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France – Maroc : une demi-finale symbolique

Le football n’est que le miroir de nos sociétés.


France – Maroc : une demi-finale symbolique
Supporters célébrant la victoire de la France, le 14 décembre 2022.FREDERIC MUNSCH/SIPA 01097107_000004

Le football professionnel est toujours l’occasion pour les nations de pratiquer une forme de diplomatie sportive. C’est le cas du Maroc qui a beaucoup investi dans le sport pour donner la meilleure image possible du pays. Ce dernier n’est pas responsable des émeutes en Europe occidentale qui ont suivi les victoires de son équipe. Ces émeutes sont la conséquence, non de conflits internationaux, mais de la haine de soi des Européens. Gabriel Robin interroge le spécialiste en géopolitique du sport, Jean-Baptiste Guégan.


Au terme d’un match âpre, où l’absence d’Adrien Rabiot s’est fait ressentir au milieu de terrain, l’équipe de France est parvenue à se qualifier pour une deuxième finale d’affilée en l’emportant deux buts à zéro contre une courageuse et surprenante équipe du Maroc. Didier Deschamps, homme de tous les records et de tous les succès du football français, de l’unique C1 française avec l’OM en passant par les deux victoires en Coupe du Monde, a de nouveau fait montre de son sens tactique et de la « baraka » qu’on lui prête. Gary Lineker, gloire britannique du ballon rond, avait à l’issue d’une demi-finale malheureuse en 1990, déclaré que le football était un jeu qui se pratiquait à onze et qu’à la fin l’Allemagne gagnait toujours. On peut désormais appliquer cette célèbre sentence à l’équipe de France de Didier Deschamps. Voilà pour le volet sportif.

La géopolitique du football

Le football est toutefois un jeu dont les enjeux excèdent le carré vert sur lequel évoluent les artistes que sont les Griezmann, M’Bappé et autre Messi. Sport planétaire passionnant les foules jusqu’en Chine, les parieurs locaux misant frénétiquement sur les matchs du championnat britannique, le football est un levier de puissance et d’influence pour les différents pays qui y jouent. Songeons au Brésil. Qui ne pense pas au célèbre maillot jaune et à Pelé quand cette nation lusophone d’Amérique-du-Sud est évoquée dans une conversation ? Le Maroc a notamment eu l’occasion, par son parcours exceptionnel – où son équipe nationale aura éliminé les deux grands de la péninsule ibérique pour se hisser à un stade de la compétition inédit tant pour une équipe africaine qu’une équipe arabe (la Turquie musulmane n’ayant pas suscité la même ferveur en 2002) – d’affirmer plus encore le rôle qu’il entend jouer dans le monde de demain.

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De fait, une Coupe du monde est un coup de projecteur inouï, une publicité mondiale que rien, pas même les arts ou les Jeux Olympiques ne permet d’obtenir. Interrogé le 14 décembre, le spécialiste de la géopolitique du sport Jean-Baptiste Guégan n’en dit pas moins : « Le sport, singulièrement le football, est un axe de développement de la diplomatie. Pour le Qatar, c’est un atout immense. Le premier objectif visé était de donner une visibilité à cet Etat que personne ne savait situer sur une carte. Le rachat du PSG, l’organisation des mondiaux de handball ou de football, s’inscrivent dans ce sens. Ils ont fait du « nation branding ». Le second atout du sport est qu’il permet de maîtriser un storytelling national. Le sport c’est rapide, rassembleur et médiatique. Il y a 10 ans, Le Point titrait « Le Qatar rachète la France ». L’image s’est depuis améliorée, même avec l’affaire de corruption, on constate que la couverture médiatique est plus tempérée ».

Touchant toutes les classes sociales en France comme ailleurs, 1998 ayant sorti le football de son image de « sport de beaufs » sous nos latitudes hexagonales, ce sport est donc le miroir des grands équilibres géopolitiques et politiques du temps. Evidemment, une demi-finale France-Maroc ne pouvait échapper à une lecture puis une relecture politique. Sur le plan mondial, le royaume chérifien a pu faire la démonstration d’un pays en plein développement, fort d’une réputation positive qu’incarnait la une du Jérusalem Post, comme nous le confirme Jean-Baptiste Guégan :

