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Duhamel vs. Knafo: quand la politique-spectacle produit un petit chef-d’œuvre

Sarah Knafo a fait une forte impression lors de son premier passage télé attendu


Duhamel vs. Knafo: quand la politique-spectacle produit un petit chef-d’œuvre
Sarah Knafo, "Reconquête". DR.

Face à Benjamin Duhamel sur BFMTV, c’était la toute première fois pour Sarah Knafo, la-conseillère-de-l-ombre d’Éric Zemmour, dimanche. Elle a dû faire face aux questions acides du journaliste. Replay.


Retrouvez un entretien de Sarah Knafo avec Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, dans le nouveau magazine Causeur (6 pages) NDLR•

Je me dois de vous confesser un vice majeur : les grands débats télévisés de la politique française sont mon sport préféré. Je ne m’en lasse jamais. J’ai vu les deux Mitterrand-Giscard, le Mitterrand-Chirac, le Sarkozy-Royal et le Hollande-Sarkozy un nombre incalculable de fois.

J’aime détecter les pièges que se tendent les candidats, je me délecte de regarder – parfois même au ralenti ou en arrêt sur image – les mains trembler, les regards vaciller, les voix trébucher dans les instants de tension maximale. J’aime la peur sur les visages, la panique qui perce sous l’impassibilité, la stupéfaction du favori quand il s’aperçoit qu’il est encerclé par les arguments du challenger et qu’il n’a pas de plan B. Les réputations détruites en une phrase. Les gaffes irréparables. J’aime voir la méchanceté partir à l’assaut et l’honnêteté se défendre bec et ongles. Et, maintenant que trois jours ont passé, je dois dire que le choc frontal entre Benjamin Duhamel et Sarah Knafo, dimanche dernier sur BFM, fut un modèle du genre. Revivons-le ensemble.

Théoriquement, les choses devraient bien se passer. C’est le premier vrai passage télé de Sarah Knafo, compagne et conseillère d’Éric Zemmour, et architecte de la campagne présidentielle de Reconquête en 2022. Elle se lance dans les élections européennes, à la troisième place sur la liste de Marion Maréchal. Précédée d’une réputation énigmatique de femme de l’ombre, que les anti-Zemmour se plaisent à trouver sulfureuse, elle choisit de faire ses débuts chez Benjamin Duhamel, un des intervieweurs-vedettes du moment.

Dans ce genre de cas de figure, le scénario est plus ou moins écrit d’avance. Comme il sait si bien le faire, Duhamel va commencer piano, laissant à son invitée le temps de se présenter, de prendre un peu ses aises, puis il va la titiller crescendo, mais sans forcer le trait : étant novice dans la domaine publique, Knafo ne traîne pas encore de casseroles. Il est bien trop tôt pour instruire son procès. Et puis, elle est jolie, souriante: impossible de la faire passer pour une sorcière au moment où elle entre en scène. La pendre haut et court et sans préliminaires serait fort mal élevé, inconvenant, voire même indécent : il ne prendra donc pas le risque.

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Sauf que, pour des raisons mystérieuses, Benjamin le subtil, l’habile, le rusé, décide de déchiqueter Knafo d’entrée, sans politesses ni tour de chauffe. En effet, l’interview commence et, au bout de trente-huit secondes, pas une de plus, la guerre est déclarée. Il lance, soulignant la difficulté pour la jeune Sarah de se présenter devant les électeurs alors même que les sondages donnent Reconquête en mauvaise position : « Vous avez le sens du sacrifice, ou c’est de la naïveté ? » Boum. Devant son écran plasma, l’habitué des joutes télévisées se dit alors : « Ok. Il veut la tuer. »

Gros plan sur Sarah Knafo. Il faut avoir figé l’image en cet instant très précis pour savoir ce qu’est le courage médiatique. Sarah Knafo lance à Benjamin Duhamel un sourire serein, bienveillant, presque maternel. Elle est surprise par la question et par son acidité, évidemment, mais elle n’en montre rien. On dirait une bonne copine à qui son meilleur pote vient de raconter une bonne blague.

Il faut s’arrêter sur cette très brève séquence parce qu’elle explique ce qui va suivre. Confrontés à une question introductive aussi ostensiblement mal intentionnée, Sarkozy aurait pris un air dégoûté, Mélenchon aurait enragé, Maréchal se serait indigné, Marine aurait botté en touche avec dédain, Bellamy aurait brandi un code de bonne conduite. Immobile, Sarah Knafo rigole silencieusement pendant deux secondes et lâche les premiers mots de sa carrière politique en plantant ses yeux revolver dans ceux, délavés jusqu’à l’absence, de Duhamel : « D’abord, c’est quand c’est difficile qu’il faut y aller. Ça, c’est mon caractère. » Badaboum. Elle a tout dit. 1. Tu ne me fais pas peur. 2. Si tu m’infirmes je m’affirme. 3. Prends garde à toi, petit d’homme : méfie-toi de mon côté panthère.

