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A Londres, les snobs pro-Black lives matter détestent la classe ouvrière blanche

Un article de la "Salisbury review"


A Londres, les snobs pro-Black lives matter détestent la classe ouvrière blanche
Un couple de Chiswick à Richmond, sud-ouest de Londres. Auteurs : Alex Lentati/LNP/Shutterstock/SIPA. Numéro de reportage : Shutterstock40773892_000005

Avec l’aimable autorisation de ses auteurs, Causeur traduit et republie un article de la Salisbury review. Qu’ils en soient remerciés. 


 

Un samedi matin ensoleillé, sur l’artère principale de Chiswick, la file d’attente devant le supermarché Waitrose était baignée d’une lueur d’autosatisfaction. Des dizaines de citadins branchés, habillés de façon décontractée, manifestaient leur sens de la justice sociale en s’agenouillant, signe rituel de soutien à la campagne Black Lives Matter. L’espace d’un instant, ces jeunes à la mode ont pu se sentir noirs par procuration.

Protégés du salariat vs classes défavorisées 

Cette occasion de montrer les vertus de la classe moyenne progressiste ne tenait pas compte des personnes noires défavorisées, des jeunes élevés dans un monde de rap nihiliste, de skank abrutissant et de bandes violentes. Ils ne pensaient pas davantage aux victimes, pour la plupart noires, d’agressions au couteau et de fusillades. Jour après jour, le fossé entre les protégés du salariat et les classes défavorisées s’élargit.

Comme nous l’expliquons dans notre livre Morality, le véritable enjeu est le snobisme de classe. Selon Sohrab Ahmari, auteur de New Philistines (2016), les causes émancipatrices sont exploitées par la bourgeoisie pour préserver son hégémonie culturelle. Quelle est la classe sociale qui excelle le plus dans le respect du politiquement correct, sinon celle des cadres professionnels à ordinateurs portables ? Ses enfants apprennent le jargon des « questions de race, de sexe et de sexualité » dès leur plus jeune âge. On attend d’eux qu’ils le maîtrisent à leur entrée dans la vie active. Les ouvriers, quant à eux, sont les plus susceptibles de peiner avec cette langue. Même lorsqu’ils ont de bonnes intentions, ils n’y parviennent pas toujours, en raison de la complexité de la pensée critique raciale  et des acronymes LGBTQ. En renforçant l’obligation de parler et de penser correctement – et en augmentant du même coup les risques d’échec – la classe néolibérale a  mis en place un nouveau mécanisme répressif pour rester au sommet et maintenir les gueux au bas de l’échelle.

Les pauvres paieront la décarbonisation

Tout en gratifiant les habitants noirs des cités voisines d’une sympathie de façade, les snobs métropolitains détestent la classe ouvrière blanche. Les pauvres, toutes ethnies confondues, devront payer le prix de la décarbonisation exigée par les alarmistes du changement climatique, car ils sont appauvris par la main-d’œuvre bon marché qu’apporte la mondialisation. Mais c’est la classe ouvrière blanche qui souffre le plus dans une société où (comme l’a tweeté le 23 juin le professeur de littérature à  l’université de Cambridge Priyamvada Gopal « White lives don’t matter. As white lives ») la vie des blancs n’a pas d’importance. De plus en plus de données prouvent la chute des résultats scolaires et professionnels des petits blancs qui se trouvent du mauvais côté de la voie et qui ne sont pas BAME (acronyme britannique pour Black, Asian and Ethnic Minority).

Il s’agit sans doute de racisme inversé, comme l’exprime de manière flagrante l’insulte « gammon » (à l’origine, viande de porc de couleur vive) pour désigner les hommes blancs en colère qui n’apprécient pas l’immigration de masse ou le multiculturalisme.

