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Stéphanie Janicot: un conte moral sur fond de disco

"Disco Queen" (Albin Michel, 2023)


Stéphanie Janicot: un conte moral sur fond de disco
L'écrivain Stéphanie Janicot © Samuel Kirszenbaum

Dans son dernier roman, Stéphanie Janicot milite avec habileté pour «l’indispensable légèreté de l’être».


Stéphanie Janicot n’écrit jamais le même livre. Ce qui la rend inclassable. Mais d’autant plus agréable à lire.  Ses histoires qui ne se ressemblent pas ont tout de même un point commun, celui d’explorer sa propre personne. Non seulement la femme qu’elle est, mais toutes celles qu’elle aurait pu être. D’où cette vocation de romancière, et dans cet art une telle prolixité. Le poids des ans la travaillait déjà sans doute quand elle a écrit son précèdent roman, L’île du docteur Faust ; et la question du temps – de la temporalité, s’entend – quand, dans La mémoire du monde, elle imaginait l’itinéraire d’une jeune femme traversant les siècles, de l’Antiquité à nos jours (trilogie qui lui valut, en 2020, le prix Renaudot du Poche).

Réinventer une vie

Qui sait ce qui lui a inspiré cette nouvelle histoire ? Une crise d’hypocondrie ou la réalité d’une maladie qu’elle aura habilement inoculée à son héroïne et narratrice intermittente, laquelle se réveille dans une chambre d’hôpital où on lui diagnostique une leucémie alors qu’elle sort d’une crise cardiaque. « Comment sa vie pouvait-elle s’achever alors qu’elle n’avait été que si peu vécue ? »

Soizic a 60 ans. Enseignante, de parents enseignants, divorcée d’un enseignant, elle se prend à rêver de tout reprendre à zéro. L’occasion de réinventer sa vie, en commençant par retourner à l’endroit où l’existence lui a imposé une déception inaugurale : une piste de danse. Elle a 15 ans, effleure timidement les premières sensations amoureuses quand elle surprend son père, au dancing du camping, dans les bras d’une de ses anciennes élèves. A quelques jours de l’élection de la Dancing Queen.

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Cette blessure, l’effacera-t-elle ? Et avec elle, les préjugés sur lesquels elle s’est malencontreusement construite ? Hospitalisée pour suivre une chimiothérapie, Soizic l’occupe à écrire le roman dont elle distille au fil des jours les nouveaux chapitres au sein de son entourage. « Mais, il restait long à parcourir pour atteindre la légèreté absolue de ceux qui n’ont plus rien à perdre. » La voilà imaginant la maison de famille transformée en boîte de nuit. Et le lecteur embarqué sur la piste de Disco Queen par le Dj Janicot qui va enchaîner, au cours des 234 pages qui suivent, des variations sur Staying alive, des Bee Gee ; Shake your booty, de KC & the Sunshine Band ; I’m so excited des Pointers Sisters ; Superstition de Stevie Wonder ; Give me the night, de George Benson, pour ne citer que mes préférées.

Travolta en Bretagne

Bientôt, le lecteur ne sait plus dissocier la part du roman « destiné à la rendre légère » qui circule dans le village, et que tout son entourage, ses filles et ses amies, voudraient faire entrer dans la réalité. On en doute. Car même si on attend l’hypothétique visite de John Travolta, nous sommes en Bretagne. Au Breuil, plus précisément, le village qui a délimité le périmètre d’une existence plus rangée qu’une salle de classe. Mais peu à peu l’affaire prend vie et le roman de Soizic déteint sur son entourage. Et pousse chacun à se découvrir.


Sur la couverture, une jaquette nous a prévenus : « L’indispensable légèreté de l’être ». On n’est donc pas chez Kundera. Mais pas vraiment non plus dans un roman feelgood. Ça paraît cousu de fil blanc, mais c’est d’une tout autre fibre. Un roman dans un roman, dont le patchwork finit par prendre des allures de conte moral.

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Et puis il y a cette autre constante du style Janicot : prêter sa propre sagacité à ses personnages, leur soufflant des observations en forme d’aphorismes: « C’est curieux comme les objets tentent de combler les vides laissés par nos disparus ». « S’il suffisait de se déposséder pour quitter la pesanteur du monde matériel, les pauvres seraient les plus heureux du monde. » On n’est pas non plus à l’abri d’une jolie tournure de phrase, où l’on peut deviner le mobile du livre: « S’il lui restait une chose à réussir enfin, avant de disparaître pour de bon, c’était exactement ça: atteindre ce point de légèreté, cette bulle dans laquelle la fatigue n’existe plus, où les palpitations sont celles de la joie, non plus celle de l’angoisse, où le sourire devient l’état naturel du visage et l’esprit un ballon d’hélium attiré vers les cimes. »
Et l’autrice, de citer Valéry : « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau. »
On ne dira jamais assez la profondeur du superficiel.

Disco Queen, de Stéphanie Janicot – Albin Michel

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est écrivain.

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