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Derrière le miroir

On chante, les deux pattes dans le guano, entre l’idéal et l’habitude


Derrière le miroir
Peggy Sastre © Hannah Assouline/Causeur

À la recherche de l’esprit français. Le regard de Peggy Sastre.


« Paris, c’est un tas de merde avec la tour Eiffel plantée au milieu. » C’est une phrase de mon père, lancée en pleine ascension de l’énième escalier menant à l’énième chambre de bonne pourrie qu’il comptait à regret me payer pour que je prenne mon « indépendance » du foyer familial. Possible qu’on puisse lui reprocher de ne pas faire dans la nuance mais moi, je suis persuadée qu’il voyait juste. Qu’il avait compris quelque chose. Et d’ailleurs pas seulement sur Paris, mais sur la France comme pays capable de se prendre pour le centre du monde tout en se détestant chaque matin.

Un pays dans lequel je n’ai aucune racine. Pas de grand-mère née dans le Cantal, aucun oncle enterré à Verdun – mon grand-père a cependant « fait » Monte Cassino et est aujourd’hui enterré quelque part au Maroc, dans une tombe que je ne verrai jamais pour peu qu’elle existe encore. Ici, je n’ai que des attaches, à commencer par la langue dans laquelle le hasard m’a fait naître. Raison pour laquelle, sans doute, ma relation avec la France est instable. J’aime à penser que je ne lui dois rien, elle non plus. C’est évidemment faux.

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Alors je dirais que l’esprit français, s’il existe, c’est peut-être ça : un mélange particulier d’orgueil, de fatigue, de lucidité, d’amertume et d’ironie plus ou moins mal placée. On aime dire que tout fout le camp, et on finit par y croire. On râle, on regrette, ça occupe. On chante, les deux pattes dans le guano, entre l’idéal et l’habitude.

Je n’ai jamais su si je faisais partie de ce pays ou si je l’observais – le biais, c’est que j’ai cette posture avec à peu près tout. Dans tous les cas, je crois déceler un besoin profond des Français de toujours se croire du bon côté de l’histoire. Spontanément, ils s’identifient à Zola, à de Gaulle, à Jean Moulin. Jamais à Maurras, à Pétain, ou même à ceux qui ont fermé les yeux – à ce titre, il faut lire Regarder et ne pas voir, de Jérôme Prieur sur Louis Gillet (1876-1943), exemplaire pour saisir ce que j’estime de l’« esprit français ». On s’y pense pétri de panache, on oublie les accommodements et la bonne vieille pleutrerie que commande la survie. En réalité, l’esprit français, sa singularité, pourrait être justement dans la cohabitation – parler de collaboration serait trop évident – entre l’élan et la lâcheté, la révolte et la soumission, entre l’admirable et le mesquin. Quoi qu’il en soit, je n’en ai jamais attendu grand-chose, et c’est peut-être ça, le plus français chez moi.

A paraître le 15 octobre 2025 :




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Peggy Sastre est une journaliste scientifique, essayiste, traductrice et blogueuse française. Dernière publication, "La Haine orpheline" (Anne Carrière, 2020)

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