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La CEDH, tu l’aimes ou tu la quittes

Comment sortir de la CEDH?


La CEDH, tu l’aimes ou tu la quittes
Emmanuel Macron rencontre Guido Raimondi, président de la CEDH, Strasbourg, 31 octobre 2017 © Jean-Francois Badias / POOL / AFP

La justice française est sous la tutelle de la Cour européenne des droits de l’homme, véritable « gouvernement des juges » européen dont les décisions ont une « autorité supérieure à celle des lois » nationales. Les traités rendant quasi impossible une sortie de cette institution, la France pourrait se contenter d’ignorer ses condamnations, quitte à encourir des sanctions.


Tandis que Michel Barnier préconise soudain de retrouver notre « souveraineté juridique » face à une Union européenne dont il fut pourtant le commissaire zélé, Éric Zemmour propose, comme l’avait déjà fait François Fillon en 2016, de délivrer la France de la tutelle des juges européens en « sortant » de la CEDH.

La proposition peut paraître radicale mais serait sans doute la plus simple juridiquement et la plus utile politiquement. Les tentatives diplomatiques déjà menées pour remédier aux excès de pouvoir des juges de Strasbourg ont toujours échoué. La conférence de Brighton, réunie en 2012 à l’initiative du Royaume-Uni qui supporte mal les ingérences de la Cour, s’est soldée par un modeste protocole n° 15 mentionnant simplement, à la fin du préambule de la Convention, le principe de subsidiarité et la marge nationale d’appréciation. Inutile donc de tenter une nouvelle renégociation vouée à l’échec, la sortie serait plus efficace et aurait d’ailleurs pour mérite de montrer l’inutilité globale du Conseil de l’Europe, organisation parasitaire opaque et budgétivore, noyautée par des lobbies déguisés en « experts ».

Toutefois, on ne sort pas aussi facilement de l’usine à gaz sophistiquée savamment construite depuis 1949 pour mettre au pas les peuples d’Europe. C’est que la « maison de correction » s’est en effet consolidée.

L’article 55 de notre Constitution, le problème majeur

Il convient tout d’abord de préciser ce que recouvre le sigle CEDH. Le Conseil de l’Europe – organisation internationale sise à Strasbourg, comportant 47 États membres et se distinguant donc de l’Union européenne qui n’en compte que 27 – a adopté en 1950 la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (dite CESDH) qui prévoit la création d’une Cour du même nom (dite CEDH), chargée de juger les violations par les États des droits et libertés mentionnés dans la Convention. La Cour peut être saisie soit par un État (ce qui n’arrive jamais), soit par tout justiciable individuel ou collectif (le plus souvent un individu soutenu par des ONG et des militants associatifs) qui s’estime lésé par un acte national et a épuisé toutes les voies de recours internes. La Convention utilise une terminologie extrêmement vague et sommaire qui permet à la Cour de lui faire dire absolument ce qu’elle veut, raison pour laquelle l’on confond souvent la Cour et la Convention puisqu’elles ne font qu’un.

Une audience en grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), novembre 2016 © CURIA – European Union

Mais surtout, le problème majeur tient au fait qu’en vertu de l’article 55 de notre Constitution, les traités régulièrement ratifiés ont « une autorité supérieure à celle des lois ». Il en résulte que les juges de cours nationales eux-mêmes, dans les litiges qui leur sont soumis, écartent l’application des lois nationales qu’ils jugent contraires à la Convention telle qu’elle est interprétée discrétionnairement par la Cour. C’est ainsi que, dans le contentieux judiciaire et administratif français de tous les jours, la jurisprudence de la CEDH produit ses pires effets et pas seulement lorsque la Cour elle-même rend de temps à autre un arrêt condamnant la France.

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Le général de Gaulle avait longtemps refusé de signer ce texte, sur conseil de son garde des Sceaux, Jean Foyer, qui l’avait à juste titre mis en garde contre le risque inévitable de « gouvernement des juges ». C’est Alain Poher qui ratifia la Convention en 1974, à la faveur de l’intérim du président Pompidou, et François Mitterrand qui accepta ensuite le droit de recours individuel devant la Cour en 1981. Depuis lors, les nouveaux États qui ratifient la Convention doivent en même temps accepter la compétence de la Cour et le droit de recours individuel. On ne peut donc plus dissocier les stipulations réunies en un seul instrument indivisible dit « la Convention », ni donc sortir de la compétence de la Cour sans dénoncer la Convention tout entière. Pour cela, il faut simplement notifier la dénonciation au secrétaire général du Conseil de l’Europe en respectant un préavis de six mois.

Une dénonciation de la Convention aurait donc le mérite, non seulement de débarrasser la France de la compétence de la Cour elle-même, mais aussi d’empêcher les juges français de faire prévaloir la Convention, telle qu’interprétée par la jurisprudence européenne, sur les lois françaises. Par exemple, il ne serait plus possible au Conseil d’État d’écarter une disposition législative prescrivant l’éloignement des étrangers en situation irrégulière ou la prohibition de l’insémination post-mortem au motif qu’elle porterait atteinte à leur droit « à une vie familiale normale ». Néanmoins, cela ne règle pas tout, loin s’en faut, car bien d’autres entraves subsistent.

