Accueil Édition Abonné Avril 2018 Peggy Sastre: « La majorité des hommes ont moins de pouvoir que les femmes »

Peggy Sastre: « La majorité des hommes ont moins de pouvoir que les femmes »

Entretien (1/2)


Peggy Sastre: « La majorité des hommes ont moins de pouvoir que les femmes »
Docteur en philosophie des sciences, Peggy Sastre vient de publier "Comment l'amour empoisonne les femmes" (Anne Carrière, 2018).

Docteur en philosophie des sciences, Peggy Sastre se situe à contre-courant de la doxa féministe. Quand les chiennes de garde imputent les inégalités entre les sexes à la méchanceté des hommes, Sastre les explique par des prédispositions biologiques. Sans pour autant les justifier. Entretien (1/2)


Causeur. D’un naturel plutôt discret, vous avez décidé d’intervenir dans le débat en réaction à la campagne #balancetonporc qui a suivi l’affaire Weinstein. Vous avez corédigé la tribune en faveur de la « liberté d’importuner » publiée dans Le Monde et signée par une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve. Pourquoi avoir choisi de monter au créneau et de mobiliser toutes ces femmes célèbres ?

Peggy Sastre[tooltips content= »Docteur en philosophie des sciences, Peggy Sastre vient de publier Comment l’amour empoisonne les femmes (Anne Carrière, 2018). « ]1[/tooltips]. Je précise que cette tribune s’intitulait « Des femmes libèrent une autre parole », titre que Le Monde a conservé dans le journal, mais changé sur son site internet. Ce texte avait notamment pour objet de défendre la liberté sexuelle, dont la liberté d’importuner n’est qu’une des conditions d’exercice. Autrement dit, on ne peut pas colorer simplement en noir et blanc un phénomène complexe qui, dans la réalité, est gris. Car dans le jeu de la séduction, hommes et femmes ne partagent pas forcément la même définition des comportements acceptables. Plusieurs études sur le harcèlement au travail ont révélé l’existence de profondes divergences d’appréciation entre hommes et femmes quant à ce qui relève de la drague lourde, du harcèlement sexuel, voire de l’agression. Il n’y a donc pas de définition objective du « porc », ce qui rend la campagne #balancetonporc problématique.

Pensez-vous que la domination masculine, et ses abus sur les femmes, n’existe pas ?

Mon précédent livre s’appelait justement La domination masculine n’existe pas (Anne Carrière, 2015). Le discours féministe sur la domination masculine invente de toutes pièces une espèce d’hydre de science-fiction dont il serait vain de couper un bras parce qu’il repousserait aussitôt. Comme l’expliquent Gérald Bronner et Étienne Géhin dans Le Danger sociologique (PUF, 2017), les discours qui nous serinent « c’est la faute à la société, c’est la faute à la domination masculine, c’est la faute au patriarcat » sont totalement hors-sol. Ce sont des imprécations reposant sur des entités mal définies auxquelles on prête des intentions qu’elles n’ont pas, selon un biais d’agentivité ou d’intentionnalité illusoire. En réalité, si des hommes ont le pouvoir dans notre société, les hommes n’y ont pas le pouvoir.

Que voulez-vous dire ? 

Aujourd’hui, y compris dans les sociétés occidentales, la plupart des postes de pouvoir sont aux mains d’hommes. Pour autant, non seulement la majorité des hommes n’a pas le pouvoir, mais ils ont moins de pouvoir que les femmes. Quoi qu’en dise la vulgate féministe, les hommes sont plus nombreux dans les positions très basses de la société. La majorité des exclus, des SDF, des prisonniers et des suicidés sont des hommes ! Dans un État providence comme la France, les femmes disposent en prime d’un avantage économique sur les hommes car l’enfant est devenu une rente.

Jusqu’à nouvel ordre, le beau sexe garde aussi le pouvoir de vie et de mort sur l’embryon. Reste que, à en croire l’ensemble des commentateurs enthousiastes, le grand déballage qui a suivi l’affaire Weinstein serait en train de révolutionner la société. Croyez-vous à ce lendemain qui chante ?

Non. Cela me paraît très difficile de dire qu’on vit un événement historique sans aucun recul sur notre époque. Le mouvement #balancetonporc semble d’ailleurs en train de s’éteindre, comme des milliards de microfeux avant lui. J’entrevois cependant un risque dans #balancetonporc : les hommes un peu gentils et maladroits risquent de s’écraser encore un peu plus tandis que les vrais prédateurs s’adapteront encore mieux et iront chercher des proies féminines encore plus vulnérables. Ce processus a déjà commencé.

Entre tout révolutionner et ne rien changer, il y a une marge. Pourquoi êtes-vous si pessimiste ?

La révolution anthropologique que j’aperçois est hyper réactionnaire : la campagne #balancetonporc risque de provoquer un retour à la ségrégation d’avant la libération sexuelle. Entre les années 1950 et 1970, une véritable révolution des mœurs s’était produite, notamment grâce à la légalisation de la pilule contraceptive. La femme obtenait, en même temps que le droit d’avoir un compte en banque, le contrôle de son corps. Pilule, droit à l’avortement et changement des mentalités ont permis aux femmes d’assumer leur sexualité sans être socialement réprouvées. Cinquante plus tard, j’observe une terrible régression. Sandra Muller, la créatrice du mot d’ordre #balancetonporc, s’est déclarée traumatisée par le dragueur qui lui a dit : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ! » Elle suggère ainsi que l’expression d’un désir sexuel est destructrice pour les femmes. Un tel message nous fait revenir à la société des chaperons.

