Avec Oui, en salles ce mercredi, le réalisateur israélien Nadav Lapid signe un nouveau réquisitoire contre son pays
Quelle rage masochiste anime Nadav Lapid ? Quatre ans après Le genou d’Ahed (l’affrontement entre un réalisateur israélien et une fonctionnaire du ministère de la Culture, dans un hameau de l’État hébreu) nous revient l’«exilé » volontaire d’Israël, cinéaste désormais cinquantenaire, installé à Paris depuis 2022, plus remonté que jamais contre sa patrie d’origine. Déjà, en 2011, Le Policier, premier film remarquable et remarqué, d’une facture encore assez classique, peignait la rébellion improbable d’un jeune terroriste… israélien ; en 2019, Synonymes portraiturait un paumé en rupture de ban avec Israël, tentant à ses risques et périls de s’inventer une nouvelle vie en France… Avec Oui, Lapid poursuit dans une forme d’acidité triviale son véhément, infatigable règlement de compte, cette fois sous l’aspect totalement déstructuré d’une comédie trash plutôt cauchemardesque qui ne dure pas moins de deux heures et demie – difficile à avaler.
Le scénario se décline en trois chapitres consécutivement intitulés « La belle vie », « Le chemin », et «La nuit ». A Tel Aviv, Y. (Ariel Bonz), pianiste compositeur de son état, en couple avec une danseuse de bordel, Jasmine (Efrat Dor), prostitués d’occasion l’un et l’autre tout en élevant leur nourrisson, se déchaîne jusqu’à l’orgie chez les ultra-riches. Suite à l’attaque du Hamas le 7 octobre, Y., cheveux désormais teints en blond platine, pense voir sa carrière décoller grâce à la commande qui lui est faite d’un hymne patriotique – réécriture confinant à l’abjection, d’une chanson fameuse de Haïm Gouri baptisée « La Fraternité ». Il a quitté Jasmine pour faire route avec son ancienne compagne, échappée qui le conduira, dans une séquence mémorable, devant l’horizon tonnant et fumant de Gaza sous les bombes.
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Exubérant, chaotique, outrancier, saturé de musiques envahissantes jusqu’à la nausée qui coiffent un dialogue inexistant (hormis une violente logorrhée contre le carnage de Gaza), Oui exprime, dans le paradoxe même de son titre, le consentement à la vilénie rampante dont Y., anti-héros veule et cynique, jouisseur antipathique adepte du léchage de bottes (au sens propre), voire du coït dans le tympan (hé oui !), incarne la logique obscène – projection en chair et en os, dans l’esprit du cinéaste, des mœurs délétères qu’il attribue au pays honni.
Par quel surcroît d’ironie scabreuse Nadav Lapid a-t-il confié le rôle pervers du « milliardaire » au grand acteur russe Alexey Serebryakov, dont on se souvient que dans Leviathan, le chef-d’œuvre d’Andrei Zviaguintsev, il incarnait ce pêcheur boréal dépouillé de sa maison ancestrale par un apparatchik mafieux, de connivence avec le clergé orthodoxe ?
Oui. Film de Nadav Lapid. Avec Ariel Bonz, Efrat Dor, Naomi Preis, Alexey Serbryakov. France, Israël, Chypre, Allemagne, couleur, 2025. Durée : 2h29.
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