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Du courage en philosophie


Le dialogue est l’illusion philosophique par excellence. On ne compte plus les Cafés philo exaltant l’importance du dialogue alors même que les grands philosophes ont toujours pris grand soin de ne pas se comprendre. Le malentendu, la mauvaise foi, la lecture malveillante sont les portails de la découverte. Spinoza s’est bien gardé de comprendre les intentions réelles de Descartes, parce qu’une lecture trop compréhensive des concepts cartésiens l’aurait empêché de bâtir son propre système. Foucault s’est bien gardé de comprendre Lacan, parce cette entreprise l’aurait détourné de penser la fonction disciplinaire de la psychanalyse. L’oeuvre de Lacan et celle de Foucault sont deux merveilles de sagacité et d’intelligence, mais aucune n’aurait vu le jour si ces deux penseurs avaient décidé de se comprendre. Ne pas comprendre l’autre, voilà le coeur, voilà l’essence du courage en philosophie.

Lorsqu’il se déploie sous une forme publique, le dialogue prend la forme d’une quête de l’idée bonne – comme si les participants recherchaient tous ensemble à être plus justes, plus ouverts, plus démocratiques. Dit autrement, tout se passe comme si le fait de vouloir le bien d’autrui était, en soi, une activité bonne, ce qui explique que les participants ne craignent pas de parler pour l’humanité tout entière. Ce narcissisme collectif déteint sur l’Idée noble mise en débat (« Quelle Justice aujourd’hui ? ») dont le caractère idéal permettrait aux hommes de bonne volonté de mieux dénoncer les injustices du temps présent.

En somme, l’idéal collectif des Cafés philo repose sur les trois présupposés suivants : le présupposé de compréhension (s’ouvrir à l’autre, c’est le comprendre), le présupposé d’intention (se demander comment devenir juste, c’est déjà l’être un peu) et le présupposé de correction (une idée bonne nous sert à corriger les injustices, sinon ce ne serait pas une idée bonne et nous ne l’aimerions pas). La révolution des Cafés Philo semble portée par le souci d’améliorer notre sort à tous en donnant la parole à chacun, c’est pourquoi elle vaincra.

Notons tout de même que tout ce qui s’est fait de grand en philosophie s’inscrit en faux contre ces trois piliers du populisme convivial et bon enfant. Il serait regrettable que l’intolérance se perde, et, avec elle, la possibilité de créer une oeuvre philosophique véritable.



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