Mais cette victimisation outrancière permettra peut-être de protéger les véritables victimes.

Au contraire, elle place les femmes dans une situation de vulnérabilité permanente. Génétiquement, nos environnements ancestraux ont poussé les femmes à être très alertes et sensibles au danger. En criant au loup, Muller et les autres exploitent cette sensibilité et, au passage, justifient l’un des errements du féminisme depuis les années 1980-1990 qui consiste à revendiquer des droits spécifiques plutôt que l’égalité. Il n’y a pas mieux que la peur du loup pour asservir les femmes.

Comment conciliez-vous la revendication de l’égalité entre les sexes et votre approche darwinienne des rapports hommes/femmes ? Les explications biologiques des différences de salaires ou de l’inégal partage des tâches ménagères peuvent être entendues comme des justifications.

On ne saurait accuser un chercheur en cancérologie de justifier le cancer. Au contraire, comprendre le cancer est la condition pour le combattre. J’essaie de retracer l’histoire de notre évolution biologique, qui s’est faite dans des environnements très dangereux où des inégalités se sont révélées profitables à tous dans la lutte pour la survie. Je constate la persistance d’inégalités qui sont devenues inutiles dans notre environnement. Et cela me plaît d’autant moins que, selon de grandes institutions internationales comme l’ONU, la prospérité et le bonheur des sociétés sont corrélés à leur niveau d’égalité entre les sexes. Reste que ces inégalités sont bien davantage le fruit de l’évolution que de la méchanceté gratuite des hommes.

Mais si nous sommes génétiquement programmés, quelle est notre marge de manœuvre ?

Ne confondez pas programmation et prédisposition. L’évolution n’est pas finaliste. Il n’y a pas de grand plan défini à l’avance qui commanderait les individus. Pardon d’être un peu technique, mais il faut différencier causes proximales et causes distales. Prenons l’exemple classique de l’orgasme. Sa cause proximale, c’est-à-dire la plus immédiate, c’est le plaisir – la raison qui incite les gens à en avoir envie. Mais sa cause ultime, c’est qu’il favorise l’attachement entre les êtres, l’investissement parental et en fin de compte le succès reproductif – la raison pour laquelle la sélection naturelle l’aura perpétué.

Mais Goethe n’a pas écrit Les Souffrances du jeune Werther ni Michel-Ange peint le plafond de la chapelle Sixtine pour s’inscrire dans la chaîne de l’évolution !

Détrompez-vous ! Beaucoup d’études et de livres, en particulier The Mating Mind (qu’on pourrait traduire par « l’esprit copulateur ») de Geoffrey Miller, montrent que l’art, la danse, la littérature et tous les objets et comportements artistiques sont des moyens d’accès à des partenaires sexuels. L’évolution passe donc forcément par là. Ceci étant, je ne m’oppose pas du tout aux explications socio-culturelles. Simplement, elles ont un point aveugle : le poids des facteurs biologiques. Sans prétendre remplacer la métaphysique, nier la culture ou la liberté individuelle, j’essaie de donner un autre angle. Mon éclairage darwinien apporte une perspective différente, beaucoup moins connue, mais aux fondements scientifiques autrement plus solides que ceux de la psychanalyse, par exemple.

Mais vous parvenez à des conclusions souvent proches. La biologie, comme l’inconscient, relativise la liberté de l’homme. Quelle place laissez-vous au libre-arbitre ?

Je ne nie pas l’existence d’une marge de libre-arbitre, même s’il est parfaitement plausible qu’elle ne corresponde qu’à des causes ignorées. L’évolution, c’est toujours une interaction entre l’organisme et son environnement qui va pousser chaque espèce et chaque individu à trouver leur niche pour s’en sortir le mieux possible. C’est pourquoi la dichotomie nature-culture est fallacieuse.

Justement, dans votre dernier livre, Comment l’amour empoisonne les femmes, vous expliquez comment notre environnement a fait que les femmes sont beaucoup plus amouro-centrées et dépendantes à l’amour que les hommes. Comment cela s’est-il produit ?

La reproduction étant dès le départ beaucoup plus lourde pour les femmes que pour les hommes, nous ne partons pas sur un pied d’égalité. Un seul ovule est beaucoup plus coûteux à produire que des millions de spermatozoïdes. Cette disproportion originelle s’appelle l’anisogamie, laquelle produit le différentiel d’investissement parental minimal. Pour se reproduire dans un environnement ancestral, une femme a besoin d’en passer par la grossesse et par l’allaitement, alors qu’il suffit à un homme d’éjaculer sur un ovule. Dans la savane, sans mère, un enfant mourra à coup sûr. Sans père, il a des chances de s’en sortir. Cela détermine tout un éventail de comportements genrés, notamment les différences d’investissement sentimental. Les femmes sont plus susceptibles d’être dans le surinvestissement sentimental alors que les hommes sont plus enclins au sous-investissement. En revanche, la jalousie sexuelle d’un homme peut le pousser à tuer car il court le risque d’élever un enfant qui n’est pas le sien, une perte génétique totale qui peut le rendre fou !

A suivre…

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Avril 2018 - #56

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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