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Et si la Turquie redécouvrait Israël ?


Photo : World Economic Forum

A l’été 1996, quelques mois avant son éviction par un coup d’Etat militaire, le Premier ministre islamiste turc Erbakan signait des accords militaires historiques avec Israël. En ravalant son antisionisme, le vieux chef islamiste paraphait l’alliance avec l’Etat hébreu sous la pression de l’Etat-major, justifiant son revirement au nom des intérêts supérieurs de la nation turque.
Quinze ans plus tard, la donne a changé. Triomphalement (ré)élu depuis 2002, Erdogan incarne un islamisme institutionnalisé dans le paysage politique turc. Depuis une dizaine d’années, ses relations avec Israël oscillent entre la connivence discrète, les rodomontades d’un allié indocile (comme lors du forum de Davos 2009, lorsqu’il morigéna le Président Shimon Peres après l’opération Plomb Durci à Gaza[1. Erdogan lança alors à Peres : « Vous avez la psychologie d’un coupable (…) Vous savez très bien tuer des gens » (sic)]) et l’hostilité ouverte[2. Depuis l’affaire de la flottille.].

Or, le réel se rappelle inopinément aux maîtres de la Turquie lorsqu’ils réalisent que leurs intérêts objectifs coïncident avec l’agenda israélien. Qu’il s’agisse de contrôler la crise syrienne pour que la frontière turque ne se transforme pas en camp de réfugiés en amont de l’Euphrate ou que le plateau du Golan ne subisse l’assaut de hordes fanatisées criant vengeance après les défaites de 1967 et 1973. Que cela concerne l’Iran, à endiguer sur le chemin de l’atome et de l’hégémonie régionale, ou même l’Arabie Saoudite, dont le magistère idéologique sur les factions sunnites radicales s’amenuise néanmoins, Israël et son allié (théorique) turc ont plus d’une raison de s’entendre.

A tel point que l’ancien ambassadeur turc en Iran, Temel İskit, regrette le simplisme de la politique étrangère de son pays devenu « otage de la situation à Gaza » alors qu’il vient d’accepter d’héberger le système de défense balistique de l’OTAN pour contrer d’éventuels tirs de missiles en provenance de Téhéran. A en croire ce diplomate retiré des affaires, dans un environnement aussi instable, « il vaudrait mieux que la Turquie observe prudemment la situation » régionale avant d’agir. Crier à cor et à cri sa solidarité avec un monde arabe en lutte contre le despotisme ne vous exonère pas d’un petit examen de conscience. Nonobstant le récent soutien à Kadhafi, certains mauvais réflexes impérialistes semblent surgir des décombres de l’Empire ottoman. Le Premier ministre irakien a par exemple très peu apprécié les sorties paternalistes d’Erdogan après le retrait des troupes américaines, affirmant tout de go qu’une cogestion turco-irakienne du pays était indispensable à sa stabilité. Ingérence, j’écris ton nom…
Après un échange d’amabilités et de remontrances mutuelles, l’entente n’est toujours pas revenue entre la Turquie sunnite et l’Iraq majoritairement chiite, qui se rapproche de plus en plus de son puissant voisin et parrain perse. De là à penser que la fameuse doctrine du « zéro problème, zéro ennemi » parmi les voisins arabo-musulmans de la Turquie n’est plus une vérité en deçà de l’Anatolie, il y a un pas que la rude réalité géostratégique a franchi à la place des officiels turcs.

Comme chez Marx, l’histoire qui s’était soldée par une tragédie au détriment de l’islamiste Erbakan pourrait revenir sous la forme d’une farce pour un Erdogan forcé de renouer avec Israël. A l’heure où les dictatures nationalistes arabes s’écroulent les unes après les autres, où les prétendues « révolutions » sonnent le glas de constructions étatiques plus ou moins solides, risquant de créer des petites Somalies dans la région, le nœud gordien des relations turco-israéliennes pourrait redéfinir les priorités régionales. Comme le résume Elise Ganem, spécialiste de l’axe Israël/Turquie, « d’un côté, l’armée turque a besoin de matériel haute-technologie que seul l’état hébreu peut lui fournir. De l’autre, les chasseurs israéliens doivent pouvoir survoler l’espace aérien de l’Anatolie » pour pouvoir bomber le torse face à l’Iran.

Par le plus grand des hasards, le stand de la Turquie signera son grand retour à la Foire commerciale de Tel-Aviv après plusieurs années de boycott éhonté. Dans le même temps, l’office du tourisme turc a lancé une grande campagne publicitaire à destination du public israélien, naguère présent en masse dans les stations balnéaires d’Antalya ou Bodrum. Et pour ne rien gâcher, un chanteur de confession juive a été propulsé candidat officiel de la Turquie au concours de l’Eurovision par les mêmes autorités qui fustigent la politique d’Israël mais n’hésitent pas à souligner l’origine israélite de leur poulain artiste. Hasard vous dis-je…



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est journaliste.

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