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Le Maghreb malade du coronavirus

Trois pays à l'épreuve de la crise


Le Maghreb malade du coronavirus
Contrôle de police à Rabat, 22 mars 2020. SIPA/ Chine nouvelle. Feature Reference: 00951342_000002 Feature Reference: 00951342_000002

 


Maroc, Algérie et Tunisie réagissent différemment à la crise sanitaire. Si Rabat s’affirme progressivement comme la grande puissance régionale, Alger souffre plus que jamais d’une gouvernance défaillante. Et Tunis reste dans l’incertitude. 


La vidéo a fait le tour de Youtube. On y voit un gendarme marocain au physique de lutteur asséner une énorme gifle à un sujet du Roi n’ayant pas respecté le couvre-feu.

Le Covid-19 a traversé la Méditerranée

Contrairement aux propos surréalistes du gouvernement français en janvier, qui rappelle la gestion du nuage de Tchernobyl, un virus passe les frontières. Même la mer. La peste noire était arrivée par le port de Marseille, le virus du pangolin par les aéroports. Question d’époque. Et les pays du Maghreb n’échappent pas à ce drame mondial. Ils font avec les moyens du bord, faute de moyens techniques et humains suffisants puisque nombre de leurs médecins officient en dehors de leurs frontières. Selon l’Ordre des médecins, près de 20 000 médecins maghrébins travaillent en France, ce qui représente un tiers des praticiens étrangers : 25% sont nés en Algérie, 11% au Maroc et 7% en Tunisie.

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Au royaume chérifien, on a rapidement pris les choses très au sérieux. Et on ne rigole pas avec les ordres. Le territoire marocain est extrêmement mal pourvu en services hospitaliers, particulièrement dans les zones rurales et montagneuses. Les lits de réanimation et les tests manquent. On s’en remet donc à la discipline et à la solidarité nationale. Le confinement obligatoire est jusqu’à présent respecté par sa population qui fait preuve de civisme. Les lieux publics ont été déclarés interdits sous peine de sanctions pénales. Seuls quelques groupes islamistes ont fait entendre une voix dissonante en organisant à Tanger et à Fès des rassemblements pour contester la fermeture des mosquées. Mais ils ont été rapidement mis au pas, Rabat les contrôlant avec une main de fer depuis les attentats de Casablanca (2003).

Maroc : les ministres milliardaires philanthropes

Afin d’éviter une catastrophe économique et une situation sanitaire à l’iranienne, le roi a créé le 15 mars un Fond spécial pour la gestion de la pandémie. Doté de 10 milliards, il doit servir à la « mise au niveau du système de santé afin de contenir la pandémie, mais aussi au soutien à l’économie nationale, à la sauvegarde de l’emploi et à la réduction de l’impact social occasionné par cette situation ». Un grand élan de solidarité s’organise dans un pays où 345 cas ont été diagnostiqués et 25 personnes décédées. Les ministres et parlementaires font don d’un mois de salaire au profit du fond contre le coronavirus. Plusieurs milliardaires ont également mis la main à la poche, comme le ministre de l’agriculture Aziz Akhannouch, première fortune du pays, ou celui de l’Industrie, le richissime Moulay Hafid Elalamy.

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Le Maroc devient bel et bien la puissance montante dans la région. Sa stabilité lui a permis de réagir rapidement tout en s’appuyant sur une solidarité ancestrale pour pallier les problèmes structurels du pays.

Chaos algérien

En Algérie, ce n’est pas le même topo. Longtemps, le pays a eu une médecine performante. Les gouvernements de Ben Bella, de Boumediene et consorts avaient à cœur de développer une médecine efficace sur l’ensemble du territoire. À partir de 1962, des coopérants français, dont certains issus des Réseaux Jeanson, des Bulgares et les éternels cubains, que l’on retrouve aujourd’hui en Italie, ont formé des générations de médecins compétents. Les années 80 ont marqué un tournant. Au fil des ans, les effectifs se sont amenuisés et nombre de médecins ont fui en France le Front Islamiste du Salut. Tout le monde se souvient des multiples hospitalisations de Bouteflika dans l’hexagone. En plus de ces lacunes, Alger souffre évidemment de difficultés politiques, se montrant pour le moment incapable de délivrer des consignes claires.

Le président Tebboune peut cyniquement remercier le virus de lui avoir épargné un énième hirak. La population est pour le moment contrainte de rester de 7 heures à 19 heures à la maison. Les wilayas de Batna, Tizi-Ouzou, Sétif, Tipasa, Constantine, Médéa, El Oued, Boumerdès et Oran se trouvent déjà d’ores déjà en voie de confinement. La nuit peut être folle à Alger mais tout le monde s’attend à un confinement général. Seulement, personne ne sait quand la décision tombera. Le gouvernement a peu de marge de manœuvre. Avec des journalistes d’opposition encore en prison, la transparence n’est pas garantie.

Officiellement, au 28 mars, on déplorait 454 malades et 29 morts.

Flou tunisien

La Tunisie est confinée. Comme au Maroc, un plan d’aide en urgence a été voté. Dans un pays en rémission politique et économique, le virus tombe vraiment mal. Le 21 mars, le Premier ministre Elyes Fakhfakh a débloqué 800 millions d’euros afin de protéger entreprises et chômeurs. 158 millions seront consacrés aux personnes mises au chômage technique et aux 285 000 familles les plus démunies. Mais dans un pays où 40% de l’économie reste informelle, beaucoup de Tunisiens doutent de pouvoir bénéficier de cette aide. Les artisans, essentiels à l’économie du pays, mais déjà exemptés de charges, ne pourront pas y compter. Quant aux anciens étudiants, majoritairement acquis à l’actuel président mais souvent en travail partiel, rien n’indique qu’ils en bénéficient,

C’est le flou artistique à Tunis. Qui paiera l’aide ? On parle d’une demande au Front monétaire International.

Bref, le Maghreb semble parfois naviguer à vue, comme la rive nord de la Méditerranée. Sans parler de la Libye. Jusqu’où ira la crise ? Nul ne le sait mais une chose est sûre : les conséquences peuvent être encore plus graves que prévu. Et certains pourraient encore en profiter.



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