L’année dernière, le prof de sport Julien M. a dû jongler entre idéologie et réalité. Malgré la circulaire Blanquer de 2021, un élève trans, reconnu comme un garçon par sa famille, a posé des casse-têtes très concrets dans les vestiaires et pour les barèmes du baccalauréat, tout en déclenchant tensions, insultes d’autres élèves et menaces parentales. Alors que la transidentité bénéficie d’une intense promotion dans les médias, l’Éducation nationale doit bricoler.
En son temps, Alexis de Tocqueville, grande voix de la philosophie politique libérale, débusquait dans le régime démocratique le risque de l’émergence plus ou moins sournoise d’un « empire moral de la majorité » que prolongerait dans les faits la tyrannie, la dictature de cette même majorité.
Là où il se trouve désormais, ce cher Tocqueville peut dormir sur ses deux oreilles car, dans la démocratie telle que nous la vivons (ou la subissons) aujourd’hui chez nous, ce serait plutôt à un « empire moral » et à une tyrannie des minorités que nous aurions affaire.
Ce qui suit en est, semble-t-il, la parfaite illustration.
Migraines
Il y est question de l’extrême embarras dans lequel se trouvent plongés nos enseignants ayant à gérer des élèves transgenres et leurs exigences, exigences que le culte actuel de la prévalence minoritaire a tôt fait de décréter irréfutablement légitimes et absolument prioritaires. Quitte à générer des situations tellement absurdes qu’elles feraient les délices de ce bon vieux Père Ubu.
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Le cas – emblématique – rapporté ici est celui de Julien M., professeur d’éducation physique et sportive (EPS) dans un lycée.
Il s’est trouvé confronté l’an passé, rapporte-t-il, à une « situation assez sensible concernant un élève transgenre, reconnu comme garçon dans son entourage et auprès de ses camarades, mais dont l’état civil n’a pas encore été modifié. » État civil féminin, donc, bien que son changement de prénom soit officiel et mentionné sur sa carte d’identité, alors que, on l’aura compris, le sexe reste, lui, féminin. Ubu, disais-je, mâtiné de Kafka.
La mère de l’élève a insisté dès le début de l’année pour que les équipes pédagogiques « genrent » cet élève de terminale au masculin. Usage du nouveau prénom, etc. C’est également au masculin qu’il est référencé sur Pronote, car parfois l’absurde s’offre un soupçon de logique.
Une logique qui rencontre tout de même assez vite ses limites, puisque la mère, n’étant manifestement pas à un accommodement de genre près, n’allait pas hésiter à demander au professeur d’EPS d’appliquer les barèmes des filles – moins rigoureux – pour l’évaluation au baccalauréat. Le cher ange aurait ainsi de meilleures chances de briller, de récupérer une bonne note. Ah, la merveilleuse, l’inaltérable sollicitude des mamans…
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En attendant, le professeur se trouvait à devoir gérer des situations propres à lui flanquer de sacrées migraines. La question des vestiaires par exemple. À la demande de l’élève, on tenta le coup du côté des toilettes des garçons. Mais voilà bien que trois élèves de seconde se cabrent, le virent, l’insultant au passage en raison de sa transidentité. Ni une ni deux, une procédure disciplinaire est aussitôt engagée contre eux. D’où fureur de leurs parents qui, bien évidemment, s’en prennent à l’infortuné professeur. Il est évident que les insultes ne s’imposaient pas et qu’elles sont toujours condamnables. Il est tout aussi clair qu’on ne devrait pas trop s’étonner qu’elles fusent de la bouche d’adolescents se trouvant confrontés à une situation aussi inédite et déstabilisatrice que celle-ci. Toujours aussi clair, également, qu’un effort pédagogique bien compris serait de beaucoup préférable à une procédure disciplinaire dont la seule utilité est, à l’évidence, de donner bonne conscience à la hiérarchie de l’Éducation nationale, d’ailleurs tout aussi déboussolée devant ce genre de cas que ne le sont les professeurs, en première ligne quant à eux.
Inversion radicale
La solution du problème vestiaire a été apportée par l’infirmière du lycée acceptant que l’élève vienne se changer à l’infirmerie. Un pis-aller. Une respiration. On souhaite néanmoins bon courage pour la suite à l’enseignant, ainsi qu’à ses collègues en butte aux mêmes difficultés.
Le problème de la transidentité n’est pas nouveau. De temps immémoriaux il y a toujours eu des individus, jeunes et moins jeunes, qui se sont sentis d’un autre sexe que celui qui leur était officiellement attribué. Bien entendu, ces personnes ont très évidemment droit au même respect qu’on doit à tout être humain. Absolument, rigoureusement. Cela ne supporte aucune discussion. Ce qui est nouveau en revanche, c’est bel et bien le fait aberrant évoqué au début, l’émergence d’un « empire moral » et donc d’une dictature de la minorité. Autrement dit l’inversion radicale de l’obligation d’adaptation. C’est désormais à l’ultra majorité de se soumettre à l’ultra minorité. Ce que, cela soit dit en passant, nous nous garderons bien d’oublier lorsque nous autres, mâles blancs dramatiquement hétérosexuels, seront devenus cela, ultra minoritaires dans le paysage. On devrait alors bien rigoler, je pense…
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