Le petit d’homme ne va pas prendre cet avertissement au sérieux. À mesure que les minutes, désormais extraordinairement tendues, s’accumulent, ses intentions se voient de mieux en mieux – de pire en pire -, comme la méchanceté au milieu de la figure. Il n’a pas de plan B et va se tenir à son plan A jusqu’au bout : détruire Sarah Knafo de façon systématique, acharnée, réellement stupéfiante. De mémoire de fin connaisseur du spectacle politique français, je n’ai jamais vu un journaliste mainstream agresser à ce point et aussi rapidement une personnalité politique. Pourtant, Zemmour lui-même, par exemple, en a vu des vertes et des pas mûres en 2021 et 2022… sauf qu’il était un expert surentraîné de la rixe à couteaux tirés. Ici, question venimeuse après question vénéneuse, Duhamel tente d’assassiner la soliste dans l’œuf. Que l’on me passe l’horreur de cette métaphore, car elle est juste : il veut faire de la naissance médiatique de Sarah Knafo un avortement.

« On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter », écrit Emmanuel Kant. Benjamin Duhamel enferme Sarah Knafo dans une nasse de piques, de coups de dague qui perforent et lacèrent, il tape, il frappe, il tabasse. Qu’on me comprenne bien : pas une seule de ses questions n’est honnête ou objective, selon moi. Tout est à contrepied, à contretemps, par-derrière, savamment prémédité pour faire craquer la nouvelle venue. À croire qu’il espère la voir pleurer ou quitter le plateau. Et donc, à mon immense surprise, et très certainement à celle de nombreux spectateurs, Sarah Knafo est d’une magnifique intelligence au sens kantien: elle danse avec l’incertitude, elle enlace l’imprévisible, joue avec le prédateur, se joue de lui, déjoue toutes ses vilénies.

Je m’en voudrais de spoiler ce thriller de haut niveau. Indiquons tout de même la grande scène, celle qui restera dans les mémoires. Benjamin sort la chevrotine et vise en plein cœur.

Duhamel : « Vous êtes la compagne d’Éric Zemmour. On connaissait au Rassemblement National la politique de père en fille. À Reconquête, la politique se fait en couple ? »
Knafo : « La question m’étonne beaucoup venant de vous, Benjamin. »
Duhamel : « Pourquoi ? »
Knafo : « Parce que je sais que, vous aussi, vous subissez beaucoup d’accusations. »
Duhamel : « C’est-à-dire ? »
Knafo : « C’est-à-dire du piston. Vous êtes le fils de, le neveu de, etc. Donc, ça m’étonne beaucoup venant de vous. »
Duhamel : « Il ne vous a pas échappé que je ne me soumets pas au suffrage des Français. »
Knafo : « Ça change quelque chose ? »
Duhamel : « Non, mais je vous pose la question. »
Knafo : « Est-ce que vous êtes d’accord que les accusations qu’on vous fait sont tout à fait injustes ? Vous avez votre talent propre. Alors, si vous voulez, on peut aborder mon parcours ? »
Duhamel : « Attendez. Excusez-moi. Puisque vous mettez en cause ma probité… »
Knafo : « Non, votre question. »

Au terme de ce bras-de-fer-éclair initié avec une inélégance qui lui est peu coutumière, Benjamin Duhamel s’est fait déboîter le coude et Sarah Knafo ne s’est jamais départie de son sourire terriblement candide. Le comble est qu’en prononçant le mot « probité », complètement hors-sujet, tentant de poser son honneur sur la table au moment le moins opportun, l’intervieweur s’est fracassé au fond du piège qu’il avait creusé sous les pieds de son invitée. Quand on mord jusqu’au sang, il ne faut pas geindre si l’on se fait éclabousser. Il se déconsidère. Échec et mat, le match est plié.

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Car ce n’est pas un interview. C’est bel et bien un match de boxe, un guet-apens, un duel, une tuerie. Sarah Knafo n’y était pas préparée, mais elle a pris le dessus au moment crucial. Elle a maintenant l’initiative et la conservera. Mieux : visiblement, elle le comprend et y prend plaisir.

On n’a encore vu que le premier quart du temps de l’interview et Benjamin Duhamel ne s’avoue pas vaincu, alors qu’il l’est déjà à plate couture. Il va donc revenir à la charge inlassablement, ses assauts se brisant péniblement, sans espoir, sur le sourire de Sarah Knafo, son sens de la répartie, son flair et sa décontraction. Certains témoins se disent : cette femme est brillante et dangereuse, elle est une promesse pour l’avenir. La droite se dote d’une nouvelle combattante. La nouvelle Marie-France Garaud verrait-elle le jour en direct ? Alors, il faut remercier chaleureusement, sincèrement, Benjamin Duhamel. En jouant salement, comme on dit en football, en tentant de blesser Sarah Knafo, de lui faire mal, de la sortir du terrain et de la handicaper pour très longtemps, il a permis à la candidate de montrer, dès sa première fois et en un temps record, sa solidité, sa dureté quand c’est nécessaire, son enjôlante douceur sous l’orage, sa franchise en acier trempé, son humour dominateur, comme jamais un Pascal Praud, forcément plus complice, ou une Christine Kelly, nécessairement plus humaine, n’y seraient parvenu. En voulant faire de Knafo un macchabée, il lui a offert une stature, et même érigé une statue. Il a été l’ennemi idéal de la nouvelle amie des patriotes et des républicains. Félicitations, Benjamin. La France reconnaissante. À tous les amateurs d’empoignades verbales au cordeau, je ne peux que recommander ce one-woman-show qui peut-être, si Sarah Knafo continue sur cette voie et persiste à dévorer les carnassiers, laissera une trace dans les livres d’histoire de la télévision française et, pourquoi pas, j’aime rêver, de celle de la Cinquième République…


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