«L’islam est par définition contre la laïcité»


«L’islam est par définition contre la laïcité»

iran islam mostofi

Armand Mostofi est directeur de Radio Farda, le service Iran de Radio Europe libre/Radio Liberté.

Vous êtes Iranien, mais vous travaillez désormais à Prague, après avoir vécu longtemps en France. Dans quelles conditions avez-vous quitté votre pays d’origine ?

J’étais journaliste et contre-révolutionnaire. Après la révolution islamique de 1979, une commission d’épuration m’a appelé, interrogé en bonne et due forme, et m’a dit que le procès-verbal serait envoyé au tribunal révolutionnaire. Je suis né dans une famille musulmane, mais, depuis ma jeunesse, j’avais étudié différentes religions et finalement décidé de devenir athée. J’ai donc senti le danger et quitté le pays immédiatement, en 1980. J’ai demandé l’asile politique en France, mais j’ai eu du mal à trouver du travail, donc j’ai été chauffeur de taxi en région parisienne pendant des années, avant d’acquérir un niveau suffisant en français pour retrouver un emploi de journaliste.

Aujourd’hui, Manuel Valls parle à ce sujet d’« apartheid », pour désigner ce séparatisme territorial, culturel et social entre les immigrés vivant en banlieue et les Français bien intégrés des centres-villes…

C’est un constat, personne ne peut le nier. On ne peut pas dire aujourd’hui que les immigrés, surtout d’origine musulmane, soient bien intégrés dans la société française. D’abord, l’idée d’intégration a échoué parce que, depuis des dizaines d’années – bien qu’on ait dépensé des milliards d’euros –, aucun plan cohérent n’a été élaboré. Les politiques ont beaucoup parlé, et pratiquement rien fait. La distribution d’allocations et de logements sociaux n’a fait que favoriser la ghettoïsation de certains quartiers, où la police n’ose plus mettre les pieds.[access capability= »lire_inedits »] Ensuite, le processus est mutuel. Il faut aussi une volonté d’intégration de la part des immigrés, qui est malheureusement absente chez la grande majorité d’entre eux, de confession musulmane.

Et est-ce aussi la faute de la France si cette volonté fait défaut ?

La première chose qui me saute aux yeux, c’est le laxisme de l’Éducation nationale. S’il y avait un projet d’éducation correct, les musulmans pourraient s’intégrer par l’école.

Ce qu’on entend habituellement à ce point de la discussion, c’est : « Pas d’amalgame ! »

Non, il ne faut absolument pas faire d’amalgame. Tous les musulmans ne sont pas salafistes ou djihadistes. Reste qu’il y a contradiction entre le Coran et la Déclaration universelle des droits de l’homme sur plusieurs points : l’égalité entre musulmans et non-musulmans, entre les musulmans entre eux, entre hommes et femmes, l’esclavage, les punitions brutales, la liberté d’expression, de religion, de conscience…

Tout cela ne correspond-il pas à une lecture littérale du Coran, par opposition à la plus répandue, qui serait compatible avec notre mode de vie démocratique ? 

Il faut aller au-delà du discours de ces dernières semaines, selon lequel ce serait un même texte dont il y aurait différentes interprétations. Quand les musulmans dits « modérés » – comme cet honorable M. Boubakeur, doyen de la Mosquée de Paris – parlent de l’islam « tolérant », ils ont raison. Et ils peuvent vous donner des références dans le Coran. Mais quand l’État islamique coupe la tête des Américains ou des Français, il peut aussi vous donner des références. Parce que, contrairement à celle de Jésus, la prophétie de Mahomet a duré vingt-trois ans, pendant lesquels il a eu le temps d’établir un État islamique et d’en prendre la tête. L’évolution de l’islam dans ce laps de temps a été considérable. Les versets du Coran reflètent ces différentes phases de la vie de l’État islamique. Ceux qui prêchent la tolérance datent des débuts, quand Mahomet était à La Mecque. Ceux qui prêchent la guerre et demandent de tuer les mécréants sont les derniers. Le problème est que le Coran auquel on se réfère actuellement n’a pas été édité selon l’ordre chronologique des versets.

Est-ce que le chiisme peut représenter le salut de l’islam, sachant que le plus menaçant pour nous est actuellement le wahhabisme ?

