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Wokisme: la télévision publique mène son enquête…

La chronique médias de Didier Desrimais


Wokisme: la télévision publique mène son enquête…
Le journaliste Tristan Waleckx © Nathalie Guyon / France TV

Promis: avec son émission consacrée à la prétendue «dictature des bien-pensants», elle n’avait aucune idée en tête!


Le 5 novembre, le journaliste Tristan Waleckx se promettait de tout nous dire sur le wokisme dans l’émission hebdomadaire Complément d’enquête qu’il anime sur France 2. Plusieurs questions le tarabustent : « le “wokisme” est-il réellement un danger pour notre pays ? » ; les adversaires du wokisme ont-ils raison de parler de « dictature des bien-pensants ? » ; le wokisme « serait-il un “nouvel obscurantisme”, comme le qualifient certains hommes politiques ? » Ces questions trouveront rapidement leurs réponses. Dès les premières minutes de l’émission, le chemin est tout tracé et le téléspectateur comprend immédiatement ce que Tristan Waleckx va tenter de lui faire gober.

Thomas Jolly, l’audacieux

Cela commence avec… la cérémonie des JO de Paris, cet « événement qui a rendu fier tout un pays »grâce au « parti pris audacieux de son directeur artistique », Thomas Jolly. Celui-ci ne comprend pas les reproches qui lui ont été adressés. Il s’interroge : « Inclure l’ensemble des Français et Françaises, dans leur diversité, dans une cérémonie qui s’adresse à chacun et chacune d’entre eux et d’entre elles, qui a créé de l’unité, de la fierté nationale, c’est woke ? » M. Jolly ne se rend visiblement pas compte que cette phrase est un pur produit de l’idéologie qui a conçu, entre autres difformités, le verbiage « inclusif ». Sa cérémonie était imprégnée jusqu’au trognon de la même idéologie. Sans le savoir, Tristan Waleckx vend d’ailleurs la mèche lorsqu’il évoque l’abondante présence de « représentants queer », entre autres Nicky Doll, « la plus célèbre drag-queen française, animatrice d’une émission sur France Télévisions, une figure du mouvement LGBT qui défend les droits des minorités sexuelles ». Cette cérémonie n’était effectivement pas destinée à « l’ensemble des Français et Françaises » mais aux différentes « communautés » supposément discriminées qui furent majoritairement représentées dans ce lamentable spectacle.

Au député Julien Odoul qui confie n’avoir pas particulièrement apprécié la prestation d’Aya Nakamura avec la Garde républicaine, le journaliste rétorque : « Elle est quand même la chanteuse francophone la plus écoutée au monde. » Rectificatif : si Aya Nakamura est très écoutée dans le monde entier ce n’est sûrement pas parce qu’elle est une « chanteuse francophone » mais plutôt parce qu’elle est une chanteuse charabiaphone qui baragouine, sur des musiques électro-pop standardisées, des textes incompréhensibles, un salmigondis farci d’argot malien, de verlan français, anglais ou espagnol, d’expressions arabo-africaines à la mode dans les « quartiers », etc. Il y a quelques années, le député socialo-macroniste Rémy Rebeyrotte s’était extasié devant ce galimatias et voyait en Aya Nakamura une ambassadrice de la langue française parce que, disait-il, « elle est en train de porter au niveau international de nouvelles expressions et évolutions de la langue française ». On ne parlait pas encore d’interdire l’alcool à la buvette de l’Assemblée nationale ; pourtant…

Militants identitaires et wokisme pur

Bien entendu, les personnes qui ont critiqué cette cérémonie ne peuvent être que des « militants identitaires » de la pire espèce, des personnalités douteuses, intolérantes, homophobes et racistes. D’ailleurs, insiste le journaliste, un rapport récent[1] a mis en évidence les liens entre ces individus et différentes associations, dont une, « considérée comme très conservatrice », est financée par « le milliardaire catholique Pierre-Édouard Stérin ». L’initiateur de ce rapport, Neil Datta, est le directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs, souligne le reportage qui omet toutefois de préciser, comme c’est bizarre, que ce Forum basé à Bruxelles est financé entre autres par la Commission européenne, la Gates Foundation et… l’Open Society Foundation de George Soros. Interviewé par France TV, Neil Datta livre une réflexion étonnante : « Auparavant, ils [les vilains détracteurs du wokisme] utilisaient “l’idéologie du genre”, ils s’en sont servis et ils ont bien utilisé cette notion d’idéologie du genre. Ça ne sert plus à grand-chose maintenant, les gens s’en lassent, donc tout l’ensemble de cette extrême droite a inventé cette notion de woke qui ne veut rien dire mais, en même temps, on comprend ce que cela veut dire. » Soit Neil Datta est un imbécile qui n’a strictement rien compris au wokisme, soit il fait semblant d’être un imbécile n’ayant strictement rien compris au wokisme pour noyer le poisson – dans ce cas, il fait ça très bien. Quoi qu’il en soit, nous lui recommandons de lire l’essai du philosophe Jean-François Braunstein La Religion woke, qui explique justement que « la théorie du genre est le cœur de la religion woke, la partie la plus originale mais aussi, en quelque sorte, le “produit d’appel”, par son absurdité décomplexée, et aussi par son mystère quasi théologique ». Pour plus d’informations, il pourra également compulser l’ouvrage intitulé Face à l’obscurantisme woke puisque celui-ci a pu paraître malgré la demande acharnée de censure du Grand Inquisiteur du Collège de France Patrick Boucheron qui fut aussi, il n’y a pas de hasard, l’un des co-scénaristes de la cérémonie des JO.