Il y a quelque chose qui ne va pas dans l’attitude envers le groupe favorisé.  Alexander Pelling-Bruce a décrit dans The Spectator (4 juillet 2020) les récents rassemblements antiracistes comme une performance culturelle : « Certains des plus fervents partisans blancs du BLM sont les mêmes types de personnes cosmopolites qui ont précédemment défilé contre le Brexit. Puis, ils ont utilisé un conflit constitutionnel pour s’élever au-dessus de leurs concitoyens supposés paroissiaux. Aujourd’hui, ils affichent leur supériorité en attirant l’attention sur le péché de leur propre blancheur. »

S’excuser pour quelque chose qu’on n’a pas fait

A l’image du prince Harry qui s’est réveillé dans son manoir à Los Angeles, la culpabilité de la classe moyenne ne se transforme pas en autoflagellation chiite avec du sang qui coule dans les gouttières. S’excuser pour quelque chose qu’on n’a pas fait, en utilisant le mot « nous » alors qu’on veut vraiment dire « ils », est indolore et socialement gratifiant.  En se concentrant sur la race, ces philanthropes ne se critiquent pas eux-mêmes, mais s’adressent à leurs cibles habituelles : les patriotes à l’esprit traditionnel, plus bas dans la hiérarchie socio-culturelle.

Pourtant, les Noirs ordinaires ne veulent pas être les pions des politiques identitaires qui divisent. La racialisation de la société est régressive en ce qu’elle attribue des caractéristiques à chaque personne en fonction de son ethnicité. La race est un concept scientifiquement douteux. Ce n’est certainement pas un absolu, comme le confirment des millions d’enfants métis. Or, la couleur de la peau est dangereusement utilisée pour alimenter les tensions interraciales par ceux-là même qui se disent antiracistes.

Le mouvement Black Lives Matter est raciste non parce qu’il est anti-blanc (bien que certains militants aient des préjugés racistes flagrants), mais par son essentialisme mythologique. Un Louis Farrakhan de jeux vidéo décrit le privilège blanc comme s’il y avait quelque chose d’intrinsèquement supérieur chez les diables de Yakub (selon les croyances de la Nation de l’Islam, Yakub était un scientifique noir qui a vécu il y a 6 600 ans et a créé la race blanche) qui détiennent le pouvoir intrinsèque de ruiner la vie des Noirs. Cette idée est devenue courante, avec des rayons entiers de livres consacrés au « racisme systémique » à la lumière des protestations du BLM.

Le filon de l’esclavage

Il s’agit d’une forme paradoxale de suprémacisme blanc : le fantasme des militants antiracistes est si fort que la société doit « abolir la blancheur ». Les Blancs du mouvement woke croient apparemment que leur ascendance les rend impitoyablement efficaces, tout en considérant avec condescendance les autres ethnies comme Les tribus primitives mais nobles car en accord avec Mère Nature, comme le montre le National Geographic…

La classe moyenne libérale aimant défendre une bonne cause, puisque la brutalité policière britannique n’est pas suffisamment documentée, elle a trouvé dans l’esclavage un meilleur filon. Tout personnage historique ayant fait du commerce outre-mer aux XVIIe et XVIIIe siècles incarne un pays raciste, ses actions philanthropiques en étant conséquemment invalidés.

Les avantages économiques légués à l’intelligentsia progressiste sont entachés d’une faute morale, car le patrimoine familial s’appuie sur les bénéfices de l’esclavage. L’admettre est moins grossier que de glisser dans la conversation que le cousin d’un nobliau assiste à un dîner qu’on organise, mais cela va dans le même sens.

Marxisme culturel

Comme l’a fait remarquer Lionel Shriver (une femme de lettre et journaliste américaine qui vit au Royaume-Uni, soutient le Brexit et s’oppose à la discrimination positive), la honte crée un malaise, et non de la joie. Le racisme exprime le complexe du sauveur blanc. C’est l’attitude de ceux qui vont en Afrique pour sauver des indigènes sans défense, rendant en dernière instance les Blancs responsables de leur situation misérable. Avec leur mantra « le silence des blancs est de la violence », ces missionnaires post-modernes préconisent des réparations pour l’esclavage, comme si le noir devait vivre des restes de l’opulence blanche. Les citoyens noirs et asiatiques n’ont pas besoin que les propriétaires de maisons cossues affirment que leur vie compte.

