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Paul Veyne, en son éternité

Un de nos grands historiens est parti pour l'éternité


Paul Veyne, en son éternité
Paul Veyne sur le plateau de la Grande Librairie, le 25 novembre 2010 BALTEL/SIPA 00610407_000006

La France vient de perdre un de ses plus grands spécialistes de l’histoire de l’antiquité, une perte ressentie bien au-delà de ses frontières. Car Paul Veyne était non seulement un latiniste éminent, mais un érudit passionné qui savait faire partager ses passions. Hommage à celui qui prétendait dans le titre de son livre de souvenirs que, « dans l’éternité je ne m’ennuierai pas ».


On le rencontrait très tôt, le matin, sur le cours Mirabeau, à Aix-en-Provence. Descendu du Ventoux pour ses cours à l’Université, il fleurait bon le grand vent, la garrigue. Il traduisait Tacite comme personne : ses images, sa syntaxe incongrue, ses « intrigues ». Il faisait vivre Sénèque en conférencier d’une jet society déjantée. Quant à Virgile, il était Orphée descendant aux Enfers : sa traduction de l’Énéide est une merveille. Plus tard, on allait à ses cours au Collège de France en dilettante. Anti-conformiste, spirituel, érudit, sa parole était aussi stimulante et savoureuse que sa prose. Le latin était, pour lui, une langue vivante. Il avait cet accent du Midi qui accentue, chante et enchante. L’historien de l’Antiquité, Paul Veyne, est parti pour l’éternité, le 29 septembre, dans le petit village de Bédouin, au pied du Ventoux.

Né en 1930 à Aix-en-Provence, d’une famille modeste, professeur au Collège de France, sa vocation part de la découverte, enfant, sur un marché de Cavaillon, d’une amphore celtique. Découverte qui va de pair, en classe de sixième, au lycée Mignet, à Aix-en-Provence, avec l’éblouissement, ressenti à la lecture d’un début d’hymne homérique, à la louange de Déméter. Cet « aérolithe » et ces vers, lui parlant un « autre langage d’un autre temps », inaugurent une vie, vouée à l’épigraphie, à la Rome antique et à la poésie. L’Empire gréco-romain parle des jeux à Rome, des mythes et des croyances, de la conversion de Constantin, de l’évergétisme, tout cela qui nous occupe encore. Sans parler de l’érotisme romain, de son Musée imaginaire italien et du trésor perdu de Palmyre. Sa méthode historique ? On la lit dans Comment on écrit l’Histoire. L’émotion… jusqu’au pathos, l’intrigue, l’anachronisme, une subjectivité aussi éloignés de la tradition des Annales que de la méthode marxiste ou structurale. L’Histoire, pourquoi ? « Pour se déprendre de la fausse évidence du monde ». Et par passion des mots parce que ce sont les mots qui sculptent l’Histoire. Aussi comprend-on que cette passion ait conduit l’historien jusqu’à son voisin, René Char, auquel il consacre un livre passionnant : René Char en ses poèmes. Quant au christianisme qui l’intéresse, au premier chef, en tant qu’historien de l’Antiquité, il refuse de parler de racines chrétiennes, déniant à toute religion le rôle de « matrice » au profit de « civilisation ».

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A la fin de sa vie, ultime contre-pied ou héritage de la pensée foucaldienne ? Ce latiniste éminent, qui avait tant reçu de l’institution, déclarait, dans un entretien au Pointque le latin et le grec étaient des « moignons inutiles » dans l’enseignement secondaire. « Retraduire Ovide… Créer un institut spécifique des langues anciennes à l’image des langues orientales… voilà ce qu’il faut, disait-il. Transmettre n’existe pas. Il n’y a que des coups de passion successifs ». Cette déclaration troubla des étudiants privés qu’ils avaient été, dans leurs lycées, de l’apprentissage du latin et des études classiques.

La vie ne l’avait pas épargné. Dans son livre, Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, il raconte son enfance, son « pétainisme », son bref passage au PCF, ses épreuves, ses deuils. Intéressé, on l’a dit, par le christianisme, il avoue « sa lacune » de ne pas avoir de « sensibilité religieuse ». Il n’hésite pas non plus à faire des confidences sur sa vie intime. D’un abord chaleureux, comme chacun d’entre nous, il aimait être aimé. Aussi les deux livres, lus et relus, qui l’avaient, dit-il, le plus marqué, étaient L’éducation sentimentale et La Chartreuse de Parme, l’un apprenant « comment il ne faut pas vivre et l’autre comment il faut vivre : par amour et par passion »— Frédéric étant le modèle de ce qu’il ne faut pas être. Avait-il tiré les leçons qui convenaient, se demandait-il ? Il fallait le voir, dans son antre bourré de papiers, parler de ses livres aimés, prenant en main, avec une révérence particulière, La Divine Comédie, de Dante. Était-il prêt à contempler dans le Paradis «  L’amor che move il sole e l’altre stelle ? »  Il est donc mort à Bédouin, un petit village au pied du Ventoux. Si la région est riche en vignes, ce n’est pas par hasard s’il avait choisi d’y habiter. De Pétrarque à René Char et Jaccottet jusqu’à Sylvain Tesson, en passant par Madame de Sévigné, Stendhal, Giono, Camus, ce mont, drapé de sa toge blanche, n’a cessé d’inspirer poètes et artistes. Il faut dire que, culminant à 1912 mètres, il est une splendeur. « Le mont Ventoux, miroir des aigles » écrit Char dans un poème des Loyaux adversaires. Quant à Bédouin, blotti à son pied, c’est un village charmant où il fait bon vivre. Décidément, il est des lieux inspirés.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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