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Le sujet de l’islamo-wokisme est ensuite abordé. « Que s’est-il passé à Lyon 2 ? Cette faculté est-elle tombée aux mains des wokes ? », demande Tristan Waleckx en relatant l’affaire Balanche, du nom de cet universitaire qui, parce qu’il avait approuvé l’interdiction d’une soirée consacrée à la rupture du jeûne du ramadan au sein de l’université, a été agressé pendant son cours par des individus masqués le traitant de sioniste et de raciste. Sur France TV, on se demande quand même, l’air de rien, si l’enseignant ne l’aurait pas un peu cherché : deux jours avant cette agression, Fabrice Balanche était effet interviewé sur… CNews, où il dénonçait l’islamo-gauchisme qui gangrène l’université française en général et Lyon 2 en particulier. Les islamo-gauchistes qui l’ont agressé ont posté leur méfait sur les réseaux sociaux. La vidéo, devenue « virale », a surtout été « reprise par des comptes comme celui du syndicat étudiant de droite, l’UNI, et ceux des sites d’extrême droite, Frontières et Boulevard Voltaire », tient à souligner, avec des frissons dans la voix, le journaliste. L’enquête progresse : il semblerait bien que cette affaire ait été montée en épingle par la droite nationale la plus rigide.

L’universitaire Xavier-Laurent Salvador, signataire d’une tribune dénonçant la mouvance islamo-wokiste dans les milieux universitaires et co-directeur de Face à l’obscurantisme woke, est interviewé. Il cite différents intitulés baroques ou nébuleux glanés dans les dizaines et dizaines de publications, de colloques, d’articles universitaires sur le genre, le queer, le racialisme, le décolonialisme, etc., qu’il a recensés en France pour le seul mois de février 2023. Pour contrecarrer ce témoignage, Complément d’enquête a mené « sa propre enquête » et, pour ce faire, s’est tourné vers Étienne Ollion, sociologue au CNRS. D’après celui-ci, Xavier-Laurent Salvador a utilisé une « logique de l’anecdote » au détriment de la « logique scientifique ». Heureusement, Étienne Ollion et son équipe ont lancé une « vaste étude » portant sur l’évolution des sciences sociales depuis 2001 et sont parvenus au résultat suivant : il n’y a guère plus de travaux sur le « genre » ou le « concept de race » en 2022 qu’en 2001. Curieux ! Pour comprendre ce tour de passe-passe, il suffit de lire Ce que le militantisme fait à la recherche (Tract Gallimard n° 29), ouvrage dans lequel la sociologue Nathalie Heinich rappelle un article du Monde citant l’étude d’un chercheur se faisant fort de démontrer, lui aussi, « statistiques et graphiques à l’appui », le très faible pourcentage depuis 2011 de certains termes – « décolonial », « intersectionnel », « racisé », « islamo-gauchisme » – dans les quatre moteurs de recherche universitaire les plus utilisés. Résultat stupéfiant : 0,01 % ! Mais… « il suffit d’ajouter à la liste quelques termes très fréquents dans ce type de travaux (tels que “genre”, “féminin”, “islamophobie”, etc.) et de prendre en compte d’autres sources (annonces de colloques, de journées d’étude, titres de séminaires, ateliers, etc.) pour arriver à un tout autre résultat: ces termes constituent plus de la moitié du corpus ainsi élargi », écrit Nathalie Heinich. Par ailleurs, ironise-t-elle, comment prendre au sérieux certains « experts » du CNRS, en particulier ceux qui défendirent la « géographe du genre » Rachele Borghi, victime, selon eux, « “d’attaques indignes”, malgré “une rigueur et une éthique scientifiques” ne faisant aucun doute pour “celles et ceux qui, depuis le début de sa carrière, ont réalisé des évaluations véritablement scientifiques de ses travaux” ». Et Nathalie Heinich de se demander qui a bien pu expertiser, sans éclater de rire, l’article « scientifique » de Mme Borghi intitulé « De l’espace genré à l’espace queerisé », dans lequel la géographe affirme d’abord que « l’espace public est conçu, géré et modelé sur la base d’une conception dualiste rigide: homme-femme, licite-illicite, homosexuel-hétérosexuel », et conclut ensuite que « la géographie de la sexualité, définie comme branche de la géographie, peut contribuer de manière importante au dévoilement des normes et des structures de pouvoir qui oppriment et excluent de l’espace public les dissident.e.s sexue.le.s ». Présupposé délirant, remise en cause pseudo-foucaldienne des « normes et des structures de pouvoir », militantisme néo-féministe et pro-LGBT, écriture inclusive – bref, du wokisme à l’état pur…

