Accueil Politique Le problème du multiculturalisme n’est pas « multi », mais « culturalisme »

Le problème du multiculturalisme n’est pas « multi », mais « culturalisme »


Le problème du multiculturalisme n’est pas « multi », mais « culturalisme »

michele tribalat integration

Daoud Boughezala.Les cinq rapports remis au Premier Ministre pour lancer la refondation de la politique d’intégration en favorisant l’émergence d’un « nous inclusif et solidaire » recommandent notamment d’autoriser le port du voile à l’école et de prohiber la « désignation » ethnique (ce qui ne faciliterait pas votre travail de démographe !). S’agit-il, pour le gouvernement, de courtiser les banlieues à quelques mois des municipales, ou d’affirmer une authentique préférence idéologique ?

Michèle Tribalat. Malgré son rétropédalage, le gouvernement croit sincèrement qu’il faut réformer la société d’accueil pour que les immigrés et leurs enfants s’y sentent mieux, sans qu’il leur soit demandé de s’y adapter. N’oublions pas que, dans un premier temps, M. Ayrault s’était félicité de la « grande qualité » (sic) de ces rapports.[access capability= »lire_inedits »] D’Aurélie Filippetti à Manuel Valls en passant par Michel Sapin et Cécile Duflot, pas moins de dix ministres ont été impliqués dans la mise en route des cinq groupes de travail dont les « relevés de conclusions » étaient censés servir de base à la rédaction d’un « document de stratégie gouvernementale ». Cette démarche a donc engagé l’ensemble du gouvernement et pas seulement Jean-Marc Ayrault, à qui l’on a fait porter le chapeau.

Mais François Hollande a immédiatement condamné les conclusions de ces rapports…

Je vois mal comment une entreprise de cette ampleur aurait pu être décidée sans l’aval du Président de la République. D’ailleurs, ces recommandations ne font qu’approfondir le rapport Tuot[1. Le rapport du conseiller d’État Thierry Tuot recommandait d’adapter la France à ses immigrés pour faciliter l’intégration. Voir « L’État mal conseillé », Malika Sorel, Causeur n°3, juin 2013.] remis le 11 février au Premier ministre.

Rédigé à l’été 2013, sans doute à Matignon, l’ordre de mission commun à ces cinq groupes mettait l’accent sur la lutte contre les discriminations et nous intimait de changer « de regard sur les personnes immigrées et leurs descendants, dans le sens d’une valorisation de l’enrichissement mutuel des citoyens ». Postulant que « les différences faites entre les citoyens, y compris ceux issus de l’immigration, sont le plus souvent le produit de contextes sociaux “made in France” et non “importés” », cette lettre de mission incitait à faire un « pas de côté » sur la politique d’intégration. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces groupes d’experts l’ont fait avec enthousiasme !

Ce « pas de côté » pourrait passer par l’abandon du mot « intégration » lui-même, jugé excluant par ces experts. Et vous, vous continuez à vous arc-bouter sur l’assimilation dont plus personne ou presque ne veut. Cèderiez-vous à la tentation du déni de réel ?

Loin de s’y arc-bouter, tout mon livre décrit justement l’effondrement du modèle assimilationniste français. L’assimilation ne se décrète pas par des lois. C’est un processus qui résulte de la bonne volonté des nouveaux venus et de l’engagement du corps social avec l’approbation de ses élites. Même dans une société multiculturaliste, certains souhaitent s’assimiler et y réussissent !