Le déterminisme marxiste, par l’importance qu’il accorde à la structure plutôt qu’à la possibilité d’action des individus, est à l’origine de la transformation de George Floyd en héros populaire, dont le meurtre par un policier a suscité l’indignation mondiale. Dans l’esprit des partisans blancs du BLM, un homme noir qui s’est illustré dans la criminalité et la drogue ne fait que ce qu’on lui a imposé.  Autrement dit, le problème, c’est la police et les tribunaux, pas le délinquant. Une attitude similaire est adoptée à l’égard du programme Prevent visant à éloigner les jeunes musulmans du terrorisme. Bien sûr, les cambriolages à main armée et les attentats suicides sont un fléau pour la société, mais il y a des avantages à tirer pour ceux qui se rangent du côté d’un groupe de victimes patentées. Selon Inaya Folarin Iman, chroniqueuse et candidate malheureuse du parti pro-Brexit aux législatives de 2019, « il ne s’agit pas d’une continuation des luttes de libération du passé, mais d’un rejet de celles-ci ». Les progressistes de la classe moyenne ne croient pas en la capacité des « racisés » à agir. Cela traduit  un stéréotype grossier selon lequel les Noirs sont inférieurs.

Oublions la mélanine

Le racisme est indéniablement un problème, mais les choix de vie ne dépendent pas de la quantité de mélanine des uns et des autres.  Pour les enfants narcissiques de la classe moyenne, émettre ce message émancipateur est une police d’assurance psychologique contre les ogres qui marchent cagoulés dans les rues la nuit. Les stéréotypes grossiers ont la vie dure. L’appel à arrêter de financer la police, repris sur les réseaux sociaux, n’est destiné qu’aux quartiers noirs. Ce n’est certainement pas une autorisation pour cambrioler les avenues verdoyantes des beaux quartiers de Londres.

Ironiquement, la vague de Black Lives Matter a balayé un pays à une époque où le racisme était moins flagrant que jamais. Au lieu d’apprécier ces progrès,les agitateurs sont à l’affût de son retour en force.  Comme l’ont découvert des behaviouristes tels que Skinner, le comportement appris se renforce par des récompenses peu fréquentes. Le désir de montrer sa vertu en condamnant les autres est irrésistible et, dans une certaine mesure, crée une dépendance. Pour une dose de dopamine, les dénonciateurs regardent sous chaque pierre pour débusquer une trace de racisme. Les réseaux sociaux profitent de notre dépendance, à l’image de la boîte à tendances de Twitter qui encourage les utilisateurs à participer aux expressions de honte publique.

Or, si le racisme était facile à dénicher, l’effet de nouveauté s’estomperait rapidement. Ici, il ne s’agit pas vraiment de race. Car l’engouement de la classe moyenne pour le mouvement Black lives matter détourne l’attention des problèmes sociaux de nos villes, problèmes qui touchent de manière disproportionnée les communautés noires. Au lieu de gaspiller du temps et de l’argent dans des formations sur les préjugés inconscients, des audits sur les salaires des minorités et des comités sur le déboulonnage des statues, la société devrait se préoccuper davantage de la lutte contre la criminalité, les gangs, le trafic de drogue et la dépendance, ou du désespoir des familles sans père.

Peu d’ambition pour les minorités

Les progressistes libéraux ont des attentes aussi faibles que le professeur d’une école alternative des années 1970 qui oriente un noir bon élève vers le sport plutôt que vers la science. Gaspiller de l’argent dans les cours de graffitis est à l’opposé de l’approche ambitieuse qu’il faudrait adopter.

Sur Chiswick High Road, alors que les aspirants membres de l’élite métropolitaine s’en allaient avec suffisance, le gouvernement de Boris Johnson semblait impuissant face au saccage de notre patrimoine culturel par les vandales du BLM. Tout cela était très excitant pour un quartier chic de l’ouest de Londres, où les trois quarts des habitants ont voté contre le Brexit. L’allégeance à un super-État européen avec 27 autres pays à prédominance blanche avait un aspect néo-impérialiste : ce bloc protectionniste impose de lourds droits de douane sur les exportations africaines. Mais ce n’est pas grave car, de temps en temps, les bien-pensants offrent leurs vieux vêtements à Oxfam.

Retrouvez la version originale de l’article sur le site de la Salisbury review.

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Robert Oulds et Niall McCrae sont les auteurs de « Moralitis : a cultural virus » (Bruges Group, 2020)

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