Non, le problème est beaucoup plus compliqué que ça. L’islam chiite a hérité d’un État entier, l’Iran, avec la bénédiction des intellectuels européens au moment de la révolution islamique. Naturellement, son comportement est un peu différent de celui des Shebab de Somalie et n’est pas comparable avec celui de Boko Haram. Mais les exécutions publiques en Iran sont semblables à celles de l’EI. En Iran, on pend, l’EI décapite. La différence s’arrête là.

Il n’y a donc vraiment pas d’espoir qu’un islam chasse l’autre et nous protège de la violence fondamentaliste ?

Non, il ne faut pas miser là-dessus. Pendant des années, beaucoup ont considéré l’islam turc d’Erdogan comme le modèle de l’islam modéré. Aujourd’hui, cet « islam modéré » devient chaque jour un peu plus intégriste. On peut être un chrétien modéré ou orthodoxe. Dans l’islam, on peut seulement être un musulman plus ou moins pratiquant. Il n’y a pas deux versions de l’islam. Il y a différentes branches – sunnites, chiites, wahhabites, etc. –, mais le texte sacré est unique. Et, en fin de compte, c’est lui qui a le dernier mot. Dans le christianisme, il y a quatre textes, et aucun n’est plus sacré que l’autre. D’ailleurs, aucun n’est la parole de Dieu. C’est la parole des apôtres, et encore, deux des auteurs des Évangiles n’ont jamais connu Jésus. Tandis que dans l’islam, le Coran est la parole de Dieu qui a été portée à Mahomet par l’ange Gabriel. Personne ne peut y changer une virgule.

Vous dites que les musulmans ne peuvent que pratiquer plus ou moins cet islam incompatible avec notre démocratie. Devraient-ils donc renoncer à leur culture musulmane pour s’intégrer ?

« Culture musulmane » est une expression trop vague. Le monde musulman s’étend du Mali ou de la Mauritanie jusqu’à l’Indonésie, en passant par le Moyen-Orient, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, le Bangladesh… Il y a de très nombreuses différences de culture entre tous ces pays-là, mais il y a des principes communs, des interdictions communes : l’alcool et la viande de porc sont prohibés, et le port du hidjab est recommandé, voire obligatoire.

Donc, lorsqu’ils arrivent en Occident, les musulmans se recentrent sur les quelques pratiques qu’ils ont en commun, même s’ils sont de cultures très différentes ?

Oui. En France, les musulmans sont en majorité nord-africains, alors qu’en Allemagne ils sont majoritairement turcs. Mais le problème essentiel, en ce début de xxie siècle, c’est l’islam intégriste, le djihadisme. Et, malheureusement, ce problème touche tous les États, de l’Inde jusqu’à l’Afrique, de la Suède jusqu’au Kenya. Or, c’est partout pareil : l’islam, s’il veut respecter ses règles et ses croyances, est par définition contre la laïcité. La laïcité et l’islam, ça fait deux.

Sachant cela, avons-nous encore une chance de gagner contre l’expansion planétaire de l’islamisme ?

Aux États-Unis, peut-être. Ou en Russie, peut-être, si on croit à la manière forte, version Tchétchénie. Mais je crains fort que pour la France il ne soit trop tard. Les dégâts sont déjà faits. Nous sommes tombés dans un cercle vicieux : chômage, manque d’éducation et de qualification, délinquance, trafic de drogue… Un ami responsable du personnel dans une grande surface, très humaniste, m’a raconté il y a quelques années qu’il voulait recruter une vingtaine de « jeunes de banlieue » – pour être politiquement correct. Mais, au final, un seul est resté travailler dans la société. Deux ou trois ne sont jamais venus, plusieurs autres ne respectaient pas les horaires, un autre volait dans les rayons, et deux se sont carrément servis dans la caisse. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas trouver un travail qui leur permette de vivre dignement, et ne s’en sortent pas. Salafisme et djihadisme profitent de ce terreau pour planter les graines du terrorisme.

On a encore l’impression aujourd’hui que le politiquement correct, qui se focalise sur une supposée « islamophobie », ne fait qu’accélérer le processus au lieu de soigner le mal…

Oui, c’est exact. On a d’abord remplacé les mots « casseurs » ou « voyous » par « jeunes de banlieue », et maintenant on ne dit plus que « les jeunes » : « Les jeunes ont caillassé une voiture de police. » Dans le pays où je vis actuellement, la République tchèque, on ne parle pas comme ça, on appelle un chat un chat.[/access]

*Photo : Uncredited/AP/SIPA. AP21690407_000004.

Février 2015 #21

Article extrait du Magazine Causeur



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