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Navalny, le diable de Poutine?


Navalny, le diable de Poutine?

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En 2011, la BBC décrivait Alexeï Navalny comme « le seul réel opposant politique à avoir émergé en Russie ces cinq dernières années ». Un an plus tard,  c’était au tour du Wall Street Journal de  le présenter comme « l’homme que Poutine craint le plus ». En septembre, il a vu sa peine de prison suspendue juste avant l’élection municipale moscovite à laquelle il se présentait. Étrange retournement, qui fait dire à certains analystes que cet opposant bénéficie de la mansuétude du Kremlin. Au fond, qui est cet oligarque populiste ?

Cet avocat richissime engagé en politique est l’actionnaire de plusieurs sociétés, privées et publiques. Il s’est fait connaître par son blog Navalny journal. L’un des plus suivis de Russie, où il s’attaque à ses deux cibles favorites: la corruption et l’immigration. Son premier fait d’armes est d’avoir accusé de détournement de fonds des entreprises publiques telles que la compagnie pétrolière Rosneft. Mais là où le bât blesse, c’est lorsque son offensive mains propres vise directement le parti de Poutine, Russie unie. Lors des législatives de décembre 2011, Navalny parle carrément du « parti des escrocs et des voleurs » puis, après le trucage manifeste des élections, pose la question suivante sur son blog : « Y a-t-il des escrocs et des voleurs à l’intérieur du parti Russie Unie ? » 96,6 % des 40 000 personnes sondées en ligne ont répondu « Oui ». Fort d’une large audience virtuelle, Navalny a déclaré la guerre au pouvoir en place. Dès lors, le milliardaire va construire une véritable machine de déstabilisation de l’Etat en multipliant les sites (RosPil, RosIama, RosVybory) pour dénoncer la corruption, le mauvais état des routes, ou l’opacité des élections, avec le concours de juristes émérites. Grâce à sa frénésie purificatrice, il se pose en défenseur des citoyens face à des pouvoirs publics malhonnêtes.

Tout aussi populaire mais moins véhémente, sa bataille contre l’immigration rencontre un large écho en Russie. Bizarrement, alors que le nationalisme est nettement plus en odeur de sainteté à Moscou qu’à Paris, en Une de son blog il justifie ses prises de position en invoquant la France : « Je ne serai jamais d’accord avec la position qui dit qu’en Russie le nationalisme est dangereux et qu’il faut l’interdire. En France, le Front national est en pleine croissance. Alain Delon a annoncé son soutien à Marine Le Pen. Et dans toute l’Europe de telles évolutions se font sentir. Va-t-on pour autant boycotter les croissants ? Ou simplement dire : «  les Français peuvent mais les Russes ne doivent pas. »  Toujours sur son carnet de bord, il pose des questions qui fâchent avec la simplicité d’un fils du peuple :« J’ai regardé les statistiques. Savez-vous que près de 50 % des crimes et délits sont commis par des étrangers ? »  En 2007, sa participation à des manifestations nationalistes où la foule scandait des slogans tels que  « Arrêtons de nourrir le Caucase ! » avait entraîné son exclusion du parti démocrate Yabloko. Aujourd’hui, s’il tempère un peu son discours, il n’exige pas moins l’instauration de visas pour limiter les flux migratoires en provenance du Caucase et d’Asie centrale.

L’immigration ayant explosé en Russie, ses positions lui valent des sommets de popularité, l’incitant à briguer la mairie de Moscou. Inculpé en juillet dernier pour le détournement de 16 millions de roubles (377 000 euros), il est reconnu coupable et condamné à 5 ans de camp. Soutenu par les politiques et les médias occidentaux, la victime du « procès politique » fait appel de cette décision. Navalny a pu craindre pour sa campagne électorale durant sa seule nuit passée en détention provisoire. Pourtant, et contre toute attente, le parquet libère le célèbre opposant en attendant le résultat de son appel, lui permettant ainsi de faire campagne. Résultat : à l’issue du scrutin, Navalny obtient 27% des voix, confirmant son statut d’opposant de premier plan à Poutine. À en croire le politologue Dmitry Travin, la libération de Navalny a été décidée au sommet de la verticale du pouvoir russe. Poutine l’aurait instrumentalisé pour diminuer l’ampleur de la victoire de son candidat, Sobianine. Elu avec une majorité écrasante, ce dernier aurait pu faire de l’ombre au chef de l’Etat. Poutine aurait alors joué la carte Navalny pour asseoir son pouvoir absolu. Mais l’élection passée, la guerre de tranchées entre les deux camps a repris de plus belle. Plus que la marionnette de Poutine, Navalny apparaît donc comme un diable dont on n’ouvre la boîte qu’au moment opportun.

*Photo : Sergey Ponomarev/SIPA. 00663037_000006.



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est journaliste à Causeur

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