C’est bien la preuve que la reconnaissance des identités culturelles ne nuit pas à l’intégration ! Or, on a parfois l’impression que le multiculturalisme est l’épouvantail des républicains…

Contrairement à des pays comme le Canada ou la Grande-Bretagne, la République française est porteuse d’une conception particulière du Bien. J’ai donc du mal à imaginer que les Français puissent se contenter d’une République procédurale entièrement fondée sur le droit. Dans les sociétés multiculturelles, l’État ne saurait exprimer une préférence culturelle. Qu’est-ce qui fait alors tenir ensemble individus et groupes particuliers pour former une collectivité ? La « diversité », répond Charles Taylor[2. Philosophe canadien favorable à une « politique de reconnaissance » des identités culturelles en démocratie.]. Pourtant, l’amour de la diversité culturelle ne va pas de soi. Après tout, chacun est en droit d’apprécier ou non telle ou telle culture. Pour promouvoir la diversité, l’État doit donc subventionner une propagande coûteuse qui empiète sur les libertés individuelles. Seulement, plus on valorise les différences, plus on encourage une certaine tendance à l’entre-soi propice à la fragmentation culturelle.

Au fond, quel est le problème : l’immigration massive ou l’islam ? Si les immigrés étaient en majorité animistes, chrétiens, ou bouddhistes, leur intégration à la société française serait-elle plus aisée ?

Aujourd’hui, les musulmans sont minoritaires parmi les immigrés et leurs enfants : 36 % en 2008 ! Mais leur visibilité accrue et leur concentration dans de grandes unités urbaines les font paraître plus nombreux. Cela dit, la croissance de leur nombre au cours des cinquante dernières années est bel et bien une réalité. Jusqu’au milieu du XXe siècle, nous avons accueilli une majorité de migrants chrétiens, juifs ou sans religion, comme le reste de la population. Ce qui a facilité leur assimilation qui, à l’époque, ne faisait pas débat !

Les immigrés musulmans seraient-ils inassimilables par nature ?

L’assimilation des enfants d’Algériens nés autour de 1960 a été facilitée par un défaut de transmission de l’islam dans la famille. Et c’est cette sécularisation qui a facilité les unions avec des « natifs au carré » (individus nés en France de deux parents nés en France). Mais cette sécularisation a reculé au fil des générations alors qu’elle s’approfondissait dans la société française. À l’avenir, la très forte transmission de l’islam et l’endogamie religieuse vont entraîner la raréfaction des mariages mixtes.

Tout n’est pas donc affaire de volonté politique ! À Montfermeil, le maire chrétien-démocrate  Xavier Lemoine, pourtant anti-immigrationniste convaincu, est contraint de proposer des menus en self-service à la cantine. Tout se passe comme si nos responsables politiques ne pouvaient plus qu’accompagner des mutations sur lesquelles ils n’ont pas prise…

Xavier Lemoine n’a pas été contraint de proposer un self-service. Il a choisi de le faire et il a eu raison ! Dans les cantines scolaires de Montfermeil, on n’oblige pas les enfants supposés musulmans à ne pas manger de porc. Cette solution me paraît bien meilleure que la formule retenue dans les écoles voisines de Clichy-sous-Bois, qui servent des repas végétariens pour avoir la paix. Il arrive que l’on décide, sur la seule foi d’un patronyme, qu’un enfant ne doit pas manger de porc, ou que l’on offre d’emblée à une femme enceinte la possibilité d’être suivie par un médecin femme. Bref, politiques et acteurs sociaux anticipent trop souvent les préférences communautaires avant même qu’elles ne s’expriment !

D’accord, mais si le modèle français est mort faute de combattants, que faire ?

Marquer sa différence avec les modèles multiculturalistes les plus outranciers qui ont une conception quasi écologique de la préservation culturelle, comme au Royaume-Uni avec ses tribunaux islamiques. D’après Ertiksen et Stjernfelt[3.  Les Pièges de la culture, MetisPresse, 2012.], le problème du multiculturalisme ne réside pas dans le préfixe « multi », mais bien dans « culturalisme ». La préservation de la différence et la célébration de la diversité sacrifient la liberté individuelle en négligeant les pressions qui s’exercent sur les individus à l’intérieur des groupes culturels et les pressions exercées en externe sur ceux qui n’en sont pas. C’est la ligne de front sur laquelle nous ne devons pas céder.[/access]

*Photo : 20 MINUTES/SIPA. 00655598_000005.

Janvier 2014 #9

Article extrait du Magazine Causeur



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