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Retraites: la pénibilité cachée

La réforme des retraites devrait prendre en compte les infernales migrations pendulaires


Retraites: la pénibilité cachée
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Considérée à hauteur de technocrate, la pénibilité c’est le marteau piqueur, le sac de cent kilos sur le dos, le funambulisme du couvreur, de l’élagueur de haut vol, du technicien de pylône, l’exposition en mode barbecue du travailleur des hauts fourneaux, etc, etc. Cette approche nourrie de compassion ne s’étend pas, semble-t-il, jusqu’à la caissière (ou caissier) de supermarché. Et pourtant, se saisir des dizaines ou des centaines de fois par jour du kilo de sucre ou de pommes, du litre d’huile, du paquet de nouilles pour les scanner, cela doit représenter assez rapidement au bout du compte – et au bout du bras – une sorte d’exercice d’haltérophilie. Cependant, il y a plus sournois encore en termes de pénibilité. Celle-là même qui touche pourtant des personnes dont le travail en lui-même ne présente aucun des caractères liés à quelque difficulté physique ou psychologique que ce soit. Prenons, par exemple, et pour simplifier à l’extrême, le personnage emblématique dont Courteline fit un héros de roman, le rond de cuir. L’employé de bureau, le représentant par excellence de la classe moyenne, qui échappe à la condition prolétarienne tout en demeurant exclu de la bourgeoisie proprement dite. Le sort de cet individu au labeur sans éclat et apparemment indolore a beaucoup évolué avec le temps. Voilà encore deux ou trois décennies, son travail, son statut étaient effectivement épargnés de toute atteinte classable dans le registre de la pénibilité. Non seulement cela était vrai dans l’exercice même de sa fonction, mais aussi dans ses implications périphériques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De plus en plus, notre rond de cuir se trouve donc confronté à une pénibilité cachée mais bien réelle. Autrefois, à Paris ou dans les grandes villes de province, il perchait à un jet d’autobus, de vélo ou de marche à pied de son boulot. Or aujourd’hui, il n’a plus les moyens de se loger en ville. Il s’en voit exclu, rejeté de plus en plus loin, la valeur spéculative foncière dictant plus que jamais sa loi à la valeur travail, cette valeur qu’on ne cesse pourtant de nous prêcher sur tous les tons. (On notera passage qu’il ne se trouve plus guère à Paris d’artisan à portée de chantier.) Là réside en effet une forme cachée de pénibilité : le trajet et tout ce qui s’ensuit : le lever à l’heure du coq, le quai de gare hiver comme été, à attendre le 7h38 archi bondé et assez aléatoire dans ses horaires. Mêmes délices le soir dans la cohue frénétique et limite agressive des gares. Comment s’étonner que ces pères tranquilles et ces mères tranquilles du travail de bureau n’adhèrent pas avec enthousiasme à la perspective de sacrifier à ces pénibilités quotidiennes deux années de plus ? Le taux élevé de soutien et de participation au mouvement de contestation de la réforme ne trouverait-il pas une part importante de son explication dans cet état de fait, le triomphe apparemment imparable de la rente sur le travail ? La rente et le rentier, autres ingrédients si bien brossés par notre Courteline et ses comparses du théâtre de l’époque.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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