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Le 1er mai en France, jour de la benallisation de la violence

Depuis un an, la violence est la grande invitée de tous les rassemblements publics


Le 1er mai en France, jour de la benallisation de la violence
Des manifestants rassemblés place de la Contrescarpe à Paris, 1er mai 2019. Photo: ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Ce 1er mai 2019 était, en un sens, l’anniversaire de la violence en France. Depuis un an, et la démonstration d’autorité d’un homme de main du président, elle est devenue la grande invitée des rassemblements publics. Elle s’est, en toute occasion, banalisée.


Quiconque aura eu l’occasion, en cette journée du 1er mai 2019, journée internationale des Travailleurs, d’entendre parler de questions sociales ou politiques, de niveaux de salaire, d’emploi, de conditions de travail, de retraites, de pouvoir d’achat et non pas de considérations exclusivement sécuritaires et policières, pourra se déclarer aussi chanceux et avoir vécu un événement aussi extraordinaire que s’il avait pu photographier le monstre du Loch Ness en personne dans une de ses rares apparitions publiques.

Le pays des Droits de l’Homme

Dans une théâtralisation à outrance à laquelle l’exécutif et notamment le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner ont habitué les Français, le curseur dramaturgique a été exclusivement placé sur les questions de maintien de l’ordre et de sécurité publique. Paris avait été déclarée « capitale de l’émeute » par des groupes d’agitateurs de l’ultra gauche, et des quartiers entiers transformés conséquemment en camps retranchés. Le dispositif policier déployé fut impressionnant, le nombre d’interpellations très élevé et l’émeute généralisée annoncée et complaisamment relayée par la place Beauvau n’a pas eu lieu même si les habituels fauteurs de troubles étaient bien présents.

Les très nombreux manifestants pacifiques ou simples observateurs présents dans le cortège ont pu subir, quant à eux, les nombreux gazages et charges dont sont victimes depuis des semaines les gilets jaunes qui tentent encore de manifester ; les témoignages étaient innombrables sur ce point à la fin de la journée de mercredi. Les leaders syndicaux eux-mêmes, comme par exemple ceux de la CGT, ont reçu ex nihilo des bombes lacrymogènes avant même que la manifestation ne s’élance, au prétexte qu’il fallait chasser les black blocs infiltrés dans le cortège. Bref, la routine désormais au pays des Droits de l’Homme. Ce qui n’est pas sans poser de nombreuses questions.

La France bat en retraite

Tandis que les groupuscules d’extrême droite tel le Bastion social ou Génération identitaire font l’objet de dissolutions ou de contrôles étroits, voire obsessionnels, de la part de l’exécutif, de commissions d’enquête à l’Assemblée nationale (sur demande de la France insoumise) au motif de violences statistiquement infinitésimales dont ils sont la cause, et pour des raisons en réalité de désapprobation idéologique, l’ultra gauche antifasciste aux comportements pourtant si proches de ce qu’elle prétend dénoncer continue imperturbablement de pulluler et gangrener toute forme de manifestation du peuple français.

On a vu comment le mouvement des gilets jaunes s’est fait infiltrer au fil des semaines, notamment après la période des fêtes, au point que de très nombreux révoltés de la première heure ont préféré depuis un moment battre en retraite pour ce qui concerne les manifestations du samedi afin de n’être pas confondus avec les ultras, sans pour autant céder en rien sur leurs revendications initiales. La France des ronds-points, la France périphérique n’a pas soudainement disparu par évapotranspiration : elle s’est simplement mise à l’écart de ce ballet hystérique impliquant un exécutif martial et répressif, une police harassée depuis des semaines, prise entre le marteau et l’enclume et hélas discréditée par le comportement inadmissiblement violent de certains de ses membres, et des agités-agitateurs d’extrême gauche toujours à l’affût d’un quelconque prétexte sur lequel se greffer pour répandre le chaos dont ils sont spécialistes.

Chéri, j’ai rétréci le peuple

Les manifestations populaires traditionnelles, quant à elles, organisées par les grandes centrales syndicales sont, année après année et principalement depuis les remises en cause du droit du travail sous Hollande puis au début du quinquennat Macron, régulièrement infiltrées et perturbées par les black blocs et l’ultra gauche dite antifasciste.

Les mêmes scènes, donc, se répètent, avec ou sans nervis élyséens déguisés en policiers place de la Contrescarpe, – puisque cette année célébrait également l’anniversaire des hauts faits d’armes de l’homme de main du président.

A lire aussi: Casseurs: combien de temps va-t-on laisser faire l’extrême gauche?

Ce 1er mai aura par ailleurs été placé sous le sceau de la grande récupération à laquelle donne lieu depuis quelques temps le mouvement des gilets jaunes. On a pu voir depuis quelques semaines la débauche de moyens déployés notamment par la France insoumise pour tenter de s’accaparer ce mouvement, dans le but de tenter une remontée dans les sondages pour les européennes. Cette stratégie, peu discrète voire quelque peu obscène, ne semble porter aucun fruit de taille, les gilets jaunes ayant clairement affirmé dès le départ ne pas souhaiter de cette récupération et étant, à l’image du peuple français dans son ensemble, issus de toutes les sensibilités politiques, d’un bout à l’autre du spectre. Le seul effet concret obtenu par la France insoumise à ce petit jeu aura été de faire fuir de façon rédhibitoire les très nombreux gilets jaunes qui ne se revendiquent aucunement de cette mouvance idéologique, ce qui explique probablement en partie la désaffection des manifestations hebdomadaires : le sentiment pour de nombreux manifestants plutôt « de droite » de se retrouver pris en otages par une idéologie politique qui n’est pas la leur.

Un 1er mai sur l’archipel français

A l’occasion de ce 1er mai, les syndicats se sont également lancés dans une vaste opération de récupération, après avoir pendant des mois méprisé le mouvement des gilets jaunes, taxé de fascisme réactionnaire et autres tares manifestement congénitales. Ces syndicats sont, du reste, violemment rejetés par la plupart des gilets jaunes eux-mêmes qui les associent au système : accusés de complaisance et de passivité avec le pouvoir, d’affairisme et de partage du gâteau entre amis. Accusés aussi par beaucoup de ne pas traiter frontalement la question de la protection des salariés et travailleurs français au travers de la question migratoire.

Le bilan de ce 1er mai est donc à l’image de ce qu’est la France actuellement : un pays profondément morcelé, divisé, cet « archipel » dont parle Jérôme Fourquet. Des univers se côtoient, se superposent, parviennent même à défiler quelquefois et accidentellement côte à côte, mais pas ensemble. Plus aucune manifestation publique ne peut se dérouler sans violences, ce qui permet habilement aux exécutifs de placer le curseur sur ces questions sécuritaires au détriment des questions de fond.

Le grand débarras ?

Plus que jamais, l’issue à la situation dans laquelle se trouve le pays apparaît comme une solution politique d’envergure, ce que les maigrelettes propositions d’Emmanuel Macron au sortir du « Grand débat » et, surtout, sa persévérance à garder le même cap idéologique et social, ne peuvent évidemment pas résoudre. Quelle que soit la durée de ce statu quo lourdement préjudiciable pour le pays – et qui n’est pas sans évoquer le leitmotiv prémonitoire de La Haine : « Jusqu’ici, tout va bien » -, seul le passage de nouveau devant l’onction du suffrage populaire permettra d’asseoir une nouvelle légitimité exempte de ce discrédit, refondée sur le plan institutionnel, et permettra, le cas échéant, d’éradiquer la question d’une violence qui, sinon, s’auto-légitime.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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