six ans de prison. Mais pour les inculper il faudrait que la partie lésée porte plainte…

Comment ça se dit « Dans ton culte ! » en nazislamiste ?[/access]

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Septembre 2015 #27

Article extrait du Magazine Causeur



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est cinéaste et scénariste. Il a notamment réalisé La journée de la jupe (2009).

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