Jean-Michel Blanquer, le sage

À la fin de l’émission, Tristan Waleckx reçoit Jean-Michel Blanquer. Celui-ci est présenté comme « l’un des tout premiers à avoir utilisé en France le mot et le concept de wokisme ». Nous devons rectifier cette assertion : s’il est vrai que, depuis qu’il a quitté le ministère de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer n’a pas manqué de dénoncer les dérives wokes, de nombreux universitaires, journalistes et représentants politiques l’ont devancé dans le combat contre le wokisme. Par ailleurs, la circulaire Blanquer de septembre 2021 – « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire » – contredit l’idée que le ministre ait été parmi les premiers à s’opposer à l’idéologie woke, en particulier à la théorie du genre. Cette circulaire entérinait en effet les revendications d’associations transgenres: possibilité pour l’élève de se déclarer du sexe de son choix, de changer de prénom, de bénéficier d’aménagements particuliers pour l’utilisation des toilettes et des vestiaires, de jouir d’un traitement individualisé et, bien sûr, d’une bienveillance sans limite de la part du « personnel éducatif » et des élèves auxquels devaient être proposées des sessions de sensibilisation (c’est-à-dire de rééducation) sur le sujet[2]. Il n’est pas impossible que cette circulaire ait été concoctée dans le dos du ministre, sous la férule de hauts fonctionnaires indéboulonnables suivant à la lettre l’agenda européiste de rééducation de la population, tant en ce qui concerne les questions de sexualité et de genre qu’en ce qui concerne les questions d’écologie ou d’éducation aux médias. Il n’empêche: la signature de M. Blanquer au bas de ce document consternant restera comme l’illustration de sa soumission à l’idéologie transgenre au moment où il aurait dû, au contraire, faire montre de conviction et d’autorité et renvoyer dans leurs cordes les idéologues de la rue de Grenelle.

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Tristan Waleckx a, depuis le début de son émission, une idée en tête. Il pose par conséquent à Jean-Michel Blanquer une question qui n’est pas une question mais un sous-entendu courant chez les journalistes de l’audiovisuel public : « Le fait d’avoir popularisé le mot woke, ça a permis à l’extrême droite d’imposer un concept dans le débat public ? » Quelques minutes plus tard, après avoir montré un graphique où il apparaît que l’expression « islamo-gauchisme » a été entendue dix à vingt fois plus « sur CNews, la chaîne de Vincent Bolloré » que sur les autres chaînes d’info, le journaliste, toujours aussi lourdingue, interroge faussement l’ex-ministre : « Ça veut dire quelque chose ? » Et lorsque ce dernier affirme que, CNews ou pas, « l’islamo-gauchisme existe », le journaliste sort ce qu’il croit être sa carte maîtresse :« C’est un concept qui est quand même contesté par le CNRS qui est un institut sérieux (sic – voir ci-dessus) expliquant que “l’islamo-gauchisme est un slogan politique ne correspondant à aucune réalité scientifique” » et par des présidents d’universités déclarant que « l’islamo-gauchisme est une pseudo-notion qu’il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite ». L’argumentation tourne court. Au passage, on remarquera qu’en ce moment, qu’il s’agisse du wokisme, de l’islamo-gauchisme ou de l’écologisme, les gourous de ces nouvelles religions n’ont qu’un mot à la bouche, le mot « science », mot-amulette, mot-talisman, mot magique ayant pour but d’empêcher justement toute démarche scientifique, laquelle ne peut se passer de réflexion critique et de controverses.

Nul besoin, je crois, de préciser l’objectif de cette émission. Le procédé pour y parvenir, grossier, est celui qu’utilisent régulièrement les journalistes bien-pensants du service public. Ce « Complément d’enquête » corrobore les déclarations de Delphine Ernotte, la présidente de France TV ayant avoué que l’audiovisuel public n’était pas là pour montrer la France telle qu’elle est mais telle que la caste médiatico-progressiste aimerait qu’elle soit. De ce côté-là, on peut dire que Tristan Waleckx a parfaitement rempli sa mission…

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[1] La prochaine vague : comment l’extrémisme religieux regagne le pouvoir. L’extrémisme religieux en question est bien entendu l’extrémisme… catholique qui, comme chacun sait, ravage l’Europe en ce moment.

[2] Pour plus d’informations sur cette position catastrophique du ministre Jean-Michel Blanquer vis-à-vis des revendications émanant de différents organes politiques et associatifs promouvant l’idéologie sur le genre, je renvoie à mon article du 16 octobre 2021 : https://www.causeur.fr/vallaud-belkacem-blanquer-meme-combat-215169



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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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