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Le niveau monte


Le niveau monte

Contrairement à ce que professent Alain Finkielkraut, Elisabeth Lévy et quelques autres pessimistes de leur trempe, le niveau monte. C’est un fait indiscutable et il faut faire preuve d’une mauvaise foi assez crasse pour ne pas le reconnaître.

Je ne parle même pas de la réussite scolaire et de la culture générale : nous sommes arrivés à un tel degré d’excellence que le président de la République lui-même s’est cru obligé de prendre des mesures afin que nos chères têtes blondes arrêtent de se bourrer le crâne avec les auteurs classiques. Il est un âge où l’enfant doit se divertir et ne pas passer son temps à assouvir frénétiquement sa soif de connaissances. Sa santé en dépend. Or, la méthode globale et la pédagogie Freinet ont transformé des gamins en monstrueuses bêtes à savoir : leur surmenage intellectuel est tel qu’il s’en trouve, à peine âgés de onze ou douze ans, à vous réciter par cœur Mme de Scudéry tandis qu’ils réinventent la Carte du Tendre en une tournante impromptue. Et je ne dis rien sur ce qu’ils font subir à la Princesse de Clèves. Le niveau monte. Trop.

Ne croyez pas que le phénomène concerne exclusivement la France. L’ensemble de l’Europe est affecté par cet incroyable progrès de l’éducation et des mœurs. Songeons donc à ce XXe siècle où la politesse et la courtoisie étaient si avachies qu’il suffisait que quelques soldats allemands traversent le Rhin pour que se déclenche une conflagration mondiale. Les peuples étaient alors tellement stupides et chicaniers que, de tout, ils en faisaient une histoire.

Certes, il se trouvait bien au sein des nations européennes illettrées et malapprises quelques esprits plus élevés que les autres. Ils déployèrent leur meilleure volonté à faire ce qu’ils purent, comme instituer la première monnaie unique de l’histoire de notre continent, le ticket de rationnement. Mais leurs louables efforts étaient voués à rester vains tant que la majorité de leurs contemporains étaient maintenus dans un état d’ignorance et d’hébétude.

Dieu soit loué, ces temps-là ne sont plus. Grâce à Freinet, à la méthode globale et au talent des professeurs d’IUFM, la civilité l’a emporté sur la barbarie, la politesse sur la cruauté. Regardez ce que vient de faire notre chancelière. Elle a demandé si elle pouvait commencer à envahir la France en plaçant sept cents soldats allemands du côté de Strasbourg. Nicolas Sarkozy lui a répondu : « Ah, c’est si gentiment demandé… » Il lui a claqué deux bises, elle a un peu maugréé, mais l’affaire était pliée : nos valeureux pioupious de la Bundeswehr ont déjà fait leur paquetage pour prendre leurs quartiers sur la rive gauche du Rhin sans avoir eu à tirer le moindre coup de feu. Imaginez-vous qu’Angela Merkel fût aussi malpolie que ses devanciers : l’Allemagne aurait été obligée d’envoyer les panzers et la Luftwaffe, de coller encore une dérouillée à l’armée française et d’ajouter au déshonneur le ridicule. Niveaubaissistes et va-t’en-guerre en sont pour leurs frais : le monde est plus poli, le niveau monte.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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