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Joffrin a tout bon, ça s’arrose !


Joffrin a tout bon, ça s’arrose !

Décidément ce scrutin européen n’aura pas été avare de surprises. La dernière en date et pas la moindre nous vient de quelqu’un que nous avons abondamment moqué ici : Laurent Joffrin, qui est soudain sorti de sa torpeur idéologique, a balancé aux orties ses œillères binaristes et renoué avec un sens de la complexité dont on le croyait définitivement privé. À preuve, l’édito qu’il a publié ce matin dans Libé, d’une profondeur de vue réelle, et qui commence ainsi : « La social-démocratie perd parce qu’elle a gagné. »

L’objet du papier est donc la crise de la gauche européenne, laminée d’après lui par la Crise avec un C majuscule. Et plus précisément laminée par les vigoureuses réponses étatistes mises en place l’automne dernier par nos dirigeants européens, pourtant supposés « ultralibéraux » (notamment Sarkozy et Merkel, donc, mais aussi Barroso). Non seulement, nous explique Laurent Joffrin, ceux-ci ont évité le pire (un remake aggravé de la crise de 1929), mais ils ont au passage siphonné le fond de commerce de la gauche tradi : « Sarkozy est-il ultralibéral quand il fait sauter sans hésitation la plupart des normes monétaires et budgétaires en vigueur ? En caricaturant l’adversaire, on se caricature soi-même. »

À notre avis, c’est justement cette caricature de l’Autre et donc d’eux-mêmes qui a servi de viatique électoral aux socialistes européens, et notamment français. Qu’on se souvienne (Joffrin a préféré l’oublier, mais bon, on ne va pas trop lui en demander non plus) du piteux délire sarkophobe et bobocentré du Zénith des Libertés, en plein essor du mouvement social. Qu’on se souvienne aussi de l’argument massue du PS pour le 7 juin « Contre l’Europe de Sarkozy et Barroso ». Face à l’ampleur des problèmes, face aux questions et aux angoisses de l’électorat populaire, l’argument était un peu court, même agrémenté d’une magnifique photo en gros plan d’Harlem Désir, Catherine Trautmann ou Vincent Peillon. Comme le dit Joffrin : « La gauche de gouvernement, déjà usée par les compromis pratiqués lors de ses passages au pouvoir, se retrouve sans voix, sur la scène publique comme dans les urnes. Son programme historique a été réalisé pour l’essentiel: elle n’en a plus. C’est la raison profonde de la crise structurelle des socialistes européens. » Le diagnostic est glaçant, et nous le partageons.

Mais là ou Lolo, décidément en forme olympique (faut croire que dix ans de sieste, ça vous retape), surprend vraiment, c’est dans les pistes qu’il trace pour une éventuelle rémission de la gauche. Là où le Joffrin standard aurait pu se contenter de recopier ses petits camarades éditorialistes en en rajoutant dans le registre habituel de Libé – post-rocardien, sociétaliste à donf et donc para-ségoléniste –, là où il aurait dû broder dans le genre « Les urnes ont parlé ! Titine démission ! Il faut d’urgence repeindre la vieille gauche moisie en vert pomme ! », il rebondit au contraire très exactement là où on ne l’attendait pas : « Que faire, sinon reprendre la question sociale à sa racine ? » Nous n’aurions pas dit les choses autrement, d’ailleurs depuis des mois, nous ne les disons pas autrement ici.

Face à une droite futée et affûtée, qui vient en l’espace de quelques mois (ceux de la Crise, puis de la campagne électorale) de nous prouver l’ampleur se son talent et de son sens de l’écoute, seule pourra exister une gauche profondément rénovée, sans tabous ni angélisme sur les questions sociales qu’elle a hier délibérément occultées – le protectionnisme, les salaires, mais aussi l’élitisme républicain, mais aussi l’intégration à marche forcée dans les banlieues, mais aussi la sécurité et autres fariboles.

Ce n’est sans doute pas aux mêmes endroits douloureux que l’éditorialiste de Libé souhaite crever l’abcès, mais toujours est-il que la traduction politique qu’il donne de cette perspective de refondation idéologique ressemble à s’y méprendre à la « Maison commune » chère à Benoît Hamon – et aussi, disons-le sans ambages, à nous-mêmes : « C’est par la confrontation, écrit-il, des différentes cultures de la gauche – réformistes, radicales, républicaines et écologistes – que viendra le renouveau. » Chacun de ces termes compte, on y cherchera en vain l’adjectif « démocrate », on ne trouvera à sa place que le ci-devant gros mot « républicain ».

Quand Joffrin, comme avant lui July, brossait la gauche dans le sens du poil, et donc dans celui de ses pires trahisons vis-à-vis de sa base populaire, il avait toujours l’écoute des éléphants du PS. On ose espérer que quand il avance quelques bonnes grosses (et pourtant fines) vérités, on n’ira pas l’exécuter…



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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