Vous avez aimé Borat, vous adorerez The Interview!


Vous avez aimé Borat, vous adorerez The Interview!

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Je suis Charlie à Ventura, jolie ville de Californie au nord de Los Angeles. Je suis même Charlie Hebdo, et doublement Charlie Hebdo, puisque j’ai vu à deux reprises un film à l’humour résolument charlie-hebdesque. Il s’agit de The Interview, mis en scène par Seth Rogen et Evan Goldberg, produit par Sony et assez platement nommé en français L’interview qui tue. Ce film, rendu célèbre par les attaques informatiques dont Sony a été l’objet, a reçu un accueil critique dédaigneux. Même Le Figaro parle de  »nanar » (un terme que toute la presse française s’est refilé comme la grippe) et  »d’humour potache ». Si les élèves étaient capables de cet humour déjanté et décapant, la vie dans les lycées serait un permanent éclat de rire. Ce qui, de notoriété publique, n’est pas le cas.  Il y a plus surprenant : ce film très drôle est aussi un film profond. En avant la démonstration.

Dave Skylark (joué par James Franco) est un journaliste star de la télé américaine, spécialiste très manipulateur des interviews qui mettent à poils les interviewés. Eminem y révèle son homosexualité, comme il a fait dans la réalité. Dave est cornaqué par son producteur et ami Aaron Rapaport, joué par un des metteurs en scène, Seth Roge. Un jour leur arrive le message d’un fan de l’émission qui demande a être interviewé : il ne s’agit rien moins que du dictateur de père en fils de la Corée du Nord, Kim Jong-un. La CIA s’en mêle…

Comment définir l’humour de Charlie Hebdo ? Une irrévérence absolue envers les grands, les moyens et les petits  de ce monde et de l’Autre, et une pratique sans modération de l’humour sexe et pipi-caca. Aristophane et Shakespeare étaient Charlie, mais ces satanés Français du XVIIème siècle ont inventé les Bienséances, sorte de politiquement correct avant la lettre. Dave et Aaron se retrouvent en Corée du Nord, ce dernier doit de toute urgence cacher un objet archi-hyper-secret, il est obligé de se le fourrer dans le fondement pour tromper la fouille. Pendant son interview, le dictateur, violemment trituré par Dave dans ses souvenirs de fils humilié, ne peut s’empêcher de faire dans sa culotte. Les deux copains se vantent d’avoir à eux deux couché avec plus de femmes qu’Ellen DeGeneres, une flamboyante et bien réelle star lesbienne de la télé américaine. Vous avez aimé Borat, vous adorerez The Interview.

Mine de rien, ce  »nanar » pense. Il analyse la puissance émotionnelle de l’image qui sidère aussi bien les téléspectateurs face à leur présentateur préféré que les foules de Nuremberg face à leur führer bien aimé. Le film est un jeu de miroirs à donner le vertige : le cinéma représente la télévision qui représente des stars qui représentent des dictateurs qui représentent leur peuple. La raison et l’analyse des faits n’ont plus rien à dire, l’émotion emporte tout sur son passage. Les esclaves par servitude volontaire ou involontaire se pâment devant l’image de leur tyran ou de leur journaliste préféré.

Nanar, oui, et digne de son grand ancêtre, Le Dictateur de Chaplin. Le tyran est tué par le ridicule avant de périr par les armes. La séquence de l’interview restera un morceau d’anthologie, comme celle d’Hitler-Chaplin jouant au ballon avec une mappemonde. Mine de rien, ce  »nanar » milite. Il désigne nommément Kim Jong-un et propose tout bonnement aux Nord-Coréens de se révolter contre lui ! Un fan-club s’est créé pour faire passer des vidéos dans le pays, et le film fuitera forcément par internet de la Corée du Sud à la Corée du Nord. Fabuleux Américains ! Leurs gouvernements se plantent souvent dans leurs expéditions militaires (avec leurs alliés, ils ont tout de même libéré le Koweït de ses envahisseurs), mais leurs cinéastes continuent à brandir bien haut le drapeau de la liberté. Comment ne pas penser à  Viva Zapata d’Elia Kazan, et au journaliste américain du film qui se fait le porte-voix du jeune révolutionnaire mexicain ?

Alors où est le problème ? Pourquoi ce mépris des critiques américains et français ? En les lisant, on croit que The Interview ressemble à la énième histoire de cuite à las Vegas. Quelle injustice ! Certains cerveaux ne seraient-ils pas capables de  »briser l’os pour trouver la substantifique moelle » ? L’humour à la Charlie-Hebdo les rebute donc tant qu’ils ne sont pas capables de lire le message fort de tant de dessins de Cabu ou Wolinski ? Ou bien auraient-ils encore un peu d’indulgence pour les tyrans de gauche ? Au fait, qui a moqué Staline au cinéma ? Personne à ma connaissance. Le régime de Corée du Nord affame 16 millions de personnes, en retient 200.000 dans des camps de concentration qui ont l’atroce particularité de garder enfermés les enfants et les petits-enfants des condamnés. Donc, aucune pitié pour ce régime. Tirez sur le quartier général de Pyongyang, allez voir The Interview, il sortira en France le 28 janvier.



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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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