« C’est très intéressant car c’est le pays qui a développé la politique publique dans le sport la plus ambitieuse et la plus stable en Afrique. Le centre de formation Mohammed VI est de loin le plus développé de ce continent. La comparaison se fait au détriment de l’Algérie, où la fédération est le siège de nombreux affrontements. Leur diplomatie sportive a vraiment du sens. Ils ont aussi bénéficié des candidatures avortées à l’organisation de la Coupe du Monde, notamment en 2010 et en 2026 où ils ont été coiffés sur le poteau par les Etats-Unis qui avaient menacé de faire exploser la FIFA s’ils n’obtenaient pas la Coupe du monde. Ils ont aussi fait un énorme travail de recherche, de recrutement et de convocation des binationaux. Walid Regragui a su faire cet amalgame après avoir repris le poste de Vahid Halilhodzic qui avait eu des problèmes avec les stars Ziyech et Mazraoui, de Chelsea et du Bayern. Une équipe de foot peut permettre à un Etat de construire de la concorde et de l’unité sociale, la France de Chirac l’avait notamment fait ».

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Et la France dans tout ça ?

Au Maroc, les fêtes spontanées n’ont pas généré de discorde ou de troubles. Mais le Maroc est une monarchie traditionnelle basée sur une population homogène. Les pays d’Europe sont eux, soumis à des divisions sociales et ethnoculturelles de plus en plus profondes. En France comme en Belgique – pas en Espagne ni au Portugal, pays connaissant une immigration moindre -, les rassemblements festifs ont souvent tourné à l’émeute, dévoilant de nouveau les agissements de ces casseurs des cités qui attendent la moindre opportunité pour sévir. Nous aurions tort d’en rendre coupables les nations arabes qui, en réalité, n’ont aucun intérêt à cela. Ce désordre leur est évidemment préjudiciable en termes d’image auprès des populations européennes.

Ce à quoi nous avons assisté, ces lynchages de supporters français à Annecy, ces tirs de mortiers sur les CRS, cette irruption massive de la population des cités et des « migrants » errants de la capitale, est le résultat de quarante ans de renoncement politique. Une civilisation qui ne s’aime pas et qui ne respecte pas son histoire ne peut se faire respecter. Surtout quand elle laisse venir des centaines de milliers d’individus sans leur demander de contrepartie claire et qu’elle laisse se développer, voire encourage, des discours de ressentiment historique. Le socialo-marxisme français a produit de considérables ravages psychologiques, sorte de « mère trop aimante » entrainant une dépendance matérielle et affective comme l’avait défini le psychanalyste Donald Winnicott.

Ce n’est pas le football qui entraine un « choc des civilisations », c’est nous qui le créons en Europe en laissant notre identité s’effacer puisque nous ne la défendons pas réellement. Le roi Hassan II avait d’ailleurs prévenu à l’occasion d’une interview restée célèbre qu’il avait accordée à Anne Sinclair en 1991. Le football n’est que le miroir de nos sociétés. Les émeutiers ne sauraient à eux-seuls résumer toutes les populations vivant en France, loin de là. Ils sont de jeunes hommes issus de diverses nationalités – des drapeaux algériens ou palestiniens ayant été exhibés – qui profitent d’un pays qui a renoncé à garantir l’Ordre public correctement et dont les pouvoirs publics sont aussi dépassés qu’impuissants à faire face.

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Qu’on le veuille ou non, on projette sur le football des représentations politiques. Jean-Baptiste Guégan toujours, l’affirme : « L’objet foot est un creuset de représentations, chacun y met ce qu’il veut. La Gazetta dello Sport a ainsi présenté le match entre la France et le Maroc comme un derby africain. Il y a la question des binationalités qui est saillante avec la mondialisation. En forgeant de l’adhésion, l’équipe nationale crée aussi des modèles d’adhésion de société. On voit la sélection comme l’image de la France ».

Partant de là, les évènements en marge des matchs de cette coupe du monde auront été bien plus révélateurs d’un conflit civil latent que d’un conflit entre nations…  Bien sûr, le discours contre l’Occident se développe dans le monde. Disons qu’il se renouvelle et s’amplifie, trouvant un écho chez nous tant parce qu’il a des soutiens idéologiques puissants dans les droites comme dans les gauches que parce qu’il s’appuie sur des populations revanchardes, parfois jusqu’au fanatisme haineux. Mais le Maroc en tant qu’Etat n’est en l’espèce pas un bon exemple, ce pays déployant une diplomatie sans hostilité à notre égard, au contraire.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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