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Misogynie, faute morale

La cause des hommes, la chronique de Jean-Michel Delacomptée


Misogynie, faute morale
Vincent Cassel et son épouse Tina Kunakey © JP Pariente/SIPA

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident?


— Pourquoi il n’y a jamais de femme dans vos groupes ?

Janis Joplin :

— Trouvez-moi une bonne batteuse et je l’engage.

C’était dans un documentaire consacré à « Pearl », diffusé en janvier dernier sur France 4. En suggérant que les femmes sont incapables de bien jouer de la batterie, est-ce que Janis Joplin était misogyne ? Elle ne l’était évidemment pas. Elle constatait ce qui, à tort ou à raison, lui semblait une réalité.

Vincent Cassel est-il miso?

Interrogé par le Guardian le 17 février dans le cadre de la promotion de Liaison, nouvelle série disponible sur Apple TV+, Vincent Cassel se livre (Le Figaro Madame) : « Si les hommes deviennent trop vulnérables et trop féminins, je pense qu’il va y avoir un problème. » Puis, comme pris de remords : « J’espère ne pas être misogyne. » Vincent Cassel est-il misogyne ? Vu le déluge de blâmes scandalisés sur les réseaux, il l’est. En exprimant une opinion reçue comme masculiniste, il est passé pour un vieux macho irrespectueux des femmes.

De ce mince événement exemplaire, on déduira qu’être misogyne ne dépend pas de la teneur du propos, mais de l’identité de la personne qui le tient. Excepté par haine de son propre genre, une femme ne peut pas l’être, seulement les hommes. Et ce faisant, ils sont impardonnables. Pas loin de commettre un sacrilège.

Une affaire de sexe et de religion

Cela posé, si seuls les hommes peuvent être misogynes, en quoi le sont-ils ? Bien que l’accusation fleurisse sous nos climats, il n’est pas courant de rencontrer des hommes qui manifestent de l’aversion envers les femmes. Le terme est fort, mais pertinent. Car la définition que le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) donne de la misogynie ne laisse aucun doute : « Aversion ou mépris (d’un homme généralement) pour les femmes, pour le sexe féminin ; tendance à fuir la société des femmes. […] – [P. méton.] Le moyen âge est misogyne. On peut supposer que, dans une certaine mesure, cette misogynie était d’origine chrétienne.(…)à tous les hommes de religion la femme est apparue comme l’incarnation continuée de l’Ève tentatrice et corruptrice (Faral, Vie temps st Louis, 1942). »

Quant à l’adjectif « misogyne » : « [En parlant habituellement d’un homme] (Personne) qui a une hostilité manifeste ou du mépris pour les femmes, pour le sexe féminin. Célibataire misogyne ; un vieux misogyne. »

Le CNRTL précise ensuite qu’on ne relève pas d’exemple au féminin dans la documentation, que le mot est apparu pour la première fois en 1564, et qu’il reste rare jusqu’au xixe siècle. De ces définitions, retenons que la misogynie authentique a partie liée avec la religion et avec la sexualité (l’Ève tentatrice), et que le terme n’est guère mentionné jusqu’au xixe siècle (moment où le statut de la femme régresse en réaction aux progrès réalisés par la Révolution).

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Étant donné l’état du christianisme en France, avouons que la misogynie n’a, chez nous, plus grand-chose à voir avec ses racines. Voici un exemple éloquent de misogynie authentique, emprunté à un bénédictin du xie siècle, saint Pierre Damien : « Chiennes, truies, chouettes et oiseaux de nuit, louves, suceuses de sang, qui hurlez : “Apporte, et apporte encore ! ” Approchez et écoutez-moi, courtisanes, prostituées, avec vos baisers lascifs, vos bauges où se vautrent les porcs, vos couches pour les esprits impurs, demi-déesses, sirènes, sorcières, adeptes de Diane, si un signe ou un présage est trouvé ici, il sera considéré comme suffisant pour vous appeler ainsi. Car vous êtes victimes de démons, destinées à être fauchées par la mort éternelle. »

Le néo-féminisme ou la misandrie comme réponse

Pas sûr que Vincent Cassel, et n’importe quel mâle civilisé, se reconnaisse dans ces éructations. Il n’en est pas moins vrai que la représentation que notre société s’est formée des femmes se rattache à leur place dans l’ordre sexuel : soit maman, soit putain. Soit la fille qui couche, soit celle qu’on épouse. Schéma apparemment obsolète, et qui pourtant subsiste en arrière-fond. C’est par ce biais que s’introduit la possibilité de la misogynie, justifiant l’importance fondamentale que le féminisme accorde à la question sexuelle dans les relations entre les femmes et les hommes.

C’est là aussi que le néoféminisme, le féminisme de la deuxième vague, révèle son archaïsme : il l’atteste par la proximité des éructations du moine bénédictin avec le hashtag « Balance ton porc », lancé par Sandra Muller en octobre 2017, où la misandrie répond à la misogynie sur un mode porcin. On y retrouve la même vision repoussante du corps sexué, la même haine de l’autre sexe, de l’homme en l’occurrence. Qu’on le veuille ou non, l’ombre du mouvement Metoo plane sur ces haines en miroir.

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À la différence de la représentation des femmes, la représentation que notre société s’est formée des hommes ne participe pas de l’ordre sexuel, mais de l’ordre militaire. C’est au regard de cet ordre que, selon la tradition, un homme s’attire le mépris, dès lors qu’il manque de la vertu attendue d’un homme. À la différence de l’honneur féminin relatif à la chasteté des épouses, des sœurs, des filles, l’honneur masculin porte sur le courage physique, la bravoure, le comportement face à la violence. Il ne s’inscrit pas dans l’ordre de la vie, comme pour les femmes à travers l’engendrement, mais de la mort. Risque d’être tué, devoir de tuer. L’exemple de la guerre en Ukraine est parlant : les hommes combattent et meurent, les femmes et les enfants composent les convois de réfugiés. Aucune lâcheté chez les femmes, simplement la guerre révèle en pleine lumière la répartition multiséculaire des fonctions sociales, fondées sur une binarité de base, la vie d’un côté, la mort de l’autre, opposition transcendée par les mœurs et les lois.

En avoir ou pas

En Occident, la révolution morale a pour effet que la question de l’honneur chez les hommes a perdu toute validité. Il ne s’agit plus « d’en avoir ou pas ». Autrefois cardinale, cette vertu est désormais réprouvée. On ne méprise plus le lâche, ce trait de caractère n’a plus aucune importance : il va de soi. Sur le principe majeur de la masculinité, les hommes en Occident sont d’ores et déjà déconstruits. Avec son expression grotesque, Sandrine Rousseau a visé juste. Pour le dire autrement, Vincent Cassel n’est pas misogyne, mais conservateur. Il respecte très certainement les femmes, n’éprouve pour elles ni aversion ni mépris, mais il refuse d’être déchu de sa vertu d’homme. Sa crainte de paraître misogyne tient au fait que le féminisme de la deuxième vague est en passe de gagner la partie, ou l’a déjà gagnée.

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Mars 2023 – Causeur #110

Article extrait du Magazine Causeur




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Universitaire, romancier et essayiste

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