Catalogue Bisounours mal rédigé

Tout d’abord, le traité sur l’Union européenne (TUE) adopté à Lisbonne prévoit dans son article 6, alinéa 2, que l’Union « adhère » à la CESDH. Les négociations en vue de cette adhésion ont été interrompues à la suite d’un désaccord de la Cour de justice de l’Union de Luxembourg (CJUE) sur les modalités proposées, mais elles ont repris en 2020 et finiront bien par aboutir. Or, lorsque l’Union elle-même sera partie à la Convention, la Commission et la CJUE auront tôt fait de considérer que la Convention et la jurisprudence de la CEDH font désormais partie intégrante du droit de l’Union et donc qu’un État membre qui ignore la jurisprudence de la CEDH peut faire l’objet d’une procédure en manquement devant la CJUE. Évacuée par la porte des 47, la jurisprudence de la CEDH reviendra donc ainsi par la fenêtre des 27. Londres réfléchit de nouveau à la façon de brider les ingérences de la CEDH dans ses affaires régaliennes, mais le Brexit lui permet déjà d’éviter que la Cour de justice de l’Union ne s’en mêle aussi.

Sans doute les procédures dans l’Union ne sont-elles pas les mêmes que devant la CEDH puisqu’il n’y a pas de droit de recours des individus contre un État membre devant la CJUE, mais nos juges hexagonaux feraient à coup sûr prévaloir encore sur la loi française une convention faisant désormais partie intégrante du droit de l’Union. C’est un système gigogne infernal qui se met ainsi en place et il faudrait commencer par refuser catégoriquement de ratifier le traité d’adhésion de l’Union à la CEDH plutôt que d’envoyer, comme nous le faisons actuellement, deux obscurs sous-chefs de bureau le négocier à Strasbourg.

Mais ce n’est pas tout. Il ne faut pas oublier qu’il y a déjà dans le traité actuel sur l’Union des dispositions aussi invalidantes pour les attributions régaliennes des États que la jurisprudence de la CEDH.

L’article 2 du traité sur l’Union (TUE) indique tout d’abord ceci : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. » Nul n’avait initialement prêté attention à ce catalogue Bisounours mal rédigé et le Conseil constitutionnel français, lorsqu’il a examiné le projet de traité, n’a même pas émis de réserves sur le caractère inconstitutionnel de la notion de « minorités ». Or c’est maintenant sur ces termes filandreux, auxquels on peut faire dire tout et son contraire, que s’appuient la Commission, le Parlement et la Cour de justice de l’Union pour contraindre les États membres à se plier à l’idéologie multiculturelle anglo-saxonne inoculée par les lobbies et les ONG qui les infiltrent, et pour sanctionner les lois et même les constitutions nationales qui refusent de se plier à leurs diktats.

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Enfin, le tableau ne serait pas complet sans mentionner l’article 6, alinéa 1, du traité sur l’Union européenne qui reconnaît à la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000 une valeur juridique identique à celle des traités. Or, cette charte est un copié-collé de la CESDH à laquelle elle ajoute simplement quelques nouveaux droits. Théoriquement, elle ne s’impose aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre les politiques de l’Union, mais en réalité la CJUE l’utilise sur tout sujet et s’autorise même à ignorer complètement le protocole additionnel n° 30 au traité de Lisbonne, qui a spécifié que la Charte n’était pas opposable à la Pologne. Globalement la CJUE a pris l’habitude d’ignorer totalement l’article 4 du traité et le préambule de la Charte, qui stipulent pourtant que l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et constitutionnelles, ainsi que la diversité des cultures et des traditions des peuples d’Europe. La façon dont la Commission et la Cour s’autorisent à commettre systématiquement des excès de pouvoir (ultra vires) en violant délibérément les traités est devenue insupportable.

Sortir de la CEDH ne nous délivrerait donc pas de la tutelle bien pire qu’exercent la Commission et la CJUE sur l’exercice de notre démocratie. Faudrait-il alors, comme l’a suggéré Michel Barnier, rajouter en plus un « bouclier constitutionnel » pour contrer la primauté du droit de l’Union sur le droit français ? C’est envisageable, mais il faudra s’attendre aux foudres de Bruxelles qui affirme, bien entendu, la primauté du droit européen « y compris » sur les constitutions nationales. La France sera alors menacée de sanctions, comme l’Allemagne, la Pologne, la Hongrie et les autres.

Et alors ? Comme le disait un jour Michel Charasse dans un colloque : «  La CEDH ? Combien de divisions ? » De Gaulle, en son temps, avait bien pratiqué la politique de la « chaise vide » et l’on pourrait aussi laisser brailler la Commission et la Cour de justice pour exiger in fine un nouveau « compromis de Luxembourg » garantissant la primauté de nos intérêts nationaux. Mieux encore, nous trouverions certainement des États alliés pour exiger enfin une révision des traités remettant l’Union à sa place et mettant fin à son fédéralisme rampant. Des rustines constitutionnelles peuvent tenter de contenir les fuites de souveraineté mais il serait plus logique d’aller à la source en révisant les traités.

Novembre 2021 - Causeur #95

Article extrait du Magazine Causeur




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Juriste spécialiste de droit constitutionnel, professeur de droit public à l’Université de Rennes I

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