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Bernard Tapie, «en même temps»


Bernard Tapie, «en même temps»
Bernard Tapie face à Jean-Marie Le Pen, 1994 © FRANCOIS MORI/AP/SIPA Numéro de reportage : AP20042832_000014

Le destin hors norme de Bernard Tapie fait un peu penser à celui de Silvio Berlusconi. Mais un Berlusconi light. Tapie a eu l’OM? Berlusconi le Milan AC. Tapie a été ministre de Mitterrand? Berlusconi a été président du Conseil. Tapie a eu des problèmes avec la justice ? Berlusconi est LE problème de la justice. Jean-Edern Hallier l’avait méchamment surnommé Tapisky…


Pour une personne née dans les années 1980, le souvenir de Bernard Tapie résonne cruellement avec l’enfance. Surtout pour un garçon.

Reviennent les images de l’homme d’affaires porté en triomphe par les joueurs de l’Olympique de Marseille à Bari, sous les vivats d’un peuple tout entier qui accédait enfin au graal suprême après les échecs stéphanois et bordelais. Bernard Tapie était une part de nous, une part de rêve en une vie meilleure et plus grandiose : yachts, hôtels particuliers, belles voitures, grosses montres, costumes croisés et chemises ouvertes sur torse bronzé. Les années 80, les années fric pour répondre aux années de plomb. Comme si l’insouciance hippie s’était transformée en présentéisme capitaliste. Des ambitions de gagne, celles des vrais mecs burnés comme disaient Les Guignols de l’Info.

Talent et barakah

À nous autres petits gars d’une époque qui n’était pas encore celle du wokisme et de l’islamisation, Nanard montrait le chemin de la réussite. Oui, avouons-le, il fut pour beaucoup un modèle et un motif de fierté. Dans un pays de castes tel que l’est la France, le parcours si américain de Tapie était particulièrement atypique. L’homme était gouailleur et débrouillard, semblant invincible. Parti des HLM du XXème arrondissement de la capitale, cet Ariégeois d’origine avait gardé de ses jeunes années l’irrésistible tchatche du titi parisien. Il était capable de recevoir de grands patrons en jogging dans son salon ou d’affirmer sans gêne que sa commode valait « deux Boli » devant des journalistes. Une vulgarité consommée et assumée, un jeu pour mieux se distinguer et rappeler le caractère exceptionnel de sa vie.

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Rien ne prédestinait Bernard Tapie à devenir la personnalité la plus populaire auprès de la jeunesse des années 80, ou, encore à la même période, le deuxième homme le plus séduisant selon les femmes – juste derrière Alain Delon, excusez du peu. Rien sauf ce petit truc qu’ont quelques hommes : un grand talent qui s’additionne à la barakah. Avoir la chance à la naissance ne suffit pourtant pas toujours. Une fois les sommets atteints, encore faut-il s’y maintenir. Bernard Tapie aurait pu avoir un autre destin. Tiens, il aurait même pu, dans un genre plus hexagonal, être un Trump avant l’heure en suivant l’exemple de son grand rival italien Silvio Berlusconi. Son livre Gagner ressemble d’ailleurs assez à The Art of the Deal : même bulle spatiotemporelle, mêmes boniments de coachs en développement personnel.

Le fourrier de la mitterrandie finissante

Malheureusement pour lui, Bernard Tapie était Français. Il était si Français qu’il avait l’intime conviction qu’il ne serait jamais vraiment reconnu qu’après avoir donné de sa personne en politique. Les politiques ont d’ailleurs le même réflexe en cherchant à être adoubés par les lettres. Tapie a d’ailleurs croisé sur sa route un homme qui ne jurait que par la République des Lettres, qui en cherchait la reconnaissance : François Mitterrand. Entre l’araignée manipulatrice et le volubile Nanard, deux planètes qui finirent par se télescoper. La mitterrandie finissante avait grand besoin d’un fourrier, d’un blanchisseur de talent pour alimenter ses caisses occultes. Etait-ce le rôle qu’occupa le ministre de la Ville démissionnaire ? Surnommé Tapisky par le suicidé accidentel Jean-Edern Hallier, Bernard Tapie partageait en effet quelques traits communs avec l’escroc Stavisky qui finit comme lui bouc-émissaire d’un régime en fin de course.

Au lieu d’embrasser le destin de tribun de la plèbe auquel son parcours et sa personnalité l’amenaient naturellement, il se fit le champion des bêtises de son temps. Caution libérale du PS bling-bling, il prit sur lui d’être l’avocat des « quartiers » et du néo-progressisme en gestation, sorte de super grand-frère popu. Face à Jean-Marie Le Pen, Nanard se muait en populiste de la cause de SOS Racisme et Touche pas à mon pote. Il était « libéral-libertaire » avant l’heure, émanation chimiquement pure des prophéties de Michel Clouscard, préfiguration brute de décoffrage de ce qui ferait quarante ans plus tard le succès d’un Emmanuel Macron. Avec la mort de Bernard Tapie, une page se referme. Gageons que le chapitre sera bientôt clos.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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