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La droite, ou les malheurs de l’évidence naturelle


La droite, ou les malheurs de l’évidence naturelle

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S’interroger sur les fondements d’un groupe politique et/ou intellectuel qui n’a jamais cherché lui-même à se définir est un exercice bien difficile. La droite française a certes une origine historique précise, la fameuse question du veto royal, posée devant l’Assemblée nationale le 28 août 1789. On se souvient que, selon qu’ils y étaient favorables ou non, les députés vinrent se placer à droite ou à gauche du président, et que naquirent ainsi les deux hémisphères de notre cerveau politique national.

Pour autant, cette référence historique ne saurait permettre de cerner un groupe qui a toujours été largement hétéro-défini par ses opposants – et ce bien souvent dans le seul but de le stigmatiser. La droite, en France, reste avant tout le groupe politique qui refuse les « idées nouvelles » avancées par la gauche, et la question se pose alors de sa large incapacité à présenter un corpus propre et à agir autrement qu’en réaction. Pour tenter une explication de cette malédiction qui traverse les siècles, il faut sortir de l’analyse politicienne, des interrogations récurrentes sur les divisions et les chapelles, s’abstraire des classements entomologiques des divers spécimens de droite, pour s’interroger sur ce que pourrait être la vision du monde de droite.

Force est de constater que les référents de la droite lui semblent être le produit naturel de la société humaine, le fruit de son organisation spontanée. Qu’il s’agisse de la hiérarchie sociale nécessaire à tous, de la famille à l’empire, de la différence de capacités et de valeurs entre individus – ce qui n’implique pas, bien au contraire, la dévalorisation des plus faibles -, ou de la nécessité de constituer pour survivre un groupe cohérent dont l’identité repose sur une histoire commune, un groupe se ressourçant dans les mêmes mythes et communiant dans les mêmes cultes, tout cela semble à l’homme – et à la femme ! – de droite aussi évident que le lever du soleil à l’Est ou la distinction des sexes. Bref, la droite trouve dans son berceau les éléments majeurs de son corpus et se contente de regarder l’ordre du monde pour simplement y placer la Cité.

Parce que sa vision du monde repose sur cette évidence naturelle qui lui semble éternelle, la droite, du monarchisme au gaullisme pourrait-on dire pour s’amuser, n’a pas plus de projet réel que de programme précis : elle pense n’avoir rien à prouver ni rien à détruire, et qu’elle doit se contenter d’incarner et de maintenir. C’est sa force… tant du moins que l’évidence et la raison tiennent lieu de règles aux hommes, c’est-à-dire tant que les sociétés ne sont pas assez riches – ni assez suicidaires – pour pouvoir donner corps à un projet social a-naturel.

Face à la situation acquise de l’homme de droite, les revendications des boursiers de gauche se présentent dans notre histoire politique sous l’aspect de luttes légitimes entreprises contre les excès – réels ou supposés – de la politique de droite : contre l’autoritarisme, avec l’impossibilité corrélative dans laquelle seraient tenus les citoyens d’exprimer une opinion différente de celle du titulaire du pouvoir, quel qu’il soit ; contre l’inégalité, réduisant les êtres à une appartenance qu’ils n’ont pas choisie ; contre ses excès de stabilité enfin, dans société immobile où l’individu ne pourrait parvenir au statut élevé auquel ses capacités seraient censées lui donner droit.

Que derrière cet admirable discours revendiquant tous les affranchissements et toutes les libertés se cache souvent la faiblesse de l’homme et la force irrépressible de l’envie, Joseph de Maistre l’avait bien vu. « L’œil pour qui tous les cœurs sont diaphanes, écrivait-il des révolutionnaires qui se prévalaient de la noblesse de leurs sentiments, voit la fibre coupable ; il découvre, dans une brouillerie ridicule, dans un petit froissement de l’orgueil, dans une passion basse ou criminelle, le premier mobile de ces résolutions qu’on voudrait illustrer aux yeux des hommes ». Certes, la pureté existe, même à gauche, mais comme le fait dire Michel Audiard à Jean Gabin dans Le Président : « il y a aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre »

Pas plus qu’elles n’appartiennent au même cosmos, les visions du monde de la droite et la gauche ne s’inscrivent dans le même temps. L’homme de droite lutte contre le temps, l’homme de gauche lutte pour l’instant. Un homme de droite ne se sent en effet exister que dans une lignée qu’il incarne temporairement, et son but est avant tout de transmettre : une morale, des connaissances, des biens, qu’il doit transmettre à ses enfants. Un homme de gauche n’est qu’un individu qui passe. Il doit frénétiquement jouir de tout avantage matériel avant de retourner au néant. On devine que droite et gauche ne peuvent pas faire la même politique et que leurs programmes économiques par exemple, qui vont, pour leurs extrêmes, du respect intangible de la propriété à la prise au tas, sont peu conciliables.

Reste que la lutte politique entre visions du monde de droite et de gauche a totalement changé d’aspect, car l’évidence naturelle sur laquelle reposait le pouvoir de la droite n’est plus audible. Quant à l’éducation , pensée tout entière comme une déconstruction, elle est avant tout une rééducation.
Face à cette offensive, la vraie droite, n’a pu résister. Entre ce qui lui paraissait trop ridicule pour être débattu ou trop bas pour qu’elle s’abaisse à y répondre, entre la sidération idéologique ressentie devant l’aberration des revendications et sa volonté de garder jusqu’au bout une tenue, pas plus en 2012 qu’en 1789, elle n’a pu mener de lutte victorieuse. Elle a longtemps cru, ou voulu croire, que pour la très grande majorité du peuple l’évidence naturelle de ses règles était encore une réalité. C’est la légende chouanne des paysans restés profondément royalistes et qui vont tous se soulever pour rétablir la monarchie. Cent ans plus tard, c’est le mythe maurrassien du pays réel opposé au pays légal, trompé et manipulé par lui, mais encore sain, et dont le vote, puisqu’il faut utiliser les armes modernes, sauvera la France éternelle. Il est aujourd’hui permis de se demander s’il ne faut pas tirer un trait définitif sur cette perspective et si, rurbain ou bobo, le moderne a la moindre chance de dépasser les fausses évidences dont on l’abreuve depuis l’enfance et de sortir d’où il croupit pour le plus grand bonheur de ses nouveaux maîtres.

La droite politique serait donc devenue ce qu’elle a peut-être toujours été : un club restreint où se croisent quelques individus sans illusions – ce qui ne veut pas dire sans projets car « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » -, des individus voulant raison garder dans un monde où tout est inversé et se retrouver entre eux pour en rire. Car une chose est certaine en écoutant la gauche : on ne peut avoir à la fois pour soi le sens de l’histoire et le sens de l’humour.

*Photo : philippe leroyer



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est professeur de droit public à l'université de Caen. Il est l'auteur des "grands discours du XXe siècle" publié chez Flammarion

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