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Bâiller devant Dieu

Je ne me lasse pas de lire "Bâiller devant Dieu" d’Iñaki Uriarte


Bâiller devant Dieu
Iñaki Uriarte. Photo: Carlos de Maqua

Le billet du vaurien de Roland Jaccard


Dans un livre que m’envoie Frédéric Schiffter et que j’ouvre au hasard, je tombe sur cette phrase : « Je ne suis jamais aussi près de penser une chose que lorsque j’écris le contraire. » Le titre de l’ouvrage : Bâiller devant Dieu. L’auteur : Iñaki Uriarte. Je pressens une complicité ironique. D’ailleurs Schiffter l’a préfacé: c’est un homme de goût et paresseux comme il est, se serait-il donné la peine de présenter un livre de près de trois cents pages qui ne serait pas un chef d’œuvre… tout au moins pour ceux qui n’apprécient rien tant que les stylistes du détachement?

Le chien de Schopenhauer

Je ne me lasse pas de grignoter les notes réunies dans Bâiller devant Dieu d’Iñaki Uriarte, ce Basque désinvolte et élégant. Je le lis une ou deux heures par jour, comme il le fait avec Schopenhauer dont il partage les réquisitoires contre tout, absolument tout. Il en sort réconforté, car rien n’échappe à l’oncle Arthur. Sa colère monumentale contre le monde dans son ensemble – il revient souvent sur l’idée que le monde est quelque chose qui ne devrait pas exister – est comme un livre de prières qui nous revigore et nous aide à supporter les constants malaises, inquiétudes et désastres qui composent l’essentiel de notre quotidien.

De même, les livres de Cioran chargés le plus souvent de son humeur toute personnelle, lui sont d’un précieux secours : « Sans l’idée d’un univers raté, le spectacle de l’injustice sous tous les régimes conduirait même un aboulique à la camisole de force. » Uriarte retient également ce conseil anxiolytique que donne Clément Rosset : « Rassurons-nous, tout va mal : c’est l’une de mes devises préférées. » Avoir lu Schopenhauer à quinze ans, m’être lié d’amitié avec Clément Rosset à vingt ans et avoir été si proche de Cioran: le destin m’a gâté. Le reste, je l’oublie volontiers. Enfin pas tout…

On sait l’amour que Schopenhauer portait à son chien Atma – l’âme du monde, en sanscrit – mais j’ignorais qu’il lui avait appris à faire les courses. Atma disposait de trois paniers. Le premier était destiné au boulanger, le deuxième au boucher et le dernier à l’épicerie. Lorsqu’il était placé devant l’un de ses paniers, il le prenait dans sa gueule, se rendait à la boutique en question et rentrait tout heureux avec les commissions. Si quelqu’un essayait de l’accompagner, Atma s’arrêtait net et ne bougeait plus. Sans doute avait-il appris cette technique en observant son maître. Un maître en détachement.

Je n’aime pas Cary Grant, c’est grave docteur?

Cioran considérait Schopenhauer comme le Grand Patron et Borges disait de lui qu’il avait très probablement déchiffré l’univers mieux que quiconque avant lui. Uriarte n’est pas loin de penser de même.

En ce qui le concerne – et je pourrais dire exactement la même chose de moi – il note que dans tout ce qu’il a écrit, il lui aurait fallu instiller un peu plus de gravité, de sérieux, de passion, de poésie, d’imagination… mais, ajoute-t-il, je ne sais pas le faire, je suis vraiment incapable de le faire. Voilà qui me le rend encore plus proche. Je goûte également son sens de l’humour dont voici un exemple : «  J’imagine que le principal trait de mon caractère est de ne pas aimer Cary Grant. Je n’ai jamais de toute ma vie rencontré quelqu’un souffrant du même mal. C’est ce que je pourrais dire d’emblée à un psychanalyste: Docteur, je n’aime pas Cary Grant. »

Joyeux Noël, Félix

Et puisque Noël approche, je serais bien ingrat si je n’offrais pas à Inãki Uriarte cette anecdote qu’il savourera, j’en suis certain. Chaque année, la nuit de Noël, ce père de famille sortait de chez lui, tirait un coup de pistolet en l’air et retournait tranquillement auprès de ses enfants terrorisés. « Le père Noël s’est encore suicidé », leur annonçait-il.

Peut-on rêver plus beau cadeau de Noël ?

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