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Zemmour, lu à la télé


photo : styeb (Flickr)

Figure très moderne du maudit officiel, Éric Zemmour est partout : futur ex-pineupe du samedi chez Laurent Ruquier[1. Souhaitant donner un « souffle nouveau » à « On n’est pas couché », Ruquier a décidé d’éjecter les célèbres Naulleau et Zemmour la saison prochaine. La réaction de Naulleau : « Je suis triste pour la liberté d’expression. » On n’a pas fini d’en rire…], incarnation de la « droite dure » en couverture du Point, invité d’un quarteron de députés UMP en manque d’idées, éditorialiste du matin sur RTL, convive du midi de Nico-le-Petit, débatteur du soir sur i>Télé et, ces jours-ci, en couverture de Z comme Zemmour, le recueil de ses chroniques radiophoniques.

Ça se voit sur le visage d’Éric : il jouit de son image, n’en revenant pas d’être le poil à gratter de toutes les attentions. SOS Racisme l’attaque ? C’est parfait. Joffrin, Kahn et Apathie l’excluent du cercle des journalistes vertueux ? C’est extra. Le très drôle Georges-Marc Benamou le traite de « facho » ? C’est encore mieux. Son fan-club, d’ailleurs, est aux anges.

Les disciples deviennent vite un poids mort

Zemmour, en effet, possède sa garde rapprochée : des jeunes, des vieux qui ne jurent que par lui, pensent comme lui, pleurent pour lui, archivent sur le ouèbe chacune de ses interventions cathodiques. C’est le côté Soral de Zemmour, en plus grand-public. Éric, pourtant, devrait se méfier. Se souvenir, par exemple, de Guy Debord, qui crachait avec joie sur les debordistes encombrants, ou de Philippe Muray, qui eut le bon goût de mourir avant de voir pulluler les petits Muray dans chaque bord qu’il détestait. Les disciples deviennent vite un poids mort empêchant, par l’admiration crasse et la flatterie idéologique, leur grand homme de finir ses phrases. Ainsi, quand Zemmour affirme sur le plateau d’Ardisson que « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes … », ses fans déclenchent la hola immédiatement, se contrefoutant de la suite.[access capability= »lire_inedits »]

Autrefois proche de Philippe Séguin et de Jean-Pierre Chevènement, Zemmour sait que la délinquance naît de vies misérables où le déclassement est une gamelle que se partagent quelques jeunes chiens fous originaires de « ce cher et vieux pays » et d’ailleurs. Il l’écrivait, au basculement des années 1990 et des années 2000, dans Marianne, dans Le Figaro. C’était du grand reportage, complexe et brillant, dans les contrées de la droite, de la gauche, dans l’agitation des campagnes électorales décisives. Ça donnait des essais comme Le Livre noir de la droite ou L’Homme qui ne s’aimait pas, mise à nu de Chirac que venait compléter le roman L’Autre. C’était avant les sunlights qui paralysent la langue, imposent leurs règles – un storytelling systématiquement amputé de tout sens.

Il n’aime le journaliste que s’il flirte avec la littérature

Zemmour pourrait, aujourd’hui, se contenter d’être le meilleur des journalistes – sur le modèle juppéiste, « le meilleur d’entre nous » −, excellent dans ses analyses sur la débâcle de l’équipe de France de football en Afrique du Sud, sur les attaques criminelles de la finance mondiale ou sur ce que Jean-Claude Michéa nomme « l’enseignement de l’ignorance ». Mais comme il le rappelle dans sa préface, il n’aime le journalisme que quand il flirte avec la littérature. Zemmour cite Aron, Sartre, Camus. Il oublie Jacques Laurent, Antoine Blondin, Roger Nimier ou Françoise Sagan. Ce qui est dommage quand, saluant la mémoire de Claude Chabrol, il confesse, à peine masqué, qu’il doit son éducation sentimentale et sexuelle aux apparitions de Stéphane Audran dans les films du réalisateur, période 1960-1970. On comprend mieux la nostalgie de Zemmour pour ce monde d’avant dont il ne cesse de regretter la disparition. C’étaient les derniers soubresauts des « Trente Glorieuses » ; De Gaulle s’exclamait, en voyant BB faire son entrée à l’Élysée en costume couleur treillis : « Chouette, un militaire ! » ; Pompidou lui succédait au volant d’une voiture de sport, cigarette aux lèvres, et Stéphane Audran hésitait entre Jean-Louis Trintignant et Jacqueline Sassard dans Les Biches, trompait Michel Bouquet avec Maurice Ronet dans La Femme infidèle.

Zemmour est resté ce petit gars de Montreuil qui aimait la comédie et les drames de la République, le Bloc-notes de François Mauriac et les actrices de la Nouvelle Vague. Évoquant Stéphane Audran, il aurait pu parler tout autant de Caroline Cellier, de Bernadette Lafont ou de Marlène Jobert, silhouettes épousant à merveille la « mélancolie française » chère à son cœur timide. Entre une descente du boss de Sciences-Po, Richard Descoings − « à la fois le fossoyeur de l’élitisme républicain et l’idiot utile du capitalisme » − et le feuilleton des manœuvres quotidiennes de DSK et de Marine, quelques caresses sur la peau de ces héroïnes auraient donné à Z comme Zemmour une sacrée « gueule d’atmosphère », qui manque. Comme les Noirs et les Arabes, les silhouettes effraient Zemmour. Il devrait se répéter en boucle les mots de la talentueuse âme damnée des souverainistes tendance Pasqua, William Abitbol : « Tu parles trop et tu n’écris pas assez. » Encore un effort, Éric, pour ressembler à votre modèle, Madame de Sévigné, laisser tomber votre reflet déformé par les caméras et faire jouir, enfin, la langue française.[/